Argent libyen, le témoin clé ignoré par la justice française
9 juin 2014
MONDAFRIQUE
Argent libyen, le témoin clé ignoré par la justice française
Principal collaborateur du libyen Moussa Koussa, interface en 2005-2007 entre le colonel Kadhafi et Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, Souheil Rached continue à séjourner régulièrement en France, sans que la justice française ne l’interroge. C’est notamment sa proximité avec la DGSE (renseignement français), toujours d’actualité, qui le protège. En privé, ce témoin privilégié soutient que Kadahfi aurait été aussi généreux en matière de financement de campagne pour Nicolas Sarkozy que pour ses adversaires socialistes. Autant dire que son audition face aux juges créerait un sacré choc.
Ancien photographe de presse au Liban, Souheil Rached aura été surtout dans sa jeunesse un militant courageux et déterminé du FPLP, l’organisation palestinienne de Georges Habache. C’est à ce titre qu’il rencontre, durant la guerre au Liban, les milieux de renseignement français ainsi que le colonel libyen Saleh Drouki, alors ambassadeur de Libye à Beyrouth.
Présenté à Tripoli au « Guide », le jeune Souheil débute une carrière brillante et foudroyante auprès de Moussa Koussa, qui est chargé, sous l’autorité directe de Kadhafi, de tous les dossiers sensibles à l’étranger. A ce titre, Koussa négociera avec les Anglais le dossier « Lockerbie », du nom de ce village écossais où un avion de la Pan s’écrase en 1988, victime d’un attentat meurtrier (270 morts) qui sera imputé aux Libyens. Apparemment, Moussa Koussa, adepte du double jeu, saura s’y prendre avec les services anglais. Durant la guerre franco-anglaise en Libye en 2011, ce proche parmi les proches de Kadhafi s’enfuit en Angleterre, porteur de ses secrets d’Etat; il y sera fort bien accueilli, avant de gagner l’Arabie Saoudite, où il séjourne.
De Paris à Bamako
Jusqu’à l’intervenion en Libye en 2011, Souheil Rached, francophone et francophile, est l’homme qui connait le mieux les relations entre Tripoli et Paris, comme le raconte fort bien dans le livre « Sarkozy/Kadhafi, histoire secrète d’une trahison » (Le Seuil) la journaliste Catherine Graciet. Le domaine d’intervenion de cet agent d’influence s’étend même en Afrique francophone. A l’époque, Kadhafi se veut le roi de l’Afrique sahélienne, où il déverse des dizaines de millions de dollars. Mais il s’agit de pays d’influence française. Souheil Rached déploie tout son talent pour rapprocher les hommes de Kadhafi, la diplomatie française et les chefs d’Etat africains, notamment au Mali et au Niger.
A Bamako encore aujourd’hui, cet homme de l’ombre est consulté par le président IBK. En revanche à Niamey, il n’est plus personna grata, car les militaires nigériens n’ont guère apprécié la façon dont il a mis en cause leur incompétence et leur corruption auprès du président nigérien Issoufou. Lors de son dernier séjour dans ce pays, il sera exfiltré par la DGSE française dès son arrivée. Les patrons de l’armée nigérienne voulaient lui faire la peau.
Bakchichs pour tous
Depuis peu, Souheil Rached séjourne au Caire où il joue un role discret pour conseiller le pouvoir égyptien sur le dossier libyen. On peut imaginer qu’il est en phase avec son ancien patron, Moussa Koussa, qui, lui, est consulté par le régime Saoudien. A Riyad comme au Caire, on souhaite que l’ordre revienne en Libye et que les frères Musulmans soient définitivement chassés du pouvoir à Tripoli.
Habile, Souheil Rached a maintenu des liens étroits avec ses amis de la DGSE (services français). Ce qui explique que ses séjours parisiens restent discrets. A moins que les juges ne veuillent pas entendre son témoignage sur les fameuses accusations de financement politique consenti par Tripoli aux politiques français en 2006 et 2007. Ce qu’aurait à déclarer ce témoin clé ne va pas dans le sens de ce qu’on entend généralement sur ce dossier, où seul Nicolas Sarkozy est mis en cause.
En privé et lorsqu’il se confie à ses amis barbouzes, Souheil Rachel fait entendre un tout autre son de cloche. » Onze millions, leur explique-t-il, ont été versés à Nicolas Sarkozy via l’Allemagne et en deux fois, sept millions puis quatre millions. Une dizaine de millions ont été donnés à une personnalité de gauche très en vue au Parti Socialiste ».
Cette version est à l’honneur de feu le colonel Kadhafi, qui, dans son infinie sagesse, ne voulait en aucun cas insulter l’avenir.
Ancien du “Monde”, de “Libération” et du “Canard Enchainé”, Nicolas Beau a été directeur de la rédaction de Bakchich. Il est professeur associé à l’Institut Maghreb (paris 8) et l’auteur de plusieurs livres= « Papa Hollande au Mali », « Le vilain petit Qatar », “la régente de Carthage” (La découverte, Catherine Graciet) et “Notre ami Ben Ali” (La Découverte avec Jean Pierre Tuquoi)