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29 mars 2024

« Je regrette d’en arriver là » : Les derniers mots d’un soldat


« Je regrette d’en arriver là » : Les derniers mots d’un soldat

03 juillet, 2013 by Arnaud

 


JE NE SOUFFRE PLUS

 


« Je regrette d’en arriver là » : Les derniers mots d’un soldat.

Par Daniel Somers, sur Gawker, le 22 juin 2013

Traduit par Catherine pour ReOpenNews

 

Daniel Somers était un vétéran de l’opération «Iraqi Freedom ». Il faisait partie de la force d’intervention « Lightning », une unité de renseignement. En 2004-2005, il était affecté principalement à une équipe de renseignement Humain Tactique (THT) à Bagdad, en Irak, où il a exécuté plus de 400 missions de combat en tant que mitrailleur dans la tourelle d’un Humvee, a interviewé d’innombrables Irakiens, depuis des citoyens concernés jusqu’à des chefs de communauté et des membres du gouvernement et a interrogé des douzaines d’insurgés et de présumés terroristes. En 2006-2007, Daniel a travaillé avec le Commandement des Opérations Spéciales interarmées (JSOC) via son ancienne unité à Mossoul où il a dirigé le centre de renseignement de l’Irak du Nord. Son rôle officiel était celui d’un analyste senior pour le Levant (le Liban, la Syrie, la Jordanie, Israël et une partie de la Turquie). Daniel a énormément souffert de troubles de stress post traumatique (PTSD) et on lui avait diagnostiqué une lésion cérébrale et plusieurs autres maladies liées à la guerre. Le 10 juin 2013, Daniel a écrit la lettre suivante à sa famille avant de mettre fin à ses jours. Daniel avait 30 ans. Sa femme et sa famille ont autorisé sa publication.

 

Je regrette d’en arriver là.

 

Le fait est, qu’aussi loin qu’il m’en souvienne, ma motivation à me lever chaque matin était que vous n’ayez pas à m’enterrer. Comme les choses continuent à empirer, il est devenu clair que cette unique raison n’est plus suffisante pour continuer. Le fait est que je ne vais pas mieux, que je n’irai pas mieux et que ça va empirer avec le temps. D’un point de vue logique, il est préférable d’en finir rapidement, quelles qu’en soient les répercussions sur le court terme, plutôt que de faire traîner les choses.

Vous serez peut-être tristes un moment, mais au fil du temps vous oublierez et commencerez à accepter. Cela vaut bien mieux que de vous infliger ma misère croissante pendant des années voire des décennies, en vous entrainant vers le fond avec moi. C’est parce que je vous aime que je ne peux pas vous faire subir cela. Vous verrez que c’est bien mieux ainsi quand, jour après jour, vous n’aurez pas à vous inquiéter pour moi ni même à y penser. Vous constaterez que votre monde sera meilleur sans moi.

J’ai vraiment essayé de tenir, depuis plus d’une décennie maintenant. Chaque jour je tenais bon, supportant l’horreur indicible aussi discrètement que possible afin que vous puissiez ressentir que j’étais toujours là pour vous. En vérité, je n’étais rien de plus qu’un accessoire, remplissant l’espace de sorte que mon absence ne soit pas remarquée. En vérité, j’étais déjà absent depuis très longtemps.

Mon corps n’est devenu rien d’autre qu’une cage, une source de douleur et de problèmes constants. La maladie m’a causé une douleur que même les médicaments les plus forts ne pourraient assourdir et il n’y a aucun remède. Toute la journée, chaque jour, une souffrance hurle dans chaque terminaison nerveuse de mon corps. Ce n’est rien de moins que de la torture. Mon esprit est un terrain vague, rempli de visions d’horreur, la dépression sans fin, et l’anxiété paralysante, malgré tous les médicaments que les médecins me donnent. Les choses simples que tous les autres considèrent comme évidentes sont presque impossibles pour moi. Je ne peux pas rire ou pleurer. Je peux à peine quitter la maison. Je ne tire aucun plaisir de n’importe quelle activité. Tout se réduit simplement à passer le temps jusqu’à ce que je puisse dormir de nouveau. Maintenant, dormir pour toujours semble être la chose la plus miséricordieuse.

Vous ne devez pas vous en vouloir. La simple vérité est la suivante : Lors de mon premier déploiement, on m’a fait participer à des activités, dont l’horreur est difficile à décrire. Crimes de guerre, crimes contre l’humanité. Bien que je n’aie pas participé de mon plein gré, et que j’aie fait, il me semble, de mon mieux pour arrêter ces événements, il y a certaines choses dont une personne ne peut tout simplement pas revenir. J’en tire une certaine fierté, en réalité, revenir à une vie normale après avoir participé à une telle chose serait d’après moi la marque d’un sociopathe. Cela bien au-delà de ce dont la plupart peuvent avoir conscience.

Me forcer à faire ces choses, puis participer à la dissimulation qui a suivi, est plus que tout gouvernement est en droit d’exiger. Ensuite, le même gouvernement a détourné les yeux et m’a abandonné. Ils n’offrent aucune aide et bloquent toute tentative d’obtenir une aide extérieure via leurs agents corrompus de la DEA. Toute la faute vient d’eux.

En plus de cela, il y a la foule de maladies physiques qui m’ont frappées encore et encore, et pour lesquelles ils n’offrent aucune aide non plus. Il pourrait y avoir des progrès aujourd’hui s’ils n’avaient pas passé près de vingt ans à nier la maladie à laquelle moi et tant d’autres avons été exposés. Pour compliquer encore les choses, il y a les lésions cérébrales répétées et graves auxquelles j’ai été soumis et pour lesquelles ils semblent refuser aussi tout effort de compréhension. Ce que l’on sait, c’est que chacun de ces points était suffisant pour déclencher une assistance médicale d’urgence, ce qui n’a pas été fait.

Enfin, la DEA entre en scène à nouveau en réussissant à créer une telle culture de la peur dans la communauté médicale que les médecins sont trop effrayés pour prendre les mesures nécessaires pour maîtriser les symptômes. Le tout sous couvert d’une « épidémie de prescriptions excessives», complètement fabriquée en totale opposition avec l’ensemble de la recherche légitime. Peut-être, qu’avec le bon médicament à la bonne dose, j’aurais pu bénéficier de quelques années décentes, mais même cela est trop demander à un pays construit sur l’idée que la souffrance est noble et le soulagement réservé aux faibles.

Toutefois, lorsque les difficultés sont déjà si grandes que presque tous auraient abandonné, ces facteurs supplémentaires sont suffisants pour pousser une personne à bout.

Faut-il s’étonner alors que les derniers chiffres montrent que 22 vétérans se suicident chaque jour ? C’est plus d’anciens combattants que d’enfants tués à Sandy Hook, chaque jour. Où sont les grandes initiatives politiques ? Pourquoi le président ne se tenait-il pas avec ces familles lors de l’état de l’Union? Peut-être parce que nous n’avons pas été tués par un fou isolé, mais plutôt par son propre système de déshumanisation, de négligence et d’indifférence.

Il nous abandonne là où tout ce que nous avons à espérer est souffrance constante, misère, pauvreté, et déshonneur. Je vous assure que, lorsque les chiffres baisseront finalement, ce sera simplement parce que ceux qui ont été poussés le plus loin seront tous déjà morts.

Et tout cela pour quoi ? La folie religieuse de Bush? La fortune toujours croissante de Cheney et celle de ses amis des grandes sociétés ? Est-ce pour cela que nous détruisons des vies ?

Depuis lors, j’ai tout essayé pour combler le vide. J’ai essayé d’obtenir un poste avec plus de pouvoir et d’influence pour tenter de redresser certains torts. J’ai de nouveau été déployé, et j’y ai dépensé une énergie considérable à sauver des vies. Le problème, cependant, est que les nouvelles vies sauvées ne remplacent pas ceux qui ont été assassinés. Il s’agit d’un exercice futile.

Ensuite, j’ai poursuivi en remplaçant la destruction par la création. Pour une fois, cela m’a fourni une distraction, mais cela ne pouvait pas durer. Le fait est que toute forme de vie ordinaire est une insulte à ceux qui sont morts par ma main. Comment pourrais-je aller et venir comme tout le monde, alors que les veuves et les orphelins que j’ai créés continuent à lutter ? S’ils pouvaient me voir assis ici en banlieue, dans ma maison confortable, travailler sur certains projets musicaux, ils seraient scandalisés, et à juste titre.

J’ai pensé que je pourrais peut-être faire quelques progrès avec ce projet de film, faisant peut-être même directement appel à ceux que j’avais trompé et exposant une vérité plus grande, mais cela m’a aussi été retiré. Je crains que, comme pour tout ce qui nécessite l’implication des personnes qui ne peuvent pas comprendre du fait qu’ils ne sont jamais allés là-bas, ce projet va être gâché tout comme ma carrière.

La dernière pensée qui m’est venue est en quelque sorte une mission finale. Il est vrai que je pense que je suis capable de trouver une sorte de sursis en faisant des choses qui sont dignes d’intérêt à l’échelle de la vie et de la mort. Alors que c’est une belle pensée d’envisager de faire quelque chose de bien avec mes compétences, mon expérience et mon instinct de tueur, la vérité est que ce n’est pas réaliste.

Tout d’abord, il y a la logistique de financement et d’équipement de ma propre opération, puis la quasi certitude d’une mort horrible, d’incidents internationaux et d’être accusé d’être un terroriste dans les médias qui suivraient l’affaire. Cependant ce qui est m’en empêche vraiment, c’est que je suis tout simplement trop malade pour être encore efficace dans le champ de bataille. Cela, aussi, m’a été retiré.

Ainsi, il ne me reste quasiment rien. Trop pris au piège dans une guerre pour être en paix, trop endommagé pour être en guerre. Abandonné par ceux qui voulaient prendre la voie facile, et redevable vis à vis de ceux qui tiennent bon – et méritent donc mieux. Donc, vous voyez, non seulement je suis mieux mort, mais le monde sera mieux sans moi.

C’est ce qui m’a amené à cette dernière mission. Pas un suicide, mais un meurtre par compassion. Je sais comment tuer, et je sais comment faire pour qu’il n’y ait aucune douleur. Cela a été rapide, et je n’ai pas souffert. Et par-dessus tout, maintenant je suis libre. Je ne ressens plus aucune douleur. Je n’ai plus de cauchemars ni flash-backs ni hallucinations. Je ne suis plus constamment déprimé ni effrayé ni inquiet.

Je suis libre.

Je vous demande d’être heureux pour moi. C’est peut-être le meilleur repos que je pouvais espérer. Acceptez le, s’il vous plaît, et soyez ravi pour moi.

 

Daniel Somers

 

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