Une intervention éclaurante.

Intervention de Mohamed DIARRA, S.G. SADI France (MALI)


CONFÉRENCE SUR LES QUESTIONS INTERNATIONALES  PARIS 4 – 5 MAI 2013
Chers camarades de France, Chers invités du Monde,
logo1-SADI11Tout d’abord, je tiens à saluer nos camarades du PRCF qui nous permettent, à cette occasion, de pouvoir exprimer le drame auquel le peuple malien est confronté. Au nom de l’ensemble des responsables de Solidarité Africaine pour la Démocratie et l’Indépendance (SADI), je remercie le peuple français pour son soutien au peuple frère du Mali. Nos remerciements s’adressent également à tous les peuples épris de paix et de justice qui continuent d’exprimer leur solidarité à notre égard.
Vous avez les salutations les plus chaleureuses de nos camarades Cheick Oumar Sissoko et Oumar Mariko respectivement président et secrétaire général de SADI.
Évidemment que la guerre qui se déroule au Mali nous a été imposée par deux impérialistes. Des fois, celles-ci sont antagoniques comme en Afghanistan et parfois alliées comme en Libye et en Syrie.
Sans risquer de nous tromper, nous pouvons dire que la crise malienne a des causes lointaines d’autant plus que les espoirs du socialisme à la malienne de Modibo Keita soutenu par l’URSS furent assassinés en 1968 par un coup d’Etat fomenté par les autorités françaises. Il y a toujours eu des manœuvres constantes de la France depuis l’indépendance, qui malheureusement continuent toujours.  Elles se sont concrétisées par les visées du Général De Gaulle sur le Sahara algéro-malien à travers la loi n°57-27 du 10 janvier 1957 créant l’organisation commune des régions sahariennes (O.C.R.S). Elle visait « l’expansion économique et la promotion sociale des zones sahariennes » de la république française.
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Le chaos du Mali ne saurait avoir un raisonnement simpliste à tout mettre sur le dos de la mutinerie des militaires qui, à notre avis, est due au pourrissement de la situation.  Celui-ci résulte d’autres causes telles l’échec de la classe politique dirigeante, la mauvaise gouvernance incarnée par la corruption, la signature des accords défavorables à l’État du Mali et d’autres facteurs liés à des éléments tels que la guerre de l’OTAN en Libye et le rôle de la France.
S’agissant de l’échec de la classe politique dirigeante, en 20 ans de « transition démocratique » assistée et encensée par l’extérieur, le multipartisme acquis avec la révolution de mars 1991, au lieu de favoriser le débat d’idées et la confrontation de projets de société entre formations politiques, s’est traduit par la prolifération des partis dont le nombre dépasse 140 pour 15 millions de Maliens. Coupés de leur base électorale, la majorité des dirigeants élus grâce à l’achat des voix sont occupés à plein temps par toutes sortes de stratégie de captation de l’aide au développement et des opportunités d’affaires que le système néo-libéral offre.
Mis à part SADI, rares sont les partis politiques pouvant se prévaloir aujourd’hui d’une assise électorale éduquée et imprégnée des enjeux et des défis du changement de manière à choisir leurs dirigeants en connaissance de cause et à les contrôler dans l’exercice de leurs fonctions.
Le consensus à la malienne a tué notre démocratie, donc nous devons en tirer des enseignements pour que plus jamais l’opposition ne soit marginalisée afin qu’elle puisse jouer son rôle. Elle mérite, à l’avenir, un statut.
Notre gouvernance se caractérise par la faillite de l’État qui trouve sa consécration par unecorruption généralisée et la signature des accords d’Alger de 2006.
La corruption est extrêmement forte parmi les élites du Mali, notamment parmi le clan présidentiel. Elle a touchée tous les milieux de pouvoir et de décision qu’ils soient civils, politiques et militaires.
Malgré l’instauration du Bureau du Vérificateur Général de l’État en 2004, plusieurs fonctionnaires sont devenus des milliardaires parce qu’aucun rapport de cette nouvelle structure n’a fait l’objet de véritables poursuites judiciaires.
Ainsi cette gangrène du sud s’est transportée vers le nord du pays sous forme de divers trafics. Ces trafics vont de l’essence, aux cigarettes, mais passent aussi par  les trafics  d’humains qui veulent rejoindre l’Europe en utilisant les passeurs ainsi qu’aux trafics de drogue qui génèrent des sommes extrêmement importantes dont une partie importante arrose nos autorités qui ferment les yeux sur l’utilisation de notre territoire. L’exemple d’Air cocaïne de Tarkint en est la parfaite illustration.
Les accords d’Alger ont eu pour effet de démilitariser les régions nord du Mali. Ainsi, les militaires, gendarmes et policiers, étaient en nombre plutôt symbolique, ce qui a favorisé , non seulement l’éclosion de différents trafics, mais aussi a permis aux djihadistes algériens du G.I.A, transformé en G.S.P.C puis en AQMI de faire du nord du Mali une base arrière. Ensuite viennent se greffer d’autres groupes islamistes comme le MUJAO et ANSAR DINE sous le regard bienveillant de l’Etat malien totalement corrompu.
Sincèrement, le Mali a perdu son nord il y a de cela 6 ans avec ces accords qui constituent une terrible faute politique et non en janvier 2012 avec les prises de Menaka et Aguelhoc.
La guerre de l’OTAN en Libye a eu un effet domino au Sahel. La chute de Mouammar Kadhafi a entraîné un dommage collatéral pour le Mali. Le « coffre-fort libyen » n’a pas été perdu pour tout le monde. Le pays de Kadhafi, riche de ses pétrodollars, était surarmé. La chute du régime et le chaos qui a suivi ont entrainé une prolifération d’armes de guerre dans tout le Sahel. Aussi les autorités françaises ont parachuté aux rebelles libyens 40 tonnes d’armes dont une partie a sûrement été récupérée par des Touaregs maliens et djihadistes.
Des combattants Touaregs ayant soutenu jusqu’au bout le guide libyen sont rentrés, armés jusqu’aux dents dans leurs pays respectifs. Seuls, ceux du Mali n’ont pas été désarmés à ses frontières contrairement aux originaires de l’Algérie et du Niger. Là aussi, le pouvoir malien a fait preuve de laxisme terrible.
Pour ce qui est du rôle joué par la France, les autorités françaises furent confrontées à une immense insécurité dans le Sahel préjudiciable à leurs intérêts, notamment au nord du Niger avec l’exploitation des mines d’uranium par AREVA.
Malgré les pressions de Paris, le régime d’ATT  n’a pas voulu engager d’opération militaire d’envergure contre les preneurs d’otages du fait de la corruption mais aussi du manque de moyens de l’armée malienne. En cette période, le Mali était considéré comme le maillon faible de la lutte anti-terroriste  selon les américains.
C’est ainsi que le quai d’Orsay, sous la houlette d’Alain Juppé, va donc soutenir le MNLA. Pour Paris, l’idée est que le MNLA puisse sécuriser la zone sahélienne, car les Touaregs ont pour eux la connaissance du terrain et l’expérience des combats. Raison pour laquelle les crimes commis à Aguelhoc par le mouvement rebelle et ses alliés djihadistes a été taxé de victoire éclatante par le ministre français des affaires étrangères.
Mais cette stratégie de contournement de l’Etat malien par le MNLA va se révéler catastrophique. Le MNLA a eu son propre agenda, et dès le début, fait une alliance avec les djihadistes pour conquérir les principales villes du nord du Mali et décréter l’indépendance de l’AZAWAD.
Avant la prise des 3 régions nord, Aguelhoc, Tessalit, le repli stratégique et la mutinerie de soldats de la garnison de Kati sont passés par là pour couronner tout l’effondrement de l’Etat malien.
S’agissant de l’intervention militaire française, par principe nous sommes opposés au droit d’ingérance car pour nous il n’appartient pas à un pays de résoudre les problèmes d’un autre pays. En effet, il est de la responsabilité de chaque État de résoudre ses propres problèmes.
Compte tenu de la situation spécifique que nous vivions avec l’avancée brutale des djihadistes vers le sud, il était difficile de dénoncer cette intervention française qui a permis effectivement d’arrêter ce processus d’expansion du phénomène djihadiste.
Mais en même temps, elle pose de graves problèmes au Mali qu’elle ne les résout.
D’abord, notre inquiétude est qu’avec la présence des troupes françaises à Kidal et l’interdiction faite à l’armée malienne d’y pénétrer le risque de partition du pays réel. Or, la France demande au pouvoir illégitime représenté par le président de transition imposé par la CEDEAO officine des autorités françaises de négocier avec le mouvement indépendantiste MNLA. Vaincu sur le terrain par les groupes djihadistes, le MNLA a été remis en selle par la France dans la région de Kidal.
En conséquence, une commission dialogue et réconciliation fut créée unilatéralement et arbitrairement par le président contesté de la transition, au mépris de tous les usages au Mali. Nous demandons alors une commission Vérité, justice, dialogue et réconciliation.
Ensuite, le président français François Hollande se dit « intraitable » sur le calendrier des élections au mois de juillets 2013, sans se qu’on se donne la latitude d’examiner qu’est-ce qui nous a amené dans cette situation, c’est à dire l’effondrement de l’Etat malien. On a le sentiment et la certitude à travers ces pressions que les puissances étrangères dont la France veulent continuer à nous imposer des marionnettes au pouvoir à Bamako favorables aux visées néo-colonialistes dans notre pays. Ainsi la communauté internationale a fait le choix de maintenir le système corrompu, l’injustice, l’impunité, la répression…
Tout ce qui se décide nous concernant se fait sans l’avis du peuple malien qu’ils ne veulent pas consulter. Jusqu’ici il n’est plus à l’ordre du jour d’organiser des concertations nationales pour permettre aux maliens de donner en toute souveraineté leur point de vue en ce qui concerne la situation de leur propre pays. Si elles avaient eu lieu, elles auraient permis la mobilisation des forces du changement, des actions en faveur de la solution malienne basée sur le protagoniste des forces vives maliennes (politiques, société civile, militaires…) et propositions de sortie de crise.
 Cette intervention militaire a sommé les autorités de la transition d’instaurer l’état d’urgence afin de museler les forces progressistes favorables à la souveraineté des États et au vrai changement.
Si dans un premier temps l’intervention a permis de chasser les djihadistes, il ne faut pas perdre de vue qu’elle a engendré le retour du néocolonialisme par  l’occupation française du Mali. Mais nous devons également dénoncer les manœuvres du gouvernement français et de sa diplomatie pour imposer le silence à ce qui proposent des alternatives. Ils refusent le visa aux intellectuels et politiques de gauche anti impérialistes et non conformistes. Tous ceux qui sont contre la pratique et le diktat français au Mali sont interdits de voyager, de participer aux débats organisés par la France ou financés par elle au Mali ou sur le Mali. C’est vraiment la répression et la censure française en marche. C’est ainsi que le Docteur Oumar Mariko, candidat de notre parti SADI, aux élections de juillet 2013 est interdit de voyager dans l’espace Schengen. Cette interdiction fut étendue aux Etats Unis d’Amerique. Notre camarade Aminata Dramane Traoré est aussi sur la liste des indésirables qui ont une autre lecture de la crise malienne. Comme quoi ce sont ces décideurs de la soi disante communauté internationale qui veulent nous apporter la démocratie.
L’intervention militaire française consacre la pérennisation de la présence militaire française en Afrique et l’échec des armées africaines plombées par les programmes d’ajustement structurel qui pénalisent les budgets alloués à la défense. C’est également le résultat de l’échec des coopérations militaires entre la France et certains États africains dont le Mali.
Après l’intervention militaire, nous sommes dans une situation de guérilla qui engendre un sentiment d’insécurité de nos populations et des tensions intercommunautaires.
Aussi, on assiste à une crise humanitaire aiguë d’autant plus que l’accès à l’eau, à la nourriture et aux soins de santé est problématique. Les prix des denrées de premières nécessités ont explosé du fait des difficultés d’approvisionnement tant par Bamako que par l’Algérie dont les frontières sont fermées avec le Mali.
Dans le contexte de guerre, la préoccupation essentielle des populations maliennes est l’accès à la paix, à la nourriture, aux soins et non aux élections. Des élections bâclées peuvent nous entrainer dans une autre crise dont personne ne sait les conséquences.
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