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27 décembre 2024

Mandela et le Mossad : un hoax made in Israël


Mandela et le Mossad : un hoax made in Israël

par Gilles Munier (Afrique Asie – février 2014)*

Israëlafrique – S’attaquer à la mémoire du leader sud-africain en affirmant sans preuve qu’il a été entrainé par le Mossad est de la calomnie. Israël espère qu’il en restera quelque chose.

Un certain David Fachler, chercheur et colon israélien originaire d’Afrique du Sud, a affirmé que Nelson Mandela s’est présenté en 1962 à l’ambassade d’Israël en Ethiopie, sous le nom de « David Mobsari », pour demander à être formé au maniement des armes et au sabotage, et que le Mossad a été chargé de son entraînement.

Ce n’est qu’en octobre 1962, après la parution dans la presse des photos de militants de l’ANC (African National Congress) arrêtés près de Johannesburg que le Mossad a découvert, dit-il, que « David Mobsari » et Nelson Mandela ne faisaient qu’un.

Ce bidonnage calomnieux – ce hoax, comme on dit aujourd’hui –, paru le 20 décembre dernier, curieusement sur le site Internet de Haaretz, quotidien considéré en Israël comme pro-palestinien, est à prendre avec des pincettes. Le fac-similé de la note du Mossad n’a pas été publié. Le communiqué du 9 décembre des Archives diplomatiques israéliennes faisant état d’une conversation sur la situation au Proche-Orient entre un représentant israélien « non-officiel » et « Mobsari » est bien vague et ne prouve rien… sinon que Benjamin Netanyahou et l’ultra-raciste Avigdor Lieberman – redevenu ministre des Affaires étrangères – sont au centre de l’opération visant Mandela.

Vrais faux passeports

Donner le « coup de pied de l’âne » à un dirigeant révolutionnaire qui n’a cessé de conspuer le racisme et le colonialisme israélien est une piètre vengeance, surtout deux semaines après son décès. En 1962, Nelson Mandela, commandant en chef de l’Umkhonto we Sizwe (Fer de lance de la Nation), branche militaire de l’ANC, n’avait pas besoin du Mossad pour s’entrainer au tir ou pour fabriquer des explosifs. Il l’avait déjà fait dans une base de l’Armée de libération nationale algérienne au Maroc en mars-avril de cette année-là, puis en Ethiopie dans le cadre du soutien apporté à l’ANC par l’empereur Haïlé Selassié.

Jacques Vergès se souvenait avoir reçu Mandela à Rabat, qui voyageait avec un passeport éthiopien sous le nom de « David Modsarmayi ». Suspendu en raison de son soutien au FLN, l’avocat était chargé par Abdelkrim al-Khatib, ministre marocain des Affaires africaines, d’aider les mouvements de libération africains. Il leur fournissait de « vrais faux passeports », un peu d’argent, et « fermait les yeux sur les colis très lourds venant de Chine, ou d’ailleurs ».

Au Maroc, Mandela s’est d’abord longuement entretenu avec le docteur Chawki Mostefaï, représentant du Gouvernement provisoire de la République Algérienne (GPRA), qui lui a conseillé de ne pas négliger le côté politique de la guerre, « l’opinion internationale valant parfois plus qu’une escadrille d’avions de combat ». Vergès a ensuite accompagné « Modsarmayi » dans un camp du FLN près d’Oujda, où ils ont été accueillis par Abdelaziz Bouteflika, secrétaire du colonel Boumediene.

La formation militaire de Mandela a été organisée par Abdelhamid Brahimi, futur Premier ministre. Son instructeur était Mohamed Lamari, plus tard général et chef d’Etat-major de l’armée algérienne. Durant son séjour, Mandela a assisté au défilé militaire en l’honneur d’Ahmed Ben Bella et de Mohamed Boudiaf, récemment libérés par les autorités françaises.

Nelson Mandela a poursuivi son entrainement à Kolef, en Ethiopie, dans l’Ethiopian Riot Battalion, – mais pas sous la houlette du Mossad (cf. plus bas). L’article bidonné de Haaretz démontre simplement que le passage d’un membre de l’ANC au Maroc, puis dans une unité combattante du FLN, ont été rapportés au SDCE, service de renseignement français qui entretenait d’excellentes relations le BOSS (service secret sud-africain), et que des agents israéliens ont pris le relai pour le compte de leurs homologues, car la guerre de libération palestinienne n’en était qu’à ses débuts. Des fedayin passaient la frontière israélienne pour attaquer des bases et des kibboutz, mais l’OLP n’existait pas et Yasser Arafat n’avait pas encore créé le Fatah.

Réagissant au hoax de Haaretz, le Fondation Mandela a fait savoir qu’un de ses chercheurs s’est entretenu en 2009, en Ethiopie, avec d’anciens militaires ayant formé Nelson Mandela et qu’il n’a décelé « aucun indice d’une connexion israélienne » au cours de son séjour à Addis-Abeba.

Affinités idéologiques avec l’apartheid

Si Shimon Peres et Benjamin Netanyahou ne se sont pas rendus aux obsèques de Nelson Mandela, ce n’est pas en raison du coût du voyage, mais parce qu’ils avaient « peut-être honte d’y aller », comme l’a dit le journaliste Jean-Pierre Elkabbach sur Europe n°1. Ils craignaient sans doute d’être battus froids par une partie de la classe politique sud-africaine. En effet, dans les années 1970, Shimon Perez – ministre de la Défense – était un des principaux acteurs de la coopération Israël-Afrique du Sud, rompant avec la politique d’ouverture lancée par Ben Gourion et Golda Meïr en direction des Etats africains nouvellement indépendants. Grâce à lui, les connivences entre le Mossad et la BOSS s’intensifièrent. Outre la chasse aux membres de l’ANC et la fourniture de matériels d’écoute sophistiqués, Israël fit partager aux agents secrets sud-africains son expérience en matière d’assassinats ciblés et d’envois de colis piégés.

Aujourd’hui, Netanyahou est un des hommes politiques israéliens ayant le plus d’affinités idéologiques avec la politique des Bantoustans pratiquée sous l’apartheid, tandis que l’Afrique du Sud condamne l’occupation des territoires palestiniens et est à l’avant-garde du boycott des produits israéliens. On comprend que le courant passe plutôt mal entre les deux pays.

Pris entre deux feux, les juifs d’Afrique du Sud – environ 70 000 personnes – sont particulièrement inquiets de la campagne lancée par Advigor Lieberman pour les forcer à quitter le pays « avant qu’il ne soit trop tard ». Ils savent le Mossad capable d’organiser une provocation sanglante – le pogrom prédit par le ministre – pour qu’ils immigrent en Israël, comme il l’a fait en Irak dans les années 50. Zev Krengel, président du Conseil des députés juifs sud-africains, ne décolère plus depuis que Netanyahou a justifié son absence aux obsèques de Mandela par le prix élevé du déplacement, un prétexte fallacieux faisant des juifs, dit-il, des « gens avares », vieux stéréotype antisémite !

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« Ils »voulaient assassiner Mandela

Quelques semaines après son séjour au Maroc, Nelson Mandela est arrivé en Ethiopie – toujours sous le nom de « David Modsarmayi », et pas de « Mobsari » comme le prétend Haaretz – où le colonel Fekadu Wakene, officier de l’armée impériale l’a initié, entre autre, au maniement du mortier.

Le capitaine Guta Dinka, policier éthiopien retraité, chargé en 1962 de la protection rapprochée de Mandela, a révélé à la télévision sud-africaine, mi-décembre dernier, que le leader anti-apartheid a échappé, pendant son séjour, à une tentative d’assassinat. Un de ses collègues, nommé Abraham, l’a invité dans un grand restaurant d’Addis-Abeba où « un Blanc et un Africain » lui ont proposé 2 000 livres pour étrangler « Modsarmayi » et photographier son cadavre. Dinka a refusé et a informé son chef, le général Tadesse Birru – héros de la guerre contre les troupes italiennes d’occupation au début des années 1940 – du complot. Arrêtés, les deux hommes furent expulsés. L’affaire n’a pas été ébruitée.

En juillet 1962, Mandela a été rappelé d’urgence en Afrique du Sud pour relancer les activités militaires de l’ANC. Avant son départ, Tadesse Birru lui a offert un pistolet soviétique Makarov en témoignage d’amitié. L’arme n’a jamais servie. Le 5 août 1962, le BOSS a arrêté « Modsarmayi » à un barrage routier. Le général Birru a été exécuté en mars 1975 sous le régime de Mengistu Mariam.

* Afrique Asie (p.42-43)

http://www.wobook.com/WBD84sk8FZ6P-f

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