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26 avril 2024

Libye : vers le démantèlement ?


 

Libye : vers le démantèlement ?

ʺLoin des boules puantes lancées à Paris contre lui, le modeste et doux djihadiste, Abdelhakim Belhadj, a retrouvé le train-train et la quiétude libyenne. Celle de Tripoli, ville capitale dont il est le maître. Notre imam a bien fait de choisir le calme, même s’il lui faut de temps en temps ramasser des cadavres sur son paillasson et baisser la tête pour se rendre au Parlement, en raison du dialogue à la kalachnikov qui sévit en Libye. Car, à Paris, derrière lui, le cher Abdelhakim a laissé des cris et des larmes, des hommes en colère.ʺ Jacques Marie Bourget

Lorsque l’OTAN a assassiné Mouammar Kadhafi de sang-froid, les observateurs avertis ont prédit que sa disparition n’allait pas marquer la fin de la guerre, mais serait, à l’image de l’Irak, le début de son escalade. La Libye est à nouveau dans l’œil du cyclone. La reconquête de Beni Walid par les kadhafistes et la récente déclaration de l’autonomie de la Cyrénaïque, riche en pétrole, par des chefs tribaux et des milices ne sont que des signes avant-coureurs des guerres à venir. Le CNT, installé par les États-Unis et l’OTAN comme gouvernement officiel, s’est avéré incapable d’exercer son contrôle, même sur la capitale, Tripoli, dont le principal aéroport reste sous contrôle d’une de ces milices. En fait, de nombreux membres du CNT ne se déplacent pas librement en Libye, et beaucoup d’entre eux passent leurs nuits à Malte par crainte de représailles. Plus de 100 milices tribales et d’autres milices citadines (milices de villes) contrôlent, dans les faits, une grande partie du pays, et à l’occasion, se font une guéguerre plus ou moins larvée.

Le désert libyen est devenu un haut lieu de la contrebande et du terrorisme

Le sud de ce pays est devenu le nouveau sanctuaire des terroristes du Sahel, en particulier d’al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). Les trafiquants y règnent en maître et y ont trouvé une nouvelle porte d’accès pour atteindre l’Europe. Ce qui s’est passé, c’était un reflux massif des gens d’al-Qaida donc d’Aqmi, du Mouvement pour l’unicité et le jihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), d’Ansar Dine… à partir de la fin de l’année 2012 alors que l’intervention militaire française au Mali -l’opération Serval- était pressentie dans les milieux jihadistes. Le noyau dur des combattants d’Aqmi s’était, lui, regroupé en prévision justement de cette attaque dans un nouveau sanctuaire qui était le sanctuaire libyen.

Le premier ministre libyen par intérim a rejeté toute évolution vers un État fédéré en déclarant : « Nous ne voulons pas revenir 50 ans en arrière ». Il faisait référence au régime réactionnaire et corrompu du roi Idris, qui a gouverné la Libye jusqu’à son renversement par le Mouvement des officiers libres d’inspiration nassérienne, dirigés par Kadhafi.

Idris avait été, en son temps et à l’instar des rois et émirs du pétrole, une marionnette aux mains l’impérialisme américano-britannique. Il leur avait octroyé deux bases militaires (dont la base aérienne géante américaine de Wheelus), et il a été un pion aux mains des grandes compagnies pétrolières américaines. Ce sont ces compagnies qui ont écrit la loi sur le pétrole du pays et qui ont obtenu des droits d’exploitation pratiquement sans restriction. Après son arrivée au pouvoir, Kadhafi a fermé les bases américaines et britanniques et a nationalisé l’ensemble des compagnies pétrolières étrangères opérant dans le pays. L’impérialisme ne le lui a jamais pardonné.

Les hommes forts ? Les ultras

En Libye, les vrais chefs sont ceux qui ont les armes et les milices, et ceux prêchent l’islam le plus intégriste.

Le meilleur exemple en est Abdelhakim Belhadj (1), un ancien d’Al-Qaïda, gouverneur de Tripoli. C’est un djihadiste « afghan » qui a troqué son treillis contre un complet veston et vise désormais le pouvoir par les urnes avec son nouveau parti, le Hezb el-Watan, de tendance « salafiste nationaliste », ou, à défaut des urnes, grâce à ses milices surarmées.

La reconquête s’opèrera en faisant table rase des dirigeants actuels grâce à la fameuse loi de bannissement politique votée sous la menace des kalachnikovs, cette loi que les islamistes tunisiens essaient d’imposer en Tunisie afin d’exclure tous les opposants. Cette loi risque d’exclure 500.000 personnes (presque la moitié de la population adulte !) de toute participation à la société nouvelle au motif qu’elles auraient été associées à la Libye de Kadhafi depuis 1969. « Du coup, des régions entières sont éliminées, la loi s’oppose à toute réconciliation nationale ».

Autre figure exemplaire. L’émir de Derna, ville symbole de l’insurrection contre Kadhafi, Abdelkarim al-Hasadi , justifie la lapidation et explique que « les talibans respectent les femmes ». Il est ultra populaire.

Parmi les futurs leaders, on trouve encore le grand mufti Sadiq al-Gariani, qui interdit aux Libyennes d’épouser des étrangers, même musulmans.

Ces ultras constituent avec bien d’autres les vraies éminences grises de la nouvelle Libye. A côté d’eux, les salafistes tunisiens et égyptiens sont vert pâlot et plutôt falots. La Libye est aujourd’hui « le plus radicalement réactionnaire des pays de la pseudo révolution arabe ».

On mesure le succès de la mission de l’OTAN, afin « d’instaurer la démocratie », en consultant les chiffres suivants :

  • En 2010, sous le « régime de Mouammar el-Kadhafi », il y avait en Libye : 3,8 millions de Libyens et 2,5 millions de travailleurs étrangers soit 6,3 millions d’habitants.
  • Aujourd’hui : 1,6 million de Libyens sont en exil, et 2,5 millions d’immigrés ont fuit le pays pour échapper aux agressions racistes.
  • Il reste environ 2,2 millions d’habitants. Ces chiffres ne tiennent pas compte du nombre de victimes durant l’intervention, leur évaluation restant sujette à caution.

Deux Premiers Ministres !

Le Parlement libyen, dont le mandat a pris fin le 7 février 2014, s’est pourtant réuni le 4 mai pour élire le nouveau Premier ministre après la démission d’Abdallah Al-Theni. Le Congrès Général National (CGN) n’a pas réussi à réunir 120 voix sur un nom. Ahmed Miitig , un homme d’affaire islamiste du clan de Misrata, était soutenu par les partis islamistes, notamment Al-Watan (qui inclut des anciens leaders d’Al-Qaïda). Ceux-ci ont récusé le scrutin secret et ont contraint les députés à un vote à main levée. C’est ainsi qu’Ahmed Miitig a été « élu » avec 121 voix. Les opposants de M. Miitig font valoir que la séance avait été close, que de nombreux députés étaient partis et contestent ce décompte. Ils ont déclaré invalide l’élection et appelé le Premier ministre de transition à continuer son travail. Finalement, la Libye est gouvernée aujourd’hui par deux Premiers ministres. Cette confusion illustre les divisions profondes à la tête d’un Etat déjà faible et qui n’arrive pas à imposer son autorité sur des milices qui font la loi dans le pays et qui agissent en toute impunité.

La catastrophe dont personne ne parle

Meurtres, règlements de comptes, tortures, arrestations arbitraires, viols, massacres, sans parler du génocide (à l’encontre des immigrés africains, des autochtones Berbères et Noirs ), présence massive d’Aqmi dans le sud, implantation d’Al-Qaïda en Cyrénaïque, trafic de drogue, trafic d’armes et déstabilisation régionale…C’est une nation en lambeaux, disloquée et plus fragile que jamais, pleine de violence et de dangers, qu’on nous cache depuis maintenant des années.

Mais au-delà de ce constat, il y a la dimension de déstabilisation régionale.

Elle a créé un vaste espace ouvert aux groupes djihadistes et trafiquants en tous genres, qui se déplacent au gré des événements. Quand l’Algérie boucle ses frontières après In Amenas, ou quand la France et ses alliés reconquièrent le nord du Mali, le foyer se déplace vers la Tunisie (au djebel Chaambi et dans le sud) ou vers des sanctuaires du sud de la Libye, sans problèmes d’argent (merci le Qatar) ou d’armes (merci l’OTAN), prêt à ressurgir ailleurs.

Le rêve de démocratie et de liberté du peuple libyen s’est avéré être, comme en Tunisie ou en Egypte, un horrible cauchemar islamiste. Les milices sont partout et l’État n’est nulle part. Chaque mois, chaque semaine, chaque heure apporte une preuve nouvelle de la dislocation générale. Un formidable bond en arrière : le triomphe pour le sionisme (merci BHL) et pour l’impérialisme (encore merci l’OTAN).

(1) Abdelhakim Belhadj

À la tête du parti Al Watan, Abdelhakim Belhadj est souvent présenté comme l’un des hommes politiques les plus influents en Libye, particulièrement à Tripoli. Compagnon de route de Ben Laden, ancien combattant en Afghanistan dans les années 80, et en Irak, dans les années 2000, au côté d’Abou Mossab Al Zarqaoui, Belhadj avait participé à la guerre civile libyenne de 2011, et était devenu, à la chute de Mouammar Kadhafi, commandant du conseil militaire de Triploi.

Devenu, par la grâce des frappes de l’OTAN et la croisade de BHL en « faveur de la démocratie en Libye », une personnalité fréquentable (interview sur France 24 en ce premier mai) , Belhadj est le superviseur les entraînements des terroristes maghrébins destinés à défendre la « loi islamiste » en Syrie, dont des milliers de Tunisiens (dont 2000 sont morts à ce jour).. En décembre 2012, il a été hospitalisé dans une clinique de la capitale tunisienne où il aurait reçu, notamment, la visite du chef du gouvernement de l’époque, Hamadi Jebali. On comprend pourquoi le gouvernement islamiste tunisien « ne peut pas empêcher » les jeunes tunisiens d’aller tuer et se faire tuer en Syrie. Il en est de même du gouvernement « socialiste » français vis à vis des djihadistes français. Décidément, en Tunisie comme en France, les gouvernants sont soit des incapables, soit des fieffés menteurs, soit les deux à la fois.

 

Voir aussi : 

Libye : nouvelles révélations sur l’affaire Benghazi

Moyen Orient : Le plan américano-israélien

 Hannibal Genséric

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