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26 avril 2024

Libye : La désintégration


LIBYE : LA DÉSINTÉGRATION

L’AFRIQUE RÉELLE

JUILLET 2013

La Libye s’enfonce chaque jour un peu plus dans le néant. De ce pays à l’unité inexistante, le colonel Kadhafi avait tenté de faire un semblant d’Etat. Une fois renversé, la fragile construction a éclaté. Aujourd’hui, les « au- torités » de Tripoli ne contrôlent, et encore, qu’une petite partie du pays. Le reste est abandonné aux milices tri- bales et à Aqmi.

A la différence de la Tunisie ou de l’Egypte, la Libye dont plus de 90% du territoire est désertique, n’est pas une nation mais un conglomérat de plus de 150 tribus di- visées en sous tribus et en clans. Ces ensembles ont des alliances traditionnelles et mouvantes au sein des trois régions composant le pays, à savoir la Tripolitaine avec la ville de Tripoli qui regarde vers Tunis, la Cyrénaïque dont la capitale est Benghazi et qui est tournée vers Le Caire et le Fezzan qui plonge vers le bassin du Tchad et la boucle du Niger.

L’irrédentisme de la Cyrénaïque est une donnée histo- rique. Dans les années 1945-1950, quand l’ONU força la Grande-Bretagne, l’Italie et la France à accélérer le pro- cessus d’indépendance de la Libye, les tribus de Cyrénaïque, réticentes à l’idée de la création d’un Etat li- byen, n’acceptèrent l’union qu’à deux conditions :

1) Que le chef de la confrérie sénoussiste, Idriss en de-

vienne le chef. Il régna sous le nom d’Idriss Ier de 1951 à

1969.
2) Qu’une large autonomie soit reconnue à la Cyrénaïque.

De l’indépendance de la Libye en 1951 jusqu’au coup d’Etat qui porta le colonel Kadhafi au pouvoir en 1969,

la Libye fut une monarchie dirigée par les tribus de Cyrénaïque.

En 1969, Mouammar Kadhafi abolit la monarchie et imposa la domination de la Tripolitaine, ce que la Cyrénaïque n’accepta jamais. Même si cette constante fut un temps mise entre parenthèses après que le colo- nel eut épousé une fille du clan des Firkeche membre de la tribu royale des Barasa, ce qui lui assura pour un temps le ralliement de la Cyrénaïque. Cependant, son système d’alliance avec la Cyrénaïque a volé en éclats avec la guerre civile.

Les fractures libyennes qui sont multiples ont été aggra- vées par la guerre menée par la France contre le régime du colonel Kadhafi. Aujourd’hui, il existe trois Libye qui connaissent toutes trois des divisions internes :

1) En Cyrénaïque, les tensions sont vives entre les isla-

mistes fondamentalistes et les membres des confréries

soufies dont le poids régional est important. Impitoya-

blement pourchassés par le régime du colonel Kadhafi,

les islamistes, dont le fief est la ville de Derna, véritable émirat taliban, tentent d’investir Benghazi à partir du jebel Akhdar[1].
Le 6 mars 2012, à Benghazi, Ahmed Zubair al-Senoussi, parent de l’ancien roi Idriss et membre éminent de la confrérie senoussiste, fut élu émir par les chefs des tri- bus de Cyrénaïque. Cet acte politique était un signal fort envoyé aux autorités de Tripoli car il signifiait que la région se prononçait pour une orientation très fédé- rale. Cette revendication fédéraliste récurrente explique d’ailleurs pourquoi la Cyrénaïque se souleva dès le dé- but de l’année 2011 contre le colonel Kadhafi et son pouvoir perçu comme tripolitain.

Faire la liste des affrontements entre les milices qui se partagent la Libye est une tâche impossible tant l’anarchie règne sur ce pays déstabilisé. Durant les seuls trois derniers jours du mois de juin 2013, Tripoli, Sebha, Benghazi ont connu combats, attentats, assassi- nats et représailles.

Le gouvernement ne contrôle même pas Tripoli où, à la fin du mois de juin, la milice berbère de Zenten a at- taqué plusieurs milices islamistes dans le quartier d’Abou Slim afin de libérer certains de ses membres qui avaient été kidnappés.

Cette anarchie se traduit par des démissions en série.

Le 9 juin, Youssef al-Mangoush, chef d’état-major

avait abandonné ses fonctions après les sanglants af-

frontements de Benghazi ; le 27 juin ce fut le tour du ministre de la défense Mohamed al-Barghathi.

2) La Tripolitaine est coupée en quatre :

– Tripoli est sous le contrôle de milices rivales, majoritai- rement islamistes et soutenues par le Qatar, et qui n’obéissent qu’à leurs chefs respectifs.
– Misrata est aux mains de milices gangsgtéro- fondamentalistes unanimement détestées. Ce furent leurs membres qui massacrèrent le colonel Kadhafi et qui tranchèrent les mains de son fils.

– Au Sud, la tribu des Warfalla qui, à elle seule totalise environ 30% de la population de la région, ne reconnaît pas l’autorité du « gouvernement ».

– Les régions du jebel Nefusa (Adrar en berbère), autour de Yafren sont quasi autonomes. Elles sont peuplées de

Berbères arabophones et berbérophones[2].

3) Le sud de la Libye a éclaté en deux zones qui, toutes deux, échappent totalement au « gouvernement » de Tripoli. Celle de l’ouest, vers Ghat, est peuplée par des Touaregs, celle du centre/sud/est, de Mourzouk à Koufra, par des Toubou.

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[2] Les berbérophones – et non tous les Berbères -, totalisent 10% de la population libyenne, mais comme ils vivent à plus de 90% en Tripolitaine, ramenée à cette seule région, ils y sont 20%.

LIBYE : SI SARKOZY AVAIT ÉCOUTÉ IDRISS DÉBY ET NON BHL…

Le 7 juin 2013, le président Idriss Déby Itno a jeté un pavé dans la mare en déclarant que la Libye est au bord de l’explosion et que cette explosion menace les pays voisins.

Cette annonce n’était pas une surprise car, en 2011, le président Tchadien avait clairement mis en garde le belli- queux Nicolas Sarkozy et BHL, son « philosophe boute-feu ». Il ne fut hélas pas écouté ; aujourd’hui, toute la sous-région paie le prix de cette colossale erreur que fut l’intervention française en Libye.

Au mois de juillet 2012, le président Déby déclarait, amer, que :

« Depuis le début des opérations de l’Otan en Libye et jus- qu’à la chute de Kadhafi, je n’ai cessé de mettre en garde quant aux conséquences non maîtrisées de cette guerre. J’ai trop longtemps prêché dans le désert (…) les nouvelles autori- tés libyennes ne contrôlent toujours pas leur propre territoire

(…). Plus généralement, quand je regarde l’état actuel de la Libye, où chaque localité est gouvernée sur une base tribale par des milices surarmées ou par ce qu’il reste des forces fi- dèles à Kadhafi, ma crainte a un nom: la somalisation » (Idriss Déby, président de la République du Tchad, dans Jeune Afrique, le 23 juillet 2012)

Un an plus tard, le président tchadien sonne l’alarme quand, ses prévisions s’étant hélas réalisées, il constate que « Tous les radicaux islamistes sont aujourd’hui en Libye », ce qui est la conséquence directe de la guerre franco-libyenne : « Sans doute de bonne foi, la France pensait qu’après Kadha-fi, la Libye allait avoir un régime démocratique et organisé.

C’était vraiment méconnaître la société libyenne.
Le Mali a été le premier pays touché par les problèmes li- byens, mais il ne faut passe leurrer, nous, les pays du Sahel, nous allons tous être touchés (…) Hier les jihadistes n’avaient pas de terrain. Maintenant ils en ont un : c’est la Libye tout entière (…) Les jihadistes, je le confirme, sont en mesure de refaire ce qu’ils ont fait au Mali. Peut-être pas de la même manière, ils vont certainement changer de stratégie.

Ils ont des camps d’entraînement dans le Djebel Akhdar[1] et des brigades qui se constituent à Benghazi, Tripoli, à Sebha, au vu et su de tout le monde.

La situation évolue de la façon la plus négative possible pour la Libye, mais aussi pour nous (…) malheureusement, à l’horizon je ne vois pas dans les trois ou quatre années à venir une Libye stabilisée, à moins d’un miracle (…) La Libye est au bord de l’ex- plosion(…) C’est un pays qui n’a pas d’armée, pas d’institution, pas de société civile pour garantir la paix. Un pays qui est mis en coupe réglée par des brigades qui vont jusqu’à contrôler Tri-poli. Tous les radicaux islamistes sont aujourd’hui en Libye »

(Idriss Déby, Entretien au Figaro le 7 juin 2013).

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