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23 novembre 2024

J’appartiens à un peuple juste, lent à se mettre en colère, mais dont rien ne peut endiguer la fureur


J’appartiens à un peuple juste, lent à se mettre en colère, mais dont rien ne peut endiguer la fureur

by entreleslignesentrelesmots
16/02/2014

soledad2Dans sa préface, Jean Genet écrit « Mais le plus surprenant, quand nous lisons ces lettres d’un jeune Noir enterré dans la prison de Soledad, c’est qu’elles reflètent parfaitement le chemin parcouru par l’auteur – lettres d’abord un peu maladroites à sa mère et à son frère, lettres à son avocate qui deviennent un extraordinaire développement, sorte d’essai et de poème confondus, enfin les dernières lettres, d’une délicatesse extrême et dont on ne connaît pas le destinataire. Et, de la première lettre à la dernière, rien n’a été voulu, écrit ni composé afin de construire un livre ; cependant le livre est là, dur, certain, et je le répète, à la fois arme de combat pour une libération et poème d’amour. En cela je ne vois aucun miracle, sauf celui de la vérité même, qui s’expose toute nue ».

La prison, le cachot, les gardiens blancs, le racisme « épars, diffus, sournois, morose, hautain, hypocrite », les corps… Un livre écrit en prison, « les mots interdits, maudits, les mots ensanglantés, les mots crachés avec la bave, déchargés avec le sperme, les mots calomniés, réprouvés, les mots non écrits… ». Les mots de Jean Genet pour présenter les lettres de George Jackson, pour expliquer les ressources de la langue, « faire passer en elle toutes les hantises et toute la haine du Blanc ». Et une invitation : « Il faut lire ce qui suit, comme un manifeste, comme un tract, comme un appel à la révolte, puisqu’il est cela d’abord ».

Le collectif Angles morts (voir leur livre Vengeance d’État. Villiers-le-bel des révoltes aux procès, Editions Syllepse 2011, Absence de procès pour les uns et condamnation pour les autres), nous propose une lecture des « Frères de Soledad » comme arme « pour renforcer les luttes actuelles contre l’enfermement, le racisme d’État et la répression policière ».

Les prisons étasuniennes, les 132 émeutes entre 1967 et 1972, l’incarcération de masse des Noirs et des Latinos, « La construction d’une société carcérale passe par la mise en place de dispositifs de discipline et de châtiment qui se renforcent et se répandent dans toute la société : les incarcérations deviennent de plus en plus nombreuses et longues pour des délits moins ‘graves’ ». Le collectif explique, entre autres, la filiation entre le régime d’esclavage et le système pénitentiaire, le façonnage du vocabulaire du mouvement de prisonniers révolutionnaires, la prison comme extension des ghettos noirs et des barrios, etc.

« Si les détenus noirs et latinos sont de plus en plus nombreux à se considérer comme des prisonniers politiques, c’est qu’ils s’estiment victimes d’un ordre politico-économique oppressif ».

Prisonniers politiques, voir aussi Natacha Filippi : Brûler les prisons de l’apartheid. Révoltes de prisonniers en Afrique du Sud, Editions Syllepse 2012, Briser le silence qui a enseveli les paroles des révoltés enfermés

Révoltes en prison. « Le mécanisme de contrôle qui reposait sur invisibilité des prisons et des prisonniers se grippe, sous l’effet conjugué du militantisme à l’extérieur, des allers-retours d’individus politisés, et des révoltes à l’intérieur qui trouvent un relais à l’extérieur ». Amerika is the prison.

L’histoire de la répression et de l’enfermement, dont les peines indéterminées, doit être mise en rapport avec celle « d’un capitalisme bâti sur la ségrégation raciale et spatiale ».

Les luttes permettent d’estomper les divisions raciales entre prisonniers blancs, latinos et noirs, elles bénéficient de soutiens extérieurs. Procès des Frères de Soledad, mort de George Jackson. James Baldwin écrit : « Aucun Noir ne croira jamais que Jackson est mort de la façon dont ils nous ont dit qu’il est mort ».

Le collectif termine par la mise en résonance des Frères de Soledad et des frères de Villiers-Le-Bel, de l’industrie carcérale et du maintien de l’ordre, de la place du livre, de la voix de George Jackson aujourd’hui.

Dans son avant-propos, Jonathan Jackson Jr, parle entre autres, de assassinat de son père Jonathan au tribunal, des lettres de George et de leur publication, de l’écriture de l’histoire par les vainqueurs, de la politique des États-Unis et du rôle de l’incarcération, des privilèges, des alternatives radicales et de la nécessaire ré-appréhension du message de George Jackson.

A lire et faire lire en re-situant le vocabulaire, les illusions sur le « socialisme chinois », une vision très dévalorisante des femmes dans certaines lettres, dans le contexte de l’époque.

Des lettres, parfois magnifiques, pour, non seulement se souvenir de George Jackson et des révoltes de prisonniers, des dimensions raciales de la démocratie des États-Unis (Amérikkke), mais aussi actualiser les possibles des dimensions radicales, souvent oubliées, des combats des Afro-américain-ne-s.

George Jackson : Les frères de Soledad

Syllepse, http://www.syllepse.net/lng_FR_srub_37_iprod_589-les-freres-de-soledad.html, réédition d’un ouvrage paru en 1971 chez Gallimard, Paris 2014, 272 pages, 15 euros

Didier Epsztajn

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