Queques nouvelles de Tunis
5 janvier 2014
[Basta ! Journal de marche zapatiste multilingue يكفي ! جريدة المسيرة الزاباتية ا
Rym Ben Fradj & Fausto Giudice
spécial pour La Pluma, 30/12/2013
Pour celles et ceux d’entre nous qui (sur)vivent à l’extrémité nord-est du continent africain, un premier constat global s’impose : le coût de la vie n’a cessé d’augmenter et le prix de la vie de baisser, tandis que le seul produit dont la consommation a explosé, c’est …la bière nationale (dont les islamistes au pouvoir, loin de l’interdire, ne font qu’augmenter les taxes pour financer le budget du…ministère des …Affaires religieuses…). En tout cas, nous sommes toujours en vie, grâce à…(cocher la bonne mention). Revue de détail.
Commençons par la fin de l’année. En cette fin d’année, une seule bonne nouvelle : les employés des impôts, qui mènent depuis des mois des grèves perlées de 2 heures par jour, cesseront entièrement le travail les 30 et 31 décembre, ce qui laisse un répit aux mauvais payeurs (ce qui, ici, est un pléonasme) jusqu’au jeudi 2 janvier.
En novembre, une délégation du FMI est venue nous voir (enfin, pas nous personnellement) et a déclaré : « Au vu de la situation, on ne va pas pouvoir vous accorder la deuxième tranche du crédit de 1,7 milliard de dollars ». Extrait du communiqué n° 13/482 : « Des chocs exogènes et endogènes importants ont posé de sérieux défis à l’économie tunisienne. La longue gestation du processus de transition politique ainsi que des incidents sécuritaires ont eu un impact négatif sur la confiance dans l’économie tunisienne, se traduisant par un ralentissement de la croissance, un retard dans la mise en place des réformes et un prolongement de l’attentisme des investisseurs ». Les prévisions de croissance des Washington Boys pour 2014 : 2,7% contre 4% initialement prévus. La situation qui effraye même les tontons de la Banque mondiale et du FMI peut se résumer en un mot : blocage. Bref, le pays pédale dans la semoule
L’Assemblée nationale constituante issue des élections du 23 octobre 2011 aurait du adopter la nouvelle Constitution dans les 12 mois de sa brève existence, après quoi on aurait eu droit à des élections générales, législatives et présidentielle, prévues pour l’automne 2012. Plus d’un an plus tard, mathamma chei, ou comme disent les Algériens, oualou. Du vent, du vent, du vent : pas de Constitution, pas d’élections. Au lieu de cela, un « dialogue national » made in China (expression tunisienne pour désigner quelque chose qui ne fonctionne pas, comme les portables, les chargeurs, les cartes-mémoire, les jouets, bref toute la camelote qui arrive par containers entiers au port de Radès).
Ce « dialogue national » avait été lancé suite aux protestations déclenchées par l’assassinat, en juillet dernier, du nationaliste nassérien Mohamed Brahmi, un des responsables du Front populaire, qui regroupe une douzaine de groupuscules de gauche et d’extrême-gauche. Auparavant, en février, Chokri Belaïd, autre responsable du Front populaire, avait inauguré la série des cadavres exquis. Les protestations suite à ces deux assassinats ont été rapidement récupérées par les vieux loups et renards bourguibistes du parti qui se présente comme la seule alternative aux islamistes, Nidaa Tounes (L’Appel de Tunisie). Ce parti, véritable auberge tunisienne, est un ramassis hétérogène de vieux caciques destouriens, d’ex-rcdistes (le RCD était le parti de Ben Ali), d’ex-communistes et de transfuges de divers autres partis, le tout sous l’étendard de la laïcité. Il est parvenu à prendre la direction des opérations lors des protestations qui se sont exprimées par un sit in devant le siège de l’Assemblée au Bardo, créant un Front de Salut National, auquel le Front populaire s’est intégré, une fois débarrassé du seul opposant à cette alliance, Chokri Belaïd. Ce qui n’est pas sans poser des problèmes aux militants d’extrême-gauche, dont une bonne partie ne sont pas prêts à vendre leur âme en échange d’un hypothétique fauteuil de ministre pour le chef suprême du Front populaire, Hamma Hammami, un marxiste-léniniste de tendance…pro-albanaise.
Et voilà donc cette opposition hétéroclite embarquée dans une campagne exigeant la démission d’un gouvernement dont on se demande d’ailleurs ce qu’il gouverne, à part les comptes en banque de ses ministres, et la démission de l’Assemblée, ce qui relève de la plus pure utopie. Tout Tunisien interrogé dans la rue vous dira que la seule chose qui intéresse les députés de cette assemblée transitoire, ce sont leurs 4 500 Dinars (= 2000 €) par mois et les diverses gratifications que leur poste leur rapporte. Quant aux ministres, ils s’accrochent à leurs fauteuils comme le naufragé à sa bouée, et font le forcing pour placer leurs proches. Bref, pour le dire avec les mots de la rue tunisienne, un « gouvernement d’ânes », incapable de diriger une administration laissée en roue libre – slogan : « Revenez demain ou bien payez ». Parmi les nombreux exemples anecdotiques de cette ânerie : un secrétaire d’État a souhaité un bon réveillon de Nouvel An (chrétien) à…la « minorité juive en Tunisie »….
« Nahna najamou zitoun, ou entouma tbaatou fi sheratoun » (« Nous on ramasse les olives, vous, vous passez la nuit au Sheraton ») : ce fut le slogan lancé par des diplômés chômeurs en réponse à la proposition du ministre du Travail et de l’Emploi qui avait déclaré que ce n’était pas sa tâche de procurer du travail aux chômeurs et avait proposé aux diplômés dans cette situation d’aller ramasser des olives. Pendant ce temps, le ministre barbu des Affaires étrangères, nommé Bouchlaka (« =le père la savate), beau-fils de l’Émir –Rachid Ghannouchi, guide suprême des islamistes au pouvoir –détenteur d’un doctorat inexistant, et l’un des rares Tunisiens à ne parler qu’une seule langue, avait été au centre d’un scandale à la DSK, une nuit passée à l’hôtel Sheraton faisant face au ministère, aux frais de ce même ministère, avec une dame de sa connaissance, bien sûr voilée.
Les alliés « laïcs » des islamistes au sein de la « troîka » au pouvoir ne sont pas en reste. Madame Badi, ministre de la Femme, interpellée sur sa consommation rétribuée de 1000 litres d’essence par mois, a répondu : »Ceux qui ne sont pas contents n’ont qu’à aller boire l’eau de la mer ».
Face au blocage institutionnel, les grandes maisons (syndicat des patrons, syndicat des salariés, Ligue des droits de l’homme) ont amené gouvernement et opposition à instaurer un dialogue national, qui, en cette fin d’année n’a toujours pas abouti. Les Tunisiens auront-ils l’honneur de retourner aux urnes en 2014 ? Même si c’est le cas, beaucoup d’entre eux, durablement dégoûtés par les élections de 2011, ne se dérangeront même pas pour aller voter.
Frappés en 2013 par des évènements sinistres* dignes de l’ancienne dictature, les Tunisiens, frustrés de leur révolution inaboutie de 2011 –deux Tunisiens sur trois souffrent de dépression -, rongent leur frein et risquent, en 2014 d’étonner une nouvelle fois le monde.
* Violences policières de masse, morts sous la torture (dont un « par overdose de haschich », ça ne s’invente pas), viols policiers, arrestations arbitraires d’artistes et de militants, actes de terrorisme manipulé. Rien qu’en septembre 2013, on a enregistré 37 agressions contre 53 journalistes. Lire Rapport sur les violations commises sur la presse en Tunisie au cours du mois de septembre 2013.
Les auteurs sont éditeurs à Tunis
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» Edition Spéciale « bilan 2013»