Aller à…
RSS Feed

24 avril 2024

Bulletin d’information du groupe de travail «Afriques en lutte»


Bulletin d’information du groupe de travail «Afriques en lutte»

n°26– Printemps- Été 2014

Édito

Rwanda-France: Imprescriptible !

Ce printemps 2014 a été marqué par le vingtième anniversaire du génocide des Tutsis au Rwanda. Une fois de plus, les pouvoirs publics français se sont couverts de honte. Cette fois-ci, en annulant la participation des officiels français à la cérémonie de commémoration à Kigali, le 07 avril. La veille, le président rwandais Paul Kagamé avait rappelé, dans une interview pour « Jeune Afrique », la co-responsabilité française dans la genèse de ce génocide le plus récent de l’Histoire.

Les faits sont têtus, en effet, et certains d’entre eux commencent à sortir de l’ombre. Depuis 2012, une enquête est en cours contre un acteur français du génocide rwandais, l’ex-gendarme de l’Élisée Paul Barril ; elle semble s’accélérer. Paul Barril était actif au Rwanda pendant le génocide, titulaire d’un contrat avec le gouvernement génocidaire pour 3,3 millions de dollars intitulé… « opération insecticide ». Si jamais Paul Barril devait enfin rendre compte à La Justice – ce qui, pour l’instant, est loin d’être assuré -, il serait le premier Français à comparaître pour son rôle actif pendant le génocide. Pourtant, il est loin d’être le seul Français impliqué dans ce Crime contre l’humanité.

Le crime de génocide est imprescriptible. Si nous saluons le fait que le 14 mars 2014, pour la première fois, un génocidaire rwandais (Pascal Simbikangwa) ait été condamné à Paris – la justice française n’avait que trop tardé -, il serait grand temps d’engager enfin les premiers procès contre des acteurs français impliqués dans le génocide. Et, évidemment, d’ouvrir enfin les archives de l’État français couvrant cette période.

Bertold Du Ryon

Edito

Rwanda-France: Imprescriptible !

Brèves

Nouvelles du Continent

Botswana – Madagascar Afrique du Sud – Djibouti

Centrafrique : Triste bilan de la France Nigeria : Boko Haram et la guerre terreur

Françafrique

Dossier Rwanda 20 ans

Rwanda : n’oublions pas !
Banque mondiale et FMI jamais rassasiés Interview : Boubacar Boris Diop

Culture

Jean-Luc Einaudi Le rapport Brazza

Côte d’Ivoire: Ouattara Président Tchad-France : Déby, l’allié objectif

Mali : La France encore !

S O M M A I R E

BOTSWANA: Pour des salaires décents

Après la grande grève des travailleurs du service public en 2011, une importante échéance se profile de nouveau avec la lutte contre la décision unilatérale du gouvernement d’augmenter de 4 % les rémunérations, ce qui est notoirement insuffisant.

L’argument du gouvernement est connu : « Il n’y a pas d’argent dans les caisses de l’État », mais la réalité est toute autre. Pour les travailleurs, c’est la dèche, par contre pour les élites qui gaspillent les ressources du pays dans l’achat d’un jet privé pour la présidence ou dans la rénovation luxueuse du palais présidentiel, il y a profusion.

Dans sa déclaration, l’International Socialist Botswana appelle à la mobilisation et au renforcement du mouvement syndical.

Voir :http://www.afriquesenlutte.org/afrique- australe/botswana/article/botswana-don-t-let-them- divide-the

MADAGASCAR: Héry, un ami qui vous veut du bien

Dans son article de fond publié dans le dernier numéro Aujourd’hui l’Afrique, Jean-Claude Rabeherifara, étudie la nouvelle situation créée par la victoire électorale de Hery Rajaonarimampianina à l’élection présidentielle.

Si les lignes à l’intérieur de la classe dominante changent, l’application de la politique dictée par le FMI et la Banque mondiale continue à maintenir la population dans la misère. En effet, près de 92 % des Malgaches vivent en dessous du seuil de pauvreté.

Unifier les luttes éparses qui se développent dans le pays, éviter l’instrumentalisation de la société civile par les politiciens des factions dirigeantes

permettrait d’amorcer une réponse anticapitaliste à la crise de la Grande Ile.
Voir :http://www.afriquesenlutte.org/afrique-
australe/madagascar/article/madagascar-etat-residuel- et

AFRIQUE DU SUD : Crise sociale accentuée

Claude Gabriel analyse en détail la situation sociale et politique de l’Afrique du Sud à la veille de l’élection présidentielle.
Analysant les difficultés économiques du pays, il met en lumière comment l’empowerment a permis à une frange de la bureaucratie de l’ANC de s’enrichir. D’importantes ruptures apparaissent, en premier lieu, le parti de Julius Malema, ancien dirigeant de l’organisation de jeunesse de l’ANC. Ensuite, la terrible répression contre les mineurs de Marikana qui fit 34 morts et occasionna un véritable séisme dans le mouvement syndical. Le NUMSA, un des principaux syndicats de la Confédération Cosatu a retiré son soutien à l’ANC et appelle à la constitution d’une force authentiquement socialiste.

Tisser des liens de lutte entre les secteurs ouvriers et les mouvements sociaux notamment dans les townships est un enjeu majeur pour l’émergence d’une force anticapitaliste en Afrique du Sud.

Voir :http://www.afriquesenlutte.org/afrique- australe/afrique-du-sud/article/elections-et-ruptures- politiques

DJIBOUTI: Bonnet d’âne pour Guelleh !

L’Internationale de l’éducation qui rassemble dans le monde trente millions d’enseignants, vient dans une lettre ouverte à Guelleh, de condamner la répression dont sont victimes les syndicalistes de l’enseignement.

Voir :http://www.afriquesenlutte.org/afrique-de-l- est/djibouti/article/repression-continue-a-l-encontre

En bref… En bref…

2

Nouvelles du continent

CENTRAFRIQUE: Triste bilan de la France

Présenter le conflit en République de Centrafrique comme religieux est une explication simple, facile à utiliser et a un sacré avantage… celui de cacher les responsabilités de la France.

La religion : une dimension loin d’être déterminante Si les milices de la Seleka se déchirent avec les anti- Balaka, c’est que les uns sont musulmans et les autres chrétiens. C’est donc d’abord et avant tout de la responsabilité des populations. La France, elle, par devoir humanitaire tente par tous les moyens de ramener la concorde à l’intérieur du pays.

La vérité est bien différente de cette image d’Épinal qui permet un consensus politique à l’Assemblée nationale. Si la dimension religieuse existe, elle est à relativiser fortement. En effet, étrange pour une guerre de religions : les chefs religieux eux-mêmes, Mgr Dieudonné Nzapalainga, archevêque de Bangui, Oumar Kobine Layama, imam, président du Comité islamique de Centrafrique et le Nicolas Guerekoyame, pasteur, représentant des églises protestantes ont appelé ensemble dès le début du conflit à cesser les violences[i] et ils poursuivent leurs efforts pour enrayer ce cycle meurtrier. De plus, et plusieurs observateurs l’ont fait remarquer, les croyances religieuses des Centrafricains restent pour beaucoup, ancrées dans un animisme séculaire. Les différents gris-gris et autres amulettes portés par les uns et les autres en sont un signe. En outre, l’absence d’agenda religieux, qu’il s’agisse d’objectifs ou de revendications, prouve que cette dimension, si elle existe, est loin d’être déterminante dans ce conflit.

Un État absent pour jouer un rôle de médiateur

En effet, d’autres clivages existent dans la société

centrafricaine, par exemple une division économique, où l’essentiel des commerces de gros, est tenu par des habitants d’origine tchadienne. C’est ce qui explique d’ailleurs le discours populiste des anti-Balaka centré sur l’accaparement des richesses par les musulmans. Une division géographique aussi où, pour schématiser, le Nord a toujours été laissé à l’abandon : lorsque les populations voyaient l’État, c’était le plus souvent sous la forme d’incursions des forces armées centrafricaines qui ont fait des milliers de morts en se rendant coupables de crimes de guerre.

Enfin une autre opposition et non des moindres, est celle entre éleveurs et agriculteurs. En effet lors des transhumances, le bétail est accusé de détruire les champs et les récoltes, occasionnant de violents conflits. Ce type de division n’est évidement pas l’apanage de la Centrafrique et est présente dans de nombreux pays pas seulement africains. Mais la différence notable en RCA, est l’absence d’État pour jouer un rôle de médiation et éventuellement de justice pour régler ces différents conflits.

Des dirigeants qui attisent les divisions ethniques :

Au-delà de la faillite de l’État, un autre élément majeur d’explication est la politique des dirigeants qui n’ont eu de cesse d’attiser les divisions ethniques. Pas seulement entre musulmans et chrétiens mais entre chrétiens eux-mêmes, pour reprendre les termes de nos médias. En effet, Bokassa a favorisé son ethnie, les Mbanda, puis ce fut au tour de Kolingba qui favorisera les Yakoma, de Patassé ensuite qui s’appuiera sur les Sara et enfin de Bozizé dont la politique a profondément aggravé les tensions entre le Sud et le Nord en envoyant à maintes reprises l’armée qui a terrorisé les populations civiles. Plus récemment, lors de l’avancée de la Seleka, il n’a rien trouvé de mieux que de distribuer des armes et des machettes à une jeunesse désœuvrée en leur enjoignant de combattre les musulmans.[ii]

Quant à la Seleka, composée en grande partie de mercenaires soudanais et tchadiens, le pillage et les violences contre les populations chrétiennes n’ont fait que légitimer le discours de haine ethnique. Actuellement, ce sont les membres du clan Bozizé qui fournissent et arment les milices anti-Balaka qui ne cachent pas leur objectif de nettoyage ethnique. Afrique centrale : des dictatures toutes soutenues par la France

Si la République Centrafricaine est dans un tel état, c’est évidemment de la responsabilité de ses dirigeants, mais c’est aussi et surtout de la responsabilité de la France qui a soutenu à bout de bras ces différents dictateurs rendant impossible le jeu

3

démocratique. L’alternance ne pouvait donc être obtenue que par la force, qu’elle vienne des milices ou de l’armée. Dès le début de l’indépendance, la France est systématiquement intervenue, à tel point que sous Kolingba c’est Jean-Claude Mantion, colonel des services secrets français qui dirigea effectivement le pays. On peut évidemment rappeler le soutien de Paris dans le sacre ridicule de Bokassa comme empereur qui a favorisé dans les pays occidentaux un racisme anti-africain éculé et sinistre.

La situation de la Centrafrique n’est que le fruit de la politique de la France et des ses nombreuses interventions militaires. Doit-on rappeler que Bozizé est arrivé au pouvoir par un coup d’État en 2003 soutenu par l’armée française et tchadienne ? L’aviation est intervenue à plusieurs reprises en 2006 pour bombarder les colonnes des rebelles de l’UFDR dirigé par Michel Djotodia à Birao. Si le Tchad est si présent en Centrafrique interférant régulièrement dans sa politique intérieure, c’est parce que la France lui a donné carte blanche.

En Afrique Centrale sévissent des dictatures sont toutes soutenues par la France, les Déby au Tchad, les Sassou-Nguesso au Congo Brazzaville, les Biya au Cameroun…

Paris, depuis des années, est passé maître en double langage parlant de démocratie dans les instances internationales mais soutenant sans faille les pires dictatures qui, à terme détruisent, l’État et provoquent les pires chaos où les populations s’entredéchirent dans un déchaînement de violence. Refuser d’entériner des parodies électorales en Centrafrique, appuyer la vie démocratique, soutenir la société civile aurait permis un autre avenir pour ce pays.

Des politiciens de Bangui ont tenté de déclencher les tueries

Le cas de la ville de Bangassou, située dans le Sud à 750 kilomètres de Bangui, est à maints égards exemplaire: c’est le seul endroit, à notre connaissance, où depuis le début de la crise, la dérive de la violence a été stoppée. Les autorités ont arrêté le colonel Abdallah et quatre de ses complices responsables d’une milice de la Seleka qui harcelait la population et l’ont envoyé à Bangui. Parallèlement, les autorités et les notables de la ville ont mis en place un comité de médiation qui permet

d’aplanir les tensions et régler les problèmes. Ces notables ont témoigné qu’à plusieurs reprises des politiciens de Bangui sont descendus pour tenter, en vain, de déclencher les tueries.

Cet exemple montre que l’État, ici l’autorité de la ville en arrêtant les responsables des violences a permis d’éviter les massacres qui se sont déroulés dans d’autres régions. Ce qui fut possible dans une ville l’est dans un pays, mais la France a choisi une autre voie, celle de soutenir les potentats irresponsables et criminels avec l’argument qu’elle évoque chaque fois pour se justifier : la stabilité du pays.

Le Dryan, en terrain conquis
Les puissances occidentales peuvent bien s’alarmer de la situation et produire des déclarations, elles restent sans effet car les actes ne suivent pas. En effet la Centrafrique est en train de souffrir d’une crise alimentaire qui va en s’amplifiant. Les produits alimentaires font défaut du fait la destruction des circuits commerciaux, ce qui produit une très forte augmentation des prix et empêche la grande majorité de les acquérir. La plupart des troupeaux ont été détruits, ou sont partis dans les pays voisins, et les paysans faute de semences (elles ont été pillées), n’ont pu commencer la saison agricole. Pourtant seulement 20% de l’aide promise par les pays occidentaux, lors des différents conclaves

internationaux, ont été effectivement débloqués.
Pour éviter que d’autres pays africains sombrent dans le chaos à l’image de la Centrafrique, il faut tant au Nord qu’au Sud, unir nos efforts et nos luttes pour mettre à bas ces politiques impérialistes.

Nouvelles du continent

Paul Martial

[i] http://www.afrik.com/centrafrique-les-chefs-religieux-denoncent-les-violences-et-accusent-le-tchad [ii] http://www.courrierinternational.com/article/2013/01/07/quand-bozize-joue-avec-le-feu

4

Nouvelles du continent

NIGERIA: Boko Haram et la guerre contre la terreur

Des rapports récents ont mis en évidence la brutalité de l’armée nigériane dans ses opérations contre les prétendus terroristes de Boko Haram. Les socialistes et les autres militants de la classe ouvrière ont besoin de répondre à la campagne conduite par les États-Unis sur la guerre contre le terrorisme international et spécialement contre l’état de siège, l’occupation militaire et les meurtres de masse dans le Nord-est du Nigeria.

Boko Haram : une vraie armée ?
Amnesty International a décrit un cycle d’attaques, de représailles et d’exécutions extrajudiciaires qui a conduit à la mort d’au moins 1500 personnes depuis le début de l’année dernière. Par exemple, des centaines de militants auraient pris part le 14 mars à l’attaque de la caserne de Giwa à Maiduguri, libérant au départ plus d’un millier de détenus. Les suspects de Boko Haram y sont souvent détenus et, selon les défenseurs des droits humains, des centaines y sont morts ou y ont été torturés.
Un témoin oculaire a rapporté à Amnesty qu’une des conséquences de cette attaque est que des soldats ont tiré sur des personnes soupçonnées d’être des soutiens de Boko Haram et qui avaient reçu l’ordre de se coucher au sol. « J’ai compté 198 personnes tuées à ce poste de contrôle », a dit le témoin. Amnesty précise que les images satellites ont aussi révélé trois charniers possibles autour de la ville. L’organisation estime qu’au total plus de 600 personnes ont été tuées par les forces de sécurité suite à l’attaque de Boko Haram.

En octobre 2013, Amnesty International a dit que plus de 950 personnes sont mortes en centre de détention dans les six premiers seulement. Au moins 21 partisans présumés de Boko Haram ont été aussi récemment tués dans une prétendue tentative de

fuite du quartier général de la police secrète de la capitale, Abuja. L’excuse des autorités était que très tôt, le 30 mars 2014, « un des suspects a tenté de désarmer [un garde] en le frappant derrière la tête avec ses menottes ». Elles n’ont pas expliqué pourquoi les 21 détenus sont morts alors que seuls deux membres du service ont été blessés. Cela n’est pas sans rappeler, mais à une large échelle, le meurtre en détention de l’ancien leader de Boko Haram, Mohammed Yusuf en 2009. Capturé par l’armée et pris en charge par la police, son cadavre avait été montré plus tard à la télévision d’État L’armée a aussi tué environ 800 autres partisans de Boko Haram dans le même temps lors d’une révolte qui a éclaté à cause de l’obligation du port du casque pour les motocyclistes.

Les agences de sécurité sont les plus meurtrières

Des experts internationaux crédibles estiment que l’armée et Boko Haram ont tué à peu près le même nombre de personnes ces dernières années. L’armée a, par exemple, commis un important massacre à Baga en avril 2013, quand des soldats ont incendié plus de 2000 maisons et tué plus de 200 civils selon les organisations internationales des droits humains. Al Jazzera dans le même temps a décrit l’invasion de l’armée comme « la guerre silencieuse du Nigeria ». Fin 2012, un sénateur a affirmé que les agences de sécurité sont les plus meurtrières… Si un officier de l’armée est tué dans une zone, ils viendront, boucleront cette zone et tueront les gens qui s’y trouvent et ensuite brûleront toutes les maisons.

« Après que Boko Haram eut attaqué une patrouille militaire fin 2012, les soldats sont venus sur place et ont commencé à tirer sur les gens des gens innocents », a dit à l’époque à la BBC un marchand qui a fui la ville de Potiskum : « Quand je suis allé à l’hôpital le matin suivant j’ai vu 30 cadavres. Je les ai vus de mes propres yeux. Je les ai comptés. » «L’ampleur des atrocités de Boko Haram est véritablement choquant, créant un climat de peur et d’insécurité, a dit Netsanet Belay d’Amnesty, mais cela ne peut être utilisé pour justifier la brutalité de la réaction qui est clairement infligée par les forces de sécurité nigérianes. »

Un symptôme de la pauvreté et du désespoir

Boko Haram est un symptôme des graves problèmes économiques et sociaux et une indication de niveau du désespoir que beaucoup de pauvres ressentent. En envoyant l’armée le résultat est beaucoup plus de morts et de réfugiés. Les communautés locales ont

5

voté avec leurs pieds et ont quitté le pays pour fuir l’armée. Au tout début de l’année, le HCR a estimé que plus de 600 000 personnes ont fui leur maison, dont certains ont cherché refuge au Niger, au Cameroun ou au Tchad.

Pendant que quelques super-riches de l’élite mènent une vie fastueuse, la grande masse de la population est engluée dans la pauvreté, l’analphabétisme et le désenchantement. La réelle terreur à laquelle nous sommes confrontés est celle de la pauvreté, entraînant la mort d’au moins 3000 personnes par jour dans le monde.

Le taux de chômage des jeunes est officiellement entre 45 % et 60 %. Pendant que le Bureau national des statistiques note que la situation du chômage dans le Nord Est, où Boko Haram est le plus actif, reste la pire. Quand tant de jeunes diplômés du secondaire et du supérieur sont sans emploi, est-il étonnant que les partisans de Boko Haram remettent en cause la valeur de l’éducation « occidentale » ?

Des revendications anti-établissement

Boko Haram a une nature contradictoire, En effet, il implique des segments de l’élite dirigeante pour laquelle la religion comme politique est un outil de mobilisation des masses en soutien à leurs propres objectifs. Nous en avons des exemples avec la vague politique de la charia qui a déferlé dans douze États du Nord du Nigeria au début des années 2000, notamment le sénateur Ali Modu Sheriff qui a courtisé Boko Haram dans sa tentative réussie d’accéder au poste de gouverneur de l’État du Borno en 2003. Cependant, des éléments des revendications anti- établissement de Boko Haram trouvent une résonance dans les cœurs de beaucoup de gens pauvres et déshérités qui en ont marre de la corruption et du style de vie flamboyant des élites qui s’étalent face à leur pauvreté et leur désespoir. Depuis qu’il a été fondé en 2002, Boko Haram a fourni éducation coranique, logement, soins et remboursement de dettes assurant des services que l’État est incapable de fournir.

Combattre le terrorisme de l’inégalité et de la pauvreté
La guerre qui s’est engagée contre Boko Haram n’est pas dans l’intérêt des pauvres et des classes laborieuses. De même les militants islamistes ne peuvent généralement être décrits comme réactionnaires. Ses partisans sont une addition complexe de différents groupes y compris certains de l’élite politique, mais aussi beaucoup de pauvres et de déshérités conduits au désespoir par leur situation.

Nigeria en rouge et noir – sang et pétrole

Par principe, les militants de la classe ouvrière sont contre toute forme d’« état d’urgence » et les réductions des droits démocratiques pour les pauvres et les travailleurs. Mais nous devons aller au-delà des déclarations de principe telle que l’idée de la nécessité d’une auto-défense des travailleurs.

En janvier 2012, les révoltes dans tout le pays contre la fin des subventions au carburant nous ont montré comment les conflits ethno-religieux sont devenus superflus avec l’entrée des masses dans la lutte pour une société meilleure. Boko Haram a publié un ordre pour les non-Nordistes de quitter le Nord, juste avant que les travailleurs n’ébranlent le pays dans ses fondations avec huit jours de grève générale et des rassemblements de protestation dans 57 villes.

Dans le feu de la lutte, les travailleurs ont constitué des milices d’auto-défense en différents lieux du Nord. Les églises étaient gardées contre Boko Haram. Dans le Sud, les chrétiens protégeaient les musulmans lors des prières.

La tâche la plus urgente au Nigeria est l’établissement d’un front uni contre l’état de siège. Il y a plusieurs forces sociales qui sont opposées à l’état de siège pour diverses raisons. Les socialistes et les autres militants ont besoin de populariser l’argument contre l’état d’urgence dans les branches syndicales et autres organisations du mouvement ouvrier. Nous avons besoin d’expliquer que Boko Haram est avant tout un symptôme de la pauvreté et du désespoir. Nous avons besoin d’un réel combat contre la corruption, et une augmentation des impôts pour l’élite riche afin de financer un système d’éducation décent et un service de santé pour tous. Nous avons besoin de davantage de formation et de créations d’emplois pour s’assurer que tous les jeunes aient l’opportunité d’utiliser leurs talents. Nous avons besoin de transformer la guerre contre le terrorisme en un combat contre le terrorisme de l’inégalité et de la pauvreté.

Drew Povey

Nouvelles du continent

6

Françafrique

Côte d’Ivoire : Ouattara Président pour longtemps?

Depuis la fin de la crise remportée finalement par Ouattara contre Gbagbo, renvoyé manu militari renforcer le contingent des Africains jugés par la Cour pénale internationale, la Côte- d’Ivoire fait la part belle aux investisseurs français.

Pour son quatrième déplacement en Afrique subsaharienne après le Kenya, le Nigeria et l’Afrique du Sud, Nicole Bricq (ministre du Commerce extérieur du gouvernement Ayrault) s’est rendue en Côte- d’Ivoire le 19 novembre 2013. Pour elle, le pays fait partie des 47 pays prioritaires du commerce extérieur français. Alors que la Côte d’Ivoire sort d’une crise économique et politique profonde, la ministre a rappelé au président de la République, Alassane Ouattara et aux nombreux ministres ivoiriens présents (Commerce, Infrastructures économiques, Santé, Salubrité, Économie et Finances) le soutien apporté par la France au développement du pays – au travers d’une annulation de 913 M € de la dette par le club de Paris[1] et de l’aide publique au développement dans le cadre du contrat de désendettement développement qui s’élève à 2,89 M € – et la volonté des entreprises françaises d’y participer.

Outre ce soutien financier, la ministre a affirmé sa volonté d’accroître de 50 % les échanges commerciaux entre la Côte-d’Ivoire et la France d’ici 2017 (soit 2,25 M € contre 1,5 M € en 2012). Cet objectif peut être atteint par le biais de la participation des entreprises françaises aux grands projets d’infrastructures à l’image du chantier du pont Henri Konan Bédié (remporté par la filiale locale de Bouygues). Notons qu’Henri Konan Bédié est l’inventeur de l’ivoirité, ce terme qui jeta la Côte- d’Ivoire dans la mare aux crocodiles. Rallié à Ouattara après le premier tour des élections de 2010, il appela à voter contre Gbagbo qui avait pourtant repris l’ivoirité à son compte. Ce qui lui vaut peut être aujourd’hui d’avoir un pont à son nom.

Ouattara a obtenu le soutien indéfectible de la France pendant la crise et après celle-ci. Cet ancien

fonctionnaire du FMI (Fonds monétaire international) a aussi reçu le soutien de son ancienne institution. Le taux de croissance de 2012 a atteint les 9,8 % et les prévisions oscillent autour de 8 % pour 2013 et 2014. La quasi annulation de la charge de la dette (elle a été divisée par trois) permet aujourd’hui aux investissements (surtout privés) de progresser car Ouattara est avant tout un libéral. En clair, l’argent devant servir au règlement de la dette extérieure est en partie converti en dépenses d’investissement privé-public. Cela permet à la Côte-d’Ivoire de rester la première puissance économique de l’UEMOA (Union économique monétaire ouest-africaine) dont elle représente 40 % du PIB. Elle pèse à elle seule 60 % des exportations de la CEDEAO.

Ouattara futur Roi de Côte d’Ivoire ?

Ouattara a donc de beaux jours devant lui. Avec le soutien de la Banque mondiale, du FMI, et de la France, une dette réduite et une opposition muselée, il est parti pour être président longtemps. D’ailleurs, après avoir été deux fois président de la CEDEAO, il ne veut pas d’un troisième mandat et dit vouloir se consacrer exclusivement à son pays. Certainement pour très longtemps.

Moulzo

[1] C’est en 2012 que le club de Paris a annulé la quasi-totalité de la dette. Mais comme tout le monde le sait, la France ne le fait pas pour les beaux yeux des Ivoiriens ni ceux de Ouattara mais pour elle-même.

7

La participation du Tchad d’Idriss Déby à l’intervention française au Nord du Mali a été décisive dans la victoire finale contre les djihadistes de tous bords qui s’étaient emparés du nord du Mali. Cette opération qui a débuté en janvier 2013 a permis au dictateur Idriss Déby de se poser en rempart contre le terrorisme grâce à la participation directe de 550 militaires tchadiens des forces armées tchadiennes d’Intervention au Mali (Fatim). Les Fatim paieront d’ailleurs un lourd tribut (une centaine de morts) à comparer aux sept morts français de l’opération Serval. Cela prouve par ailleurs que les militaires tchadiens ont été en première ligne et ont certainement fait le gros du boulot. Par la suite, les Fatim (autour de 2000 militaires) ont été intégrées à la Misma (mission Internationale de soutien au Mali sous conduite africaine) en mars 2013.

La communication du gouvernement tchadien sur le Mali

Les troupes tchadiennes représentent donc le plus gros contingent de la Misma avant le Nigeria (1200 hommes), le Bénin (650), le Sénégal et le Niger (500 hommes chacun). L’effectif de l’armée tchadienne est évalué à 36 575 hommes, tout corps confondus mais en réalité c’est certainement beaucoup plus (aux alentours de 50 000 hommes). Il s’agit par ailleurs d’une armée aguerrie au combat qui a l’habitude de faire face aux menaces extérieures à cause de l’instabilité politique du Tchad. Déby est par ailleurs considéré comme un vrai chef de guerre qui n’hésite pas à prendre la tête de ses troupes pour combattre ses ennemis. Le dictateur sort donc renforcé de la crise malienne et parvient même à obtenir pour le Tchad, le 18 octobre dernier, un siège de membre non permanent au Conseil de sécurité de l’ONU.

23 ans de dictature par les armes, voilà le régime du nouvel allié objectif de la France qui a failli être

chassé du pouvoir en 2008 et qui n’a dû sa survie qu’à l’intervention française. Depuis 1990, Déby règne donc sur le Tchad grâce aux assassinats politiques impunis ou couverts, aux enlèvements et au musellement de toute la presse. L’excellent document réalisé par le collectif pour les luttes sociales et politiques en Afrique (dont Afriques en lutte est un des membres fondateurs) fait une très bonne analyse du Tchad d’Idriss Déby[1].

Idriss Déby et François Hollande

Soudan, Libye, Centrafrique, Déby est de toutes les crises de la région. Fin stratège, il sait manier le bâton et la carotte pour toujours se maintenir au pouvoir. En Centrafrique, c’est Déby qui fait et défait les présidents avec l’assentiment de la France. Protecteur de Bozizé puis de Michel Djotodia, il est donc incontournable en RCA et la France le sait. Depuis son arrivée au pouvoir en 1990, il a eu le soutien de la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure) dont une vingtaine d’agents entrainaient sa garde républicaine. Les militaires tchadiens ont aussi aidé la France à remettre Sassou Nguesso au pouvoir au Congo Brazzaville.

A force de soutenir Déby, la France se retrouve avec une grosse épine dans le pied qu’il lui est difficile de retirer : l’assassinat en 2008 du mathématicien et chef de file du parti pour les libertés et le développement (Ibni Oumar Mahamat Saleh[2]) dont les enfants ont porté plainte en France.

Comme son homologue dictateur du Burkina Faso, Blaise Compaoré, (au pouvoir depuis 1987 après l’assassinat de Thomas Sankara) devenu un poids lourd de la sous-région ouest-africaine, Idriss Déby est en train de devenir un poids lourd de la sous région centrafricaine. Les dictateurs soutenus par la France ont de beaux jours devant eux et le signal qu’elle donne aux potentiels dictateurs en herbe est fort : au nom des intérêts, elle soutient les dictateurs sans aucun état d’âme.

Mais comme le signale à juste titre le collectif pour les luttes sociales et politiques en Afrique[3] : « La

Françafrique

TCHAD-FRANCE : Déby, l’allié objectif

8

réhabilitation de Déby, c’est la réhabilitation de tous les dictateurs de la Françafrique. L’amnistie des crimes de Déby, c’est l’amnistie des crimes des dictateurs de la Françafrique. Idriss Déby est devenu le centre de la Françafrique du quinquennat de François Hollande, qui est une Françafrique du

renouveau de l’influence militaire. [4]»

Françafrique

Moulzo

[1] http://electionsafrique.org/IMG/pdf/131216TchaddossierinformationCollSolidaritevfinale.pdf

[2] En 2009, les sociétés savantes de mathématiques SMF, SMAI et SFdS ont créé un prix Ibni Oumar Mahamat Saleh, annuel, à sa mémoire. Il est attribué à un(e) jeune mathématicien(ne) d’Afrique Centrale ou de l’Ouest et finance un séjour scientifique de quelques mois. Ces mêmes membres de la communauté scientifique responsables du prix ont mis une pétition en ligne, dans laquelle ils demandent la vérité sur le sort d’Ibni Saleh aux présidents de la République française et de la République du Tchad (Wikipedia).

[3] www.electionsafrique.org
[4] http://electionsafrique.org/IMG/pdf/131216TchaddossierinformationCollSolidaritevfinale.pdf
page 32

SAHEL : La France impliquée dans le nord du Nigeria et du Mali

Nouveaux combats à Kidal, sommet à Paris sur le Nigeria

La zone du Sahel était loin de l’accalmie ces dernières semaines. Que ce soit au Nord du Mali ou encore autour du Lac Tchad, notamment dans le Nord-Est du Nigeria : des mouvements armés, majoritairement à tendance intégriste, ont défrayé la chronique. Alors que l’impérialisme français – sur la lancée de son intervention au Mali en 2013 – a mené une politique d’implication active, en se présentant comme un rempart face aux terroristes tout en cherchant à accroître sa marge de manœuvre dans la région.

Un sommet et des fausses solutions

Samedi 16 mai 2014 à Paris, le président François Hollande avait réuni cinq chefs d’État africains autour d’une table : le président de la République fédérale du Nigeria, Goodluck Jonathan, ainsi que ceux des quatre pays voisins partageant une frontière terrestre commune avec le Nigeria (Cameroun, Tchad, Niger, Bénin). A cette occasion, le président français a tonné contre la secte armée nigériane de Boko Haram, qui vient de se rendre célèbre par le rapt de 276 filles collégiennes dont 53 ont réussi à fuir : « Boko Haram a une stratégie anti-civilisationnelle de déstabilisation du Nigeria mais aussi de destruction des principes fondamentaux de la dignité humaine. »

Disons-le d’abord : toute ironie sur les propos du président Hollande qui minimiserait l’horreur de ces faits, et de tant d’autres crimes commis par la secte intégriste sanguinaire, serait fortement déplacée. Le 05 mai, le leader de Boko Haram (depuis 2009 et la mort du fondateur Mohamed Yusuf, exécuté par la police, ce rôle est tenu par Abubakar Shekau) a

revendiqué la prise d’otages de plus de 200 écolières. Elle avait été effectuée par ses troupes dans la nuit du 14 au 15 avril dernier.

La campagne « Bring Back our Girls »

Dans la même vidéo, Shekau annonça son intention de « vendre en esclaves » les filles, fixant même leur « prix » à douze dollars (sic). Bien qu’il soit probable qu’il ait avant tout cherché à marquer les esprits, l’horreur de ces propos et de ce comportement est indéniable. Le 12 mai, le leader de Boko Haram a annoncé cependant qu’il avait réussi à « convertir » environ 130 des filles à sa version de l’islam, ultra- rigoriste et proche de certains courants du salafisme, et les avait ainsi « libérées » (spirituellement s’entend, uniquement…). Pour les autres, il proclama désormais son intention de les échanger contre des prisonniers de son organisation, demande qu’a aussitôt rejetée le président fédéral nigérian. A l’heure où nous bouclons ce numéro d’Afriques en lutte, les filles n’ont toujours pas recouvré la liberté.

9

Françafrique

Nigeria, France et Cameroun

Pour autant, il n’est pas certain que la mise en scène de la France et des présidents convoqués à Paris (dont au moins deux, Paul Biya et surtout Idriss Déby, sont des sinistres bouchers tout en étant des amis notoires de la « Françafrique ») ait servi la cause des filles enlevées. La stratégie annoncée reposera avant tout sur un renforcement de l’armée nigériane. Alors que la France, et d’autres puissances présentes sur le terrain comme les USA et la Chine (dont des intérêts économiques viennent aussi d’être frappés par la secte au Nigeria et au Cameroun), n’interviendront pas sur le terrain. Il est cependant question de partage de renseignements, obtenus grâce aux drones états-uniens et/ou d’avions militaires français qui pourraient bientôt décoller du Tchad, mais aussi de l’instauration d’une plateforme de renseignements à Abuja, capitale fédérale du Nigeria L’offensive terrestre éventuelle relèverait, des troupes du Nigeria, géant de l’Afrique, pays le plus peuplé du continent avec 170 millions d’habitant Es.

L’armée nigériane fait clairement partie du problème plutôt que de la solution. Du matériel livré à l’armée nigériane a été vendu sur le marché noir, en partie à Boko Harem même. La raison principale en est la gigantesque corruption qui ravage le Nigeria et gangrène tout, depuis les années 1960 et depuis qu’il a été découvert qu’il regorge de pétrole. Six milliards de dollars par an sont déboursés au titre de la « lutte contre le terrorisme », alors qu’en réalité, seulement 25 millions arriveraient sur le terrain dans le Nord-est du Nigeria. Vu que huit États fédéraux du Nigeria appliquent explicitement la charia – dans une version intégriste -, certains militaires ou fonctionnaires d’État ressentent par ailleurs certaines proximités idéologiques avec ces combattants invoquant l’islam rigoriste. Amnesty international a accusé le 09 mai dernier l’armée nigériane d’avoir été au courant du projet de rapt – les djihadistes présents autour de l’école avaient été repérés, mais rien n’a été fait pour les empêcher de nuire.

Une solution-miracle n’existe certainement pas. A

court terme, il est à craindre qu’une négociation avec la secte sanguinaire soit inévitable pour sauver les filles, ce qui ne réduit aucunement la nécessité de la combattre. Le meilleur moyen, ensuite, sera de donner aux populations locales des moyens d’assurer une auto-défense efficace contre les intrusions de la secte armée.

En attendant, les grandes puissances profitent de l’occasion pour mettre un pied au Nigeria et entrer dans la danse du pétrole Déjà le 24 mai 2009, François Fillon – alors Premier ministre, en visite d’État au Nigeria depuis le 22 mai – avait proposé l’aide militaire française à l’armée de ce pays. A l’époque, c’était pour combattre des rebelles dans le delta du Niger. Dans cette principale zone de production du pétrole par les compagnies multinationales britanniques et par TOTAL (où il y avait d’abord eu des mouvements pacifiques contre le pillage, la destruction de l’environnement et la misère des populations), l’écrasement de toute protestation civique avait engendré des rebellions armées, qui ne peuvent pas être comparés aux intégristes combattants de Boko Haram. Aujourd’hui, le profil de ce dernier groupe semble procurer à la France, et à d’autres puissances, une meilleure légitimité aux yeux du monde pour intervenir. Sauf que leur façon de procéder, et surtout celle de l’armée nigériane – dont les répressions et tortures dont le Nord ont souvent renforcés les rangs des djihadistes, vus comme l’opposant armé principal au pouvoir en place -, risque de créer des problèmes au lieu d’en résoudre.

Si, toutefois, les 200 filles étaient libérées, on ne saurait cracher cyniquement sur ce fait. Mais il ne faudra aucunement oublier que les victimes de Boko Haram se comptent par milliers, mais n’ont jamais été médiatisées qu’avec l’affaire des lycéennes parce qu’elle a procuré un symbole à une mobilisation internationale autour de personnalités connues.

Nord du Mali : reprise des combats

Au Mali, on assiste presqu’en même temps à une reprise des combats dans le Nord-Est du pays, avec une brusque flambée de violences entre le 17 et le 23 mai à Kidal.

Sur le terrain, les violences avaient déjà augmenté les semaines précédentes, avec une série d’assassinats de (supposés) informateurs de l’armée française dans le Nord-Mali. Début mai, une roquette est tirée sur la ville de Gao dans la nuit du 07 au 08 mai. L’événement principal a cependant eu lieu le 17 mai à Kidal, dans l’extrême nord-est du pays.

Dans cette région, une sorte de « paix armée » avait prévalu depuis plusieurs mois. Le mouvement séparatiste du MNLA (« Mouvement national de libération de l’Azawad »), qui s’appuie notamment sur la minorité touareg – environ 2 % de la population

10

totale du Mali, ( 20 % dans le Nord) – avait gardé ses armes, suite à l’accord de Ouagadougou conclue en juin 2013. A l’époque, cet armistice avec le pouvoir central malien devait permettre la tenue des élections présidentielles puis législatives au Mali, pendant le deuxième semestre de l’année 2013. En théorie, l’accord prévoyait le cantonnement des combattants du MNLA (tout en leur laissant leurs armes) dans certains bâtiments spécifiques, alors que l’administration centrale – armée, préfet, administrations civiles – devait revenir à Kidal. En réalité, c’est à peu près l’inverse qui s’est passé : de retour à Kidal à partir de juillet 2013, l’administration malienne est restée cantonnée à un périmètre restreint, alors que les combattants du MNLA contrôlaient de fait une large partie de la ville. Les troupes françaises en place autour de l’aéroport, séparaient les deux parties qui s’observaient mutuellement.

Le dimanche 17 mai 14, cet « équilibre » fragile a volé en éclats. Ce jour-là, le nouveau Premier ministre malien Moussa Mara, en place depuis début avril (son prédécesseur Oumar Tatam Ly ayant démissionné au bout de sept mois), a effectué une visite à Kidal. Arguant qu’ « un Malien est chez lui partout, dans le Sud comme dans le Nord », il invoquait son bon droit de visiter cette portion du territoire malien. Sa visite avait, selon lui, un « caractère administratif » alors que les sécessionnistes du MNLA y voyaient « une provocation politique ».

FH et IBK

Des combats ont aussitôt éclaté. Le MNLA prétend que « les Maliens » (le mouvement les voit comme des forces étrangères) auraient d’abord ouvert le feu « sur une manifestation avec femmes et enfants ». Les pouvoirs publics maliens, au contraire, parlent dès le début d’une attaque armée, menée par des combattants. Elle aurait impliqué, non seulement des hommes du MNLA mais également des combattants du HCUA ( Haut Conseil pour l’unité de l’Azawad , vitrine civile du mouvement islamiste armé Ansar ed-

Din) et des djihadistes. Le MNLA était d’abord allié, en 2012, à ces derniers avant que l’alliance MNLA / djihadistes ne soit rompue, et que le mouvement sécessionniste justifie son rôle actif sur le terrain en 2013 par l’idée qu’il aidait les Français à combattre les terroristes.

Le Premier ministre, Moussa Mara, s’est plaint publiquement du fait que ni la force française « Serval » ni la MINUSMA (mission des N.U. au Mali), présentes sur le terrain, ne s’étaient interposées pour assurer la poursuite de sa visite. Le bilan de plusieurs jours d’affrontements est de 40 soldats maliens morts selon le MNLA – une trentaine selon le gouvernement –, plusieurs dizaines de blessés, alors que les principaux bâtiments publics ont été occupés par le MNLA. Ce dernier occupait, à la date du 22 mai, aussi d’autres villes telles que Aguelhok, Ménaka et Tessalit. A peu près comme au début de son offensive, en janvier et février 2012, avant que celle- ci n’aboutisse à la partition du Mali courant 2012.

La France continue à avoir une politique ambiguë, jouant un rôle peu clair, en relation à la fois avec le pouvoir central du Mali et le MNLA (dont certains représentants se trouvent en permanence à Paris). Les pouvoirs publics maliens ont appelé les Français à renforcer leur présence militaire, et la force Serval a été renforcée de 1.000 hommes – qui restent déployés en permanence au Mali – à environ 1.700. Mais les Français ne veulent certainement pas combattre le MNLA. Les deux députés François Loncle (PS) et Pierre Lellouche (UMP), se trouvant en visite officielle à Bamako, ont déclaré le 22 mai qu’il s’agissait de « combattre le terrorisme », mais aucunement « d’une guerre civile au Mali ». La discorde réside dans le fait que les officiels français ne définissent que les djihadistes comme des « terroristes », alors que les officiels maliens étendent ce terme également au MNLA. Une manifestation de protestation a dénoncé la politique française le 22 mai à Bamako.

Un cessez-le-feu a été conclu dans la nuit du 23 au 24 mai mais ne résoudra certainement pas les choses

Françafrique

Françafrique

durablement. La popularité du président du Mali « IBK » (Ibrahim Boubacar Keïta), élu triomphalement en août 2013, a par ailleurs connu une forte érosion ces derniers mois. La corruption et l’arrogance de la classe politique sont restées à des niveaux élevés. Dernière péripétie en date, le débat autour du (nouvel) avion présidentiel : le Mali en possédait un, acquis sous le président « ATT » (Amadou Toumani Touré, 2002 à 2012), mais « IBK » voulait en acheter et posséder le sien propre.

L’acquisition a sans aucun doute enrichi une série d’intermédiaires. Le FMI, vitupérant une « mauvaise gestion de l’argent de l’État », a récemment exigé du Mali une mise en vente du nouvel appareil. Alors que la colère gronde dans la population. Ce n’est pas ainsi que le Mali, en tant que pays et État, retrouvera une légitimité aux yeux de toutes les populations. Il faudrait plutôt aller vers un nouveau contrat central, impliquant toutes les parties du pays et coupant ainsi l’herbe sous les pieds des sécessionnistes.

Bertold Du Ryon

www.afriquesenlutte.org

Afriques en lutte est un collectif de militants anticapitalistes membres ou non de plusieurs organisations politiques. Notre objectif est de diffuser, à partir d’un point de vue militant, un maximum d’informations (politiques, économiques, sociales et culturelles) sur le continent africain et sa diaspora.

REJOIGNEZ AFRIQUES EN LUTTE !

12

Dossier Rwanda – 20 ans

RWANDA : N’oublions pas !

Magie des chiffres ronds, le vingtième anniversaire de l’extermination des Tutsi rwandais aura été commémoré cette année avec un éclat particulier. Colloques, films, débats ont en effet attiré un public motivé[1]. Mais en dépit du fait que l’audience de ces manifestations a un peu dépassé les habituels cercles militants anti- impérialistes, – on a vu en effet y participer des associations juive et arménienne, on a vu des citoyens demander publiquement des comptes à leur maire nouvellement réélu et candidat au leadership de la droite – le public serait peut-être encore resté modeste si le président Kagamé lui-même n’était venu mettre les pieds dans le plat.

Ibuka : « souviens toi ! »
Reprochant, dans un entretien accordé à Jeune Afrique, à la France et à la Belgique leur participation à l’extermination des Tutsi – à sa préparation comme à son exécution –, il aura contraint les autorités françaises à afficher leur soutien à la politique

conduite alors par leurs prédécesseurs autant que leur mépris des faits. Et la question aura fait la une, plusieurs jours durant, de la presse mainstream. Il y a peu de chances toutefois que les allusions aux dérives autoritaires du régime et aux obscures arrière-pensées de son dirigeant aient beaucoup éclairé les lecteurs sur ce qui s’est passé il y a vingt ans.

On est loin cependant des centaines de milliers de manifestants qu’avait mobilisé la seconde guerre en Irak à laquelle pourtant la France ne participait pas. Et il faut bien que les organisations militantes, politiques et syndicales, aient une responsabilité dans cette apathie. Parle-t-on de l’implication française au Rwanda dans quelque réunion de gauche que ce soit (NPA, parti de gauche, Attac…) et l’on est accueilli par un silence atone, presque incrédule avant de passer très vite aux élections municipales… Or, prendre cette ignorance à bras le corps est l’affaire de tous et pas seulement de Survie.

Encore faut-il satisfaire à la rigueur historique et se garder des réponses toutes prêtes. « Le refus de l’analyse historique est une mystification», écrit, Jean-Pierre Chrétien[2]. Aux discours culturaliste, racialiste ou sociologiste doit en effet être opposée, selon l’historien des Grands Lacs, l’analyse des constructions idéologiques et de l’adhésion au crime, grâce à une « propagande cohérente et habile » du plus grand nombre. Ni lutte éternelle du bien et du mal, ni haines immémoriales, ni conséquence de la pression démographique ou des ajustements structurels là où l’État identifie et désigne l’ennemi au couteau.

[1] Il convient d’y ajouter la publication de nombre de livres dont certains traitant de la contribution française à l’événement et plus largement du racisme européen : B. Collombat, G. Servenay, Au nom de la France. Guerres secrètes au Rwanda, La Découverte ; J.-P. Chrétien, M. Kabanda, Rwanda, Racisme et Génocide. L’idéologie hamitique, Belin ; F. Graner, le Sabre et la Machette. Officiers français et Génocide tutsi, Ed. Tribord.

[2] J.-P. Chrétien, « un nazisme tropical au Rwanda ? Image ou logique d’un génocide », Vingtième Siècle, 1995, 48, pp 131-42

Rwanda 2014, Banque Mondiale et FMI jamais rassasiés[1]

Dans les années 1970/80, les institutions financières internationales, tels la Banque Mondiale, le FMI… montraient le Rwanda en exemple. On avait là, selon eux, un modèle dont pouvait, dont devaient même, s’inspirer tous les autres pays d’Afrique.

En réalité, ils vantaient une politique de libéralisation

forcée faite de démantèlement des services publics, de privatisations en masse, de libéralisation totale des investissements étrangers… avec comme conséquence immédiate un appauvrissement vertigineux de la plus grande partie de la population… On sait par ailleurs que, en règle générale, lorsque la Banque Mondiale désigne le « meilleur élève de la classe », elle désigne en

13

Dossier Rwanda – 20 ans

réalité, le pays qui obéit le mieux ou le plus servilement à ses recommandations injonctions.
Et, de fait, c’est à grands coups de plans d’ajustement structurel que le FMI, imposait alors ses mesures à un Rwanda emporté dans la spirale infernale de la dette, comme ligoté. Ce qui a fait dire au spécialiste Renaud Duterme : « C’est notamment à la suite d’un programme d’ajustement structurel que la paupérisation de la société rwandaise s’est accrue drastiquement dans les années 1980, avec comme conséquence l’apport d’une population désœuvrée à la propagande génocidaire[2] »

On sait ce qu’il advint ensuite au Rwanda en 1994, mais aussi au Burundi un an auparavant et ensuite dans toute la région. Comment, effectivement, le Rwanda et le Burundi furent les premiers emportés et broyés par des guerres civiles atroces et par des meurtres de masse à caractère génocidaire. A l’heure des décomptes macabres, on compte aujourd’hui plus de 300 000 morts pour le Burundi et peut-être un million pour le seul Rwanda.

La sous-région ne fut pas épargnée. Dans l’ex-Zaïre, l’immense République Démocratique du Congo voisine, les troubles perdurent et les guerres commencées en 1994 n’en finissent plus, continuant toujours, petit à petit, de détériorer le pays tout entier.

Durant ces années noires de désespoir des populations, de meurtres de masse, on n’a plus entendu, du moins pas directement, ces bailleurs de fonds qui, au fond, par leurs chantages et la sauvagerie de leurs préconisations portaient pourtant une très lourde responsabilité dans ces événements sans précédent. On aurait même pu imaginer les voir, un jour, sur le banc des accusés d’un procès qui aurait bien mérité de se tenir. Cependant, le rêve restant le rêve, la réalité fut évidemment tout autre.

Jamais les inégalités n’ont été aussi criantes

A peine les charniers recouverts, comme si de rien n’était, les bailleurs de fonds, tels les vautours, tournoyaient déjà dans le ciel de Kigali. Et le Rwanda, ruiné, dévasté, décomposé, retombait dans le piège de la dette. C’est donc en 1998 que la Banque Mondiale et son gendarme le FMI signaient un nouveau plan d’ajustement structurel qui portait sur l’engagement d’un programme de destruction massive des entreprises publiques.

Suivant ce nouveau plan et selon les experts, ce ne sont pas moins de vingt-six entreprises publiques qui, bradées pour un plat de lentilles, tomberont ainsi dans l’escarcelle du privé.

Et comme d’habitude, ce plan ne fut évidemment pas le seul. Le Rwanda, comme tant d’autres avant lui, apprendra une fois encore, à ses dépens, que lorsque la main se prend dans l’engrenage c’est tout le corps qui passe dans la machine à broyer.

Aujourd’hui, l’histoire se répétant, pendant que ces institutions financières montrent à nouveau le Rwanda

comme l’exemple à suivre pour les pays de la région, la situation continue de se dégrader à la vitesse grand « V » pour la population.
Jamais les inégalités n’y ont été, en effet, aussi criantes. Selon l’observatoire des inégalités, le pays est désormais au bas du classement mondial[3]. La dette extérieure s’élevait pour 2012 à plus de 1,2 milliard de dollars. Le chômage y est en croissance exponentielle et, pour ceux qui travaillent encore, les conditions de travail sont totalement dégradées : « On constate que ces réformes avantagent surtout le capital au détriment du travail, principe élémentaire de l’idéologie libérale (un autre élément allant dans ce sens étant la baisse de l’impôt sur les bénéfices des entreprises passant de 50 à 35 %[4]. » « Comme le dénonce l’International Union Confederation : les employeurs ne sont plus tenus de procéder à des consultations préalables avec les représentants des salariés (pour licencier) ni d’en aviser l’inspection du travail…[5] » Autrement dit les « bonnes notes » et les « recommandations » du FMI au Rwanda ont un arrière-goût très amer de déjà vu et surtout de déjà vécu.

Sachant où de tels conseils ont déjà conduit le pays et l’ensemble de la région, même si les conditions des premières guerres civiles ont évolué, on a du mal à imaginer que ces mercenaires de la finance internationale puissent continuer à sévir impunément.

Des multinationales aux aguets

On le sait, l’ensemble de la sous-région est gorgé de tous les minerais nécessaires et indispensables à l’économie mondiale. Pour cette raison, les multinationales sont aux aguets et, à chaque velléité d’indépendance économique et politique locale, leurs gouvernements sont sur les charbons ardents. Alors, comme par miracle, selon les besoins et selon les circonstances, surgissent autant de conflits « tribaux », troubles séparatistes, guerres de « libération », guerres « ethniques », massacres « religieux »…. autant de prétextes aux interventions militaro-humanitaires d’urgence de la part des puissances occidentales.

Des assassins qui se nourrissent sur la bête

Ainsi va la bonne santé des banques et des multinationales. La punition infligée à toute la région pour sa propre richesse est permanente et dure depuis des décennies. Les puissances économiques et leurs gouvernements appliquent ainsi le bon vieux principe néocolonial : « Plus c’est le bazar partout, mieux on peut exploiter en paix. » Un bazar utile, soutenu et alimenté avec la constance qu’on sait et qui aura, à ce jour, coûté plus de quatre millions de morts civils ! Une bagatelle…

14

Dossier Rwanda- 20 ans

Pour l’heure le Congo, le pays sans doute le plus riche en ressources, est par exemple, soumis depuis 1994 à une succession de guerres sans fin et la France n’y est pas pour rien. En effet, après avoir pris partie pour, et soutenu, ceux qui allaient commettre les massacres de masse, l’armée française, sous couvert de l’opération armée appelée « Turquoise », exfiltraient les assassins après leurs crimes, vers… le Zaïre rebaptisé Congo.

Ils y sont toujours, armés jusqu’aux dents, se nourrissant sur la bête. Nul ne pourra donc s’étonner aujourd’hui, que toute une partie du pays soit livrée aux milices armées, aux bandits de grand chemin sans foi ni loi qui, au gré de leurs alliances à géométrie variable, tuent, violent, enlèvent et terrorisent les populations.

entendait dans le Rwanda pré-génocidaire. Les mêmes causes finissent toujours par produire les mêmes effets…
Pendant que, dans ces terres abandonnées, se poursuivent des guerres de décomposition auxquelles les populations victimes ne comprennent plus rien, l’exploitation des mines et des gisements se poursuit, elle, sans encombre puisque la sécurisation armée, prétexte de toutes les interventions extérieures, est d’abord dirigée vers les sites de production, les routes du transport du minerai et les aéroports[6].

François Charles

L’inquiétude monte aussi sachant que le maintien d’une
telle zone de non droit laisse, de nouveau, une place
grandissante à la résurgence des slogans racistes,
opposant les Hutus aux Tutsis, identiques à ceux qu’on
[1] Les opinions exprimées ici n’engagent que leur auteur et ne reflètent en rien celles de la rédaction d’AEL.

[2]« Rwanda : un modèle économique pour l’Afrique ? », cadtm.org

[3] http://www.statistiques-mondiales.com/ [4] Damien Millet, http://www.cadtm.org/ [5] http://www.ituc-csi.org/

[6] http://www.lautreafrique.info/

Interview : Boubacar Boris DIOP

AEL: Bonjour M. DIOP, pouvez-vous nous parler de votre propre histoire avec le génocide des Tutsis du Rwanda? Comment vous est venue l’histoire de Murambi ?

La première fois que je suis allé au Rwanda, c’était en 1998 à la demande d’un couple d’amis qui voulaient rassembler des écrivains africains pour parler du génocide des Tutsis du Rwanda. En réalité, présenté en France comme des massacres inter ethniques, beaucoup d’Africains n’ont pas compris ce qui se

déroulait réellement au Rwanda. Qu’une solution finale, organisée de longue date était mis effectivement en œuvre de façon terriblement efficace. Nous étions donc une dizaine d’écrivains à faire le déplacement (Tchad, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Djibouti, Guinée… ). Nous avons rejoint au Rwanda deux écrivains rwandais. Et là, en voyant de mes propres yeux le génocide des Tutsis du Rwanda, tout a basculé pour moi. Même mon écriture ne sera plus pareille.

L’objectif de mes amis initiateurs du projet était de nous inciter à écrire sans que ce soit obligatoire. Ecrire par devoir de mémoire en quelque sorte. « Murambi ou le livre des Ossements » est donc sorti de là. J’étais terriblement marqué par ce que j’ai vu au Rwanda. Le Génocide des Tutsis du Rwanda a changé ma façon de penser les choses. Par exemple, si je n’étais pas allé au Rwanda, je n’aurai pas écrit mon livre « Domi Golo » en Ouolof. J’en avais pourtant l’intention depuis longtemps (écrire en Ouolof) ma langue maternelle, le Rwanda a été pour moi le signal que le moment était venu. Tout ce qui suivra ensuite sera marqué par cet événement.

15

AEL: Vingt ans après le Génocide des Tutsi du Rwanda, pensez-vous que les citoyens Français soient encore très peu au courant de ce qui s’est passé et du rôle de leur pays ?

L’opinion française évolue beaucoup et très vite. Il y a à peine quelques années, personne ne voulait rien entendre. Ce sont des citoyens français qui se sont levés dans le cadre de la commission citoyenne pour savoir ce qui s’est réellement passé au Rwanda. Le document que cette commission a produit « l’horreur qui nous prend au visage » a ouvert la boîte de pandore. Elle s’est uniquement focalisé sur les faits, sans juger. Et lorsque les faits sont devenus écrasants, personne ne pouvait plus fermer les yeux. D’autres citoyens ont mené courageusement leurs propres enquêtes, écrit des livres.

La 3ème étape qui sera menée par ceux et celles que j’appelle « Les enfants de Verschave » sera d’exiger les comptes aux responsables qui sont désormais identifiés et connus. Patrick De Saint Saint-Exupéry en a fait un listing d’une trentaine de personnes environ. Ce ne sera pas facile, ça prendra du temps, une dizaine d’années, une quinzaine même peut être. Mais il faudra qu’ils rendent des comptes tôt ou tard. Les citoyens français le savent. Souvent, quand je présente mes livres, certains me demandent ce qu’il faut lire pour bien comprendre ce qui s’est passé au Rwanda. En réalité, ils disent simplement « Non, ce n’est pas en notre nom!». Les complices des génocidaires doivent payer. Ce crime est imprescriptible car c’est un crime contre l’humanité.

AEL : Depuis peu, des mémoriaux sur le Génocide des Tutsis du Rwanda voient le jour en France, est ce une reconnaissance au moins par les citoyens français du rôle de la France dans cette tragédie? un Mémorial du génocide des Tutsis du Rwanda à Paris?

Aujourd’hui, des Mémoriaux voient le jour en France. Je crois qu’il y a en eu quatre dont un à Bègles chez le courageux Noël Mamère qui est un des rares hommes politiques français qui ne prend pas de gants avec cette histoire du rôle de la France dans le génocide des Tutsis du Rwanda. Les autres politiques, de gauche comme de droite sont dans le déni. Le Mémorial de Bègles inauguré en novembre 2013 « Les hommes debout s» de l’artiste sud africain Bruce Clark est donc très important pour nous. Un jour, il y aura certainement un Mémorial à Paris. Je crois qu’il est prévu un carré en hommage aux victimes du Génocide des Tutsis du Rwanda au cimetière du Père Lachaise.

AEL: Qu’en est-il des Africains? L’union africaine se sent elle coupable d’avoir

abandonné les Tutsis pendant le Génocide ?

L’union africaine a présenté ses excuses et son rapport « Rwanda, un génocide évitable » est très instructif. Des investigations a été menées avec le soutien d’éminents juristes de plusieurs pays (Canada, Algérie, Mali…). Mais la forfaiture est à l’image de l’Afrique. N’oublions pas qu’en 1994, le secrétaire général de l’ONU (Boutros – Ghali) ainsi que son second (Koffi Annan) sont des Africains. Et c’est sous leur mandat qu’un génocide a pu se dérouler sur les terres africaines. L’ONU a retiré ses troupes pendant qu’un million de Tutsis se faisaient massacrer. Quant aux autres pays africains, ils ont été attentistes comme d’habitude s’attendant certainement que les pays occidentaux règlent le problème. A part le Nigeria et son délégué , peu de pays africains ont bougé pour sauver le Rwanda et les Tutsis du chaos.

AEL: Malgré le jugement et la condamnation de Pascal Sibukangwa. Comment se fait-il que d’autres génocidaires ne soient pas arrêtés ? La France protège t-elle les bourreaux d’un génocide reconnu ?

Petit à petit, le France est en train de les lâcher. Je crois que d’autres procès suivront. Les regards sont désormais braqués sur la France et aucun autre pays ne viendra à la rescousse tant les accusations sont graves. Deux présumés génocidaires ont été récemment arrêtés en France et ils seront jugés. Mais, on a pris beaucoup de retard et c’est ça qui interpelle. Dans les autres pays, les génocidaires ont été arrêtés et jugés. Pourquoi la France a tant traîné lespieds ?

AEL : . Au nom de la real politique et des relations commerciales, n’avez-vous pas peur que le rôle de la France dans le génocide des Tutsi du Rwanda soit définitivement enterré y compris par le pouvoir rwandais actuel ?

Je ne crois pas qu’un homme comme Paul Kagamé enterre le rôle de la France dans le génocide des Tutsis du Rwanda. C’est impossible car Kagamé est un homme qui ne négocie pas les faits moraux, il n’y a donc pas d’arrangements possibles. D’ailleurs, c’est ce qui gène le plus la France. Kagamé les dérange à tout point. Je ne fais pas l’apologie de Paul Kagamé mais voilà un homme qui a hérité d’une situation chaotique (un génocide) et réussi à mettre son pays debout. Les occidentaux aiment bien choisir les priorités pour les autres et on nous parle tout le temps d’élections mais tout le monde sait que c’est une mascarade dans beaucoup de pays africains où les élections ne servent en réalité qu’à maintenir les dictateurs au pouvoir avec l’assentiment des pays qui

Dossier Rwanda-20ans

16

Dossier Rwanda-20ans

les exploitent. Le Rwanda est par exemple le pays où la lutte contre la corruption est la plus avancée en Afrique. En ce qui concerne la parité, je dois juste dire que le parlement rwandais regroupe 56 % de femmes, un des taux les plus élevés au monde. Le Rwanda a banni les sacs plastiques de son environnement et Kagamé est en train de démontrer que la force de l’homme est de se relever et de continuer son chemin. En pardonnant à ceux qui nous ont offensés. C’est donc très facile de critiquer mais j’aimerai bien savoir ce qu’auraient fait certains pays s’ils sortaient d’un génocide. Certes, tout n’est pas parfait mais il y a beaucoup d’avancées malgré tout.

AEL : Afrique en lutte se bat pour une enquête

sur les responsabilités françaises dans le génocide au Rwanda et l’assassinat de Thomas Sankara. C’est au cœur de ses objectifs. Comment faire pour faire converger nos luttes et aboutir à une reconnaissance du rôle de la France dans le génocide des Tutsis du Rwanda ?

Il faut continuer le combat pour la vérité et la justice. Tous ensemble, nous y arriverons. Ceux que j’ai appelé les enfants de Vershave continueront le combat et réaliseront nos objectifs.

Propos recueillis par Moulzo

Boubacar Boris Diop est un auteur, romancier, essayiste, scénariste sénégalais né en 1946 à Dakar. Il a d’abord été professeur de littérature, de philosophie, ou encore conseiller au ministère de la Culture du Sénégal.
Il travaille ensuite dans le domaine journalistique, il a dirigé notamment le quotidien « Le matin de Dakar », et a également écrit pour le compte de plusieurs journaux sénégalais, ou pour un quotidien suisse.

Le style d’écriture qu’il utilise est alerte et se rapproche parfois du polar. Son écriture est relativement journalistique, très documentée et réaliste. Ainsi, il a publié en 2002 un article, après le naufrage du Joola dans le Monde Diplomatique.

Son œuvre est impressionnante tant en quantité, qu’en engagement politique et humain. Il écrit pour dénoncer, pour apprendre et pour la mémoire. Il parcourt aujourd’hui le monde entier et son succès est mondial.
Il a reçu de nombreux prix pour ses écrits. Ainsi « Les Tambours de la mémoire » a reçu le Prix des Lettres du Sénégal), « Le Cavalier et son ombre » a reçu le Prix Tropiques).

Homme activement engagé par la politique et par son pays, il s’est en 1998, rendu avec d’autres auteurs et personnalités africaines au Rwanda, ce qui les a conduit au collectif d’écriture : « Rwanda, écrire par devoir de mémoire ».

Il parcourt désormais le monde dans l’espoir qu’enseigner le génocide rwandais, et ses vérités cachées aide le monde à lutter pour la paix. Source : over-blog

17

Culture

Jean-Luc EINAUDI : Mort d’un chercheur militant

Jean-Luc Einaudi, ce « héros moral », ainsi que le nommait Mohammed Harbi, est mort le 22 mars d’une maladie foudroyante. L’auteur de nombreux ouvrages rigoureusement documentés sur l’Algérie, a focalisé ses recherches sur le rôle et l’implication de l’État français dans la répression des luttes pour l’indépendance algérienne.

Éducateur de jeunes en difficulté, militant devenu historien, Jean-Luc Einaudi a poursuivi avec ténacité un travail de recherche dans les archives afin d’articuler histoire et mémoire des luttes de la période coloniale contemporaine. Mettre en lumière les épisodes occultés de cette histoire, l’engagement des anticolonialistes et surtout la répression meurtrière, le 17 octobre 1961, de la manifestation pacifique des Algériens immigrés de la région parisienne, battus, torturés, jetés dans la Seine où beaucoup se noyèrent.

En 1990, son livre La Bataille de Paris. 17 octobre 1961 (Le Seuil), fit l’effet d’un électrochoc en décrivant avec précision, ce crime d’État orchestré par Maurice Papon, systématiquement dissimulé par les autorités françaises. Papon contre lequel il témoigna en 1997 lors du procès pour complicité de crimes contre l’humanité sous l’occupation allemande. Papon encore, débouté de sa plainte en diffamation lorsqu’Einaudi écrivit dans Le Monde en 1998 : « En octobre 1961, il y eut à Paris un massacre perpétré par des forces de police agissant sous les ordres de Maurice Papon. »

Une conscience pour laquelle la connaissance et la transmission étaient plus importantes que les paroles officielles, qui fit de la solidarité avec les peuples colonisés une exigence morale et politique. Honnêteté et lucidité sur les responsabilités historiques. Celles par exemple de François Mitterrand, ministre de l’Intérieur fin 1954 et début 1955, dans la réaction répressive de l’État français face aux revendications indépendantistes algériennes, dans les condamnations à mort des militants indépendantistes algériens et français, au nombre desquels Fernand Yveton, communiste ayant rejoint le FLN, « guillotiné pour l’exemple ». Ce fut d’ailleurs le sujet de son premier livre.

Jean-Luc Einaudi est mort le jour d’une manifestation internationale antiraciste et antifasciste accompagné de la voix des sans-voix, lui qui a su faire entendre les silences.

Gisèle Felhendler

Le rapport BRAZZA : Crimes coloniaux et secrets d’État

Crimes coloniaux, secrets d’État: Aux origines de la Françafrique ; Mission d’enquête du Congo: rapport et documents (1905-1907) Préface de Catherine Coquery-Vidrovitch, postface de Pierre Farbiaz – Éditions Le passager clandestin, mars 2014, 19 euros.

pour crimes coloniaux. Brazza est chargé de démontrer que contrairement à son voisin belge, le Congo français est quant à lui exempt de reproches. L’inspection dure six mois, compilant témoignages

et rapports malgré les obstacles.

A l’issue de sa

mission, Brazza, rentrant en métropole, meurt à Dakar le 14 septembre 1905. Sa disparition facilite

l’enterrement de première classe du «

rapport

Brazza

» par le gouvernement français

La

décision finale fut donc d’enterrer le rapport

l’affaire en resta là. Le 7 mai 1907, sur proposition du directeur des Affaires d’Afrique, Louis Binger, il

fut décidé d’en

imprimer «

10 exemplaires

numérotés et destinés à demeurer confidentiels

sur le budget général du Congo français. On prévit

Le 5 avril 1905, l’explorateur Pierre Savorgnan de
Brazza embarque à Marseille pour sa dernière mission ; en Afrique, envoyé du gouvernement français pour
mener une urgente mission d’inspection
«extraordinaire» au Congo.

»

Des «

instructions

strictement confidentielles

» du ministre des Colonies

laissent entendre qu’il y eut des

excès, euphémisme

18

Culture

d’en remettre un exemplaire au ministre (…) et d’enfermer les neuf autres dans le coffre-fort du

ministère

». (Catherine Coquery-Vidrovitch, auteure de

la préface).

Le rapport Brazza, très dérangeant pour la France coloniale, qu’il accuse de crimes contre l’humanité. n’a jamais jusqu’à ce jour été publié et a même été occulté au sein des archives du Ministère des Colonies, puis du Ministère des Affaires Étrangères.

Plus de cent ans après, il est enfin rendu public. Sortir du Colonialisme, une association d’éducation populaire s’est associée à la coédition de cet ouvrage car elle est le prolongement de notre combat anticolonial. La lutte pour l’ouverture des archives est une exigence constante contre la pratique du secret par le pouvoir colonial . Cet ouvrage expose de l’intérieur de l’appareil d’État colonial des pratiques qui se sont étendues durant tout le temps de la colonisation et sur tous les territoires. A la mort de Brazza, le «parti colonial», lui organise des obsèques solennelles.

Le rapport Brazza, véritable Livre Noir de la colonisation, démonte le roman national fantasmé d’un temps béni des colonies, mettant à jour l’extrême brutalité de cette idéologie et la constitution d’un état d’exception permanent: massacres de masse, tortures, enfumages, travail forcé, exécutions sommaires. Déshumanisation et humiliation, telle est la violente réalité de la colonisation.

Lutter contre le révisionnisme, le négationnisme colonial et la réécriture d’une histoire officielle fait partie du travail de mémoire des anticolonialistes, notamment depuis la loi du 23 février 2005 qui tenta d’intégrer le mensonge d’État d’une colonisation dite «positive» aux manuels scolaires. Ce combat est terriblement contemporain, car à l ’effondrement de

l’Empire colonial succéda le néo, voir le ré- colonialisme. C’est l’avènement d’un système financier, économique, politique, militaire, diplomatique et surtout mafieux connu sous le nom de Françafrique.

Bolloré, Areva ou encore Total sont toujours présents à Libreville, Brazzaville ou Lomé, souvent protégés par des contingents de l’armée française qui a conservé sur place ses bases militaires. Des élites locales corrompues ont co-géré le pillage des ressources. Les massacres ont également continué. Exemple criant, Le Gabon de Bongo père et fils qui a alimenté les caisses noires des partis politiques français et réprimé les révoltes populaires. L’imposture d’une mission humanitaire et démocratique a remplacé celle d’une mission civilisatrice, et elle est menée par les gouvernements français de droite comme de gauche. Le but est toujours le même: servir aujourd’hui comme hier les intérêts de la France des financiers et des industriels. Le rapport Brazza met ainsi dans une lumière crue le lien indissoluble entre capitalisme et oppression des peuples, et le poids de l’histoire coloniale dans l’identité des sociétés occidentales.

Le combat anticolonial est un combat anticapitaliste et émancipateur.

Gisèle Felhendler

www.electionsafrique.org

Le Collectif de Solidarité avec les Luttes Sociales et Politiques en Afrique se réunit chaque mois depuis 2009 à Paris. Il inscrit son travail dans le sens d’un soutien aux démocrates africains et dans le sens d’une réforme profonde de la politique française. Réunion chaque 2e jeudi du mois, à 19h, Bourse du travail de Paris, 3 rue du Château d’eau, M° Château d’eau, salle Commission 1 (en général).

19

A visiter: Rwanda 1994 : le génocide des Tutsi

Du 5 avril au 5 octobre 2014

Entre avril et juillet 1994, environ un million de personnes furent massacrées au Rwanda. Durant ces trois mois, les trois quarts de la population tutsi ont péri au cours de ce génocide considéré comme le dernier du XXe siècle. Comment un crime abominable d’une telle ampleur a-t-il été rendu possible ?

La disposition scénographique du parcours reproduit les mémoriaux rwandais et vise à approcher l’événement par une narration centrée sur les objets, archives sonores, vidéo ou écrites. Restituer la réalité d’un passé toujours vivant au Rwanda, vingt ans après, tel est le but de l’exposition.

Rwanda 1994 : le génocide des Tutsi

Exposition-dossier du 11 avril au 5 octobre 2014 Dans le cadre de la vingtième commémoration 1994-2014

http://www.memorialdelashoah.org/rwanda

A voir: Tuez-les tous ! Rwanda, histoire d’un génocide « sans importance » de Raphaël Glucksmann et David Hazan

POUR NOUS CONTACTER, e-mail: afriquesenlutte@yahoo.fr; site: www.afriquesenlutte.org

 

Partager

Plus d’histoires deLibye