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29 mars 2024

AU PAYS DE L’ONCLE SAM, ON « FERME LES ECOLES ET ON OUVRE LES PRISONS ».


Jeudi 28 août 2014

 

Article AC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

Les marches de la colère dans le Missouri après le meurtre d’un jeune noir, la mise à nu de la continuité du « racisme » institutionnalisé aux Etats-unis nous emmène à re-publier ces chiffres effarants sur l’incarcération de masse aux USA comme solution ultime à la question sociale.

Le Huffington post (américain) avait révélé il y a un an des chiffres édifiants : en 2011, on comptait aux États-Unis environ 1,5 millions de prisonniers dans les geôles de l’Etat fédéral ou des Etats fédérés. Dans le même temps, le pays ne compte que 1,1 millions de professeurs (du secondaire).

2,5 millions de prisonniers, 7 millions sous « surveillance » carcérale …

contre 1 millions de professeurs, 3 millions d’enseignants !

Mais ces chiffres sont en réalité largement sous-évalués. Le Bureau of justice statistics estime qu’en 2012, la population carcérale américaine effective s’élève à 2 228 400 prisonniers (dont 744 500 dans les « local jails », les prisons locales), soit près d’1 % de la population américaine.

L’office statistique en profite pour rappeler que ce sont en fait 6 937 600 sont sous « surveillance des systèmes carcéraux », en liberté conditionnelle – en réalité un fichage, une surveillance d’une personne sur trente-cinq aux Etats-unis !

Au sens très restreint, le Huffington Post avait donc révélé que les Etats-unis comptaient plus de prisonniers que de professeurs du secondaire. Au sens large, ils comptent deux fois plus de personnes dépendentes du système carcéral que les 3,7 millions d’enseignants que compte le pays.

Pour comparer, la France compte 840 000 enseignants contre 68 000 prisonniers, un nombre pourtant en augmentation ces dernières années, avec une sur-population chronique dans des prisons aux conditions souvent insalubres.

Aux Etats-unis, on « ferme les écoles » et on « ouvre les prisons » !

« Ouvrez une école, vous fermerez une prison ». La formule de Victor Hugo est rituelle pour tout enseignant progressiste, laic, un repère pour mesurer le degré de civilisation d’un pays. Aux Etats-unis, on ferme les écoles et on ouvre les prisons.

Entre 1970 et 2010, le nombre de prisonniers a été multiplié par 8, passant de 300 000 à 2,3 millions, le nombre de prisons privés est passé de 0 à 150.

Dans le même temps, pour la seule année 2011, 2 000 écoles ont fermé, encadrant 320 000 écoliers.

On connaît le cas de la ville de Chicago, troisième système éducatif du pays, mais aussi une ville connu pour son taux record de criminalité. Elle a fermé en 2013 50 de ses écoles, avant tout dans les quartiers défavorisés, habités par les minorités.

Autre cas moins connu, Philadelphie. En 2013, la ville a fermé 23 écoles – un dixième de ses établissements – au nom de la crise … tout en ouvrant la plus grande prison de l’Etat, devant cocntenir 5 000 détenus, pour un montant de 400 millions de $.

Les États-Unis, un quart de la population carcérale mondiale

Dans la lutte idéologique entre puissances mondiales concurrentes, les Etats-unis vont réactiver sans nul doute leur discours de guerre froide de « pays de la liberté », de la « démocratie » face aux « Etats policiers », répressifs, Chine ou Russie.

Pourtant, la comparaison internationale sur le taux d’incarcération ne laisse aucune ambiguïté. Bien qu‘ils ne rassemblent que 5 % de la population mondiale, les Etats-unis concentrent 25 % de la population carcérale mondiale.

Les Etats-unis comptent, en chiffres absolus, plus de prisonniers que la Chine (2,3 millions contre 1,5 millions de prisonniers) pour une population cinq fois inférieure. Si 963 Américains sur 100 000 sont en prison (près de 1 %), le chiffre tombe à 118 pour 100 000 en Chine.

Les Etats-unis sont bien sûr numéro un mondiaux pour leur taux d’incarcération. Parmi les pays dits développés, on trouve naturellement à la deuxième place, le grand allié des États-Unis, l’État d’Israël.

Même la Russie, qui occupe la deuxième place mondiale, reste loin derrière, avec 870 000 prisonniers, et un peu glorieux 615 prisonniers pour 100 000 habitants.

Tout le monde est égal aux États-Unis mais certains semblent plus égaux que les autres. En effet, la population carcérale se compose à 40 % de noirs, 35 % de Blancs et 20 % d’Hispaniques. Pourtant, les Noirs ne représentent que 13 % de la population américaine.

La privatisation des prisons américaines : le « cauchemar américain »

L’horreur américaine, c’est aussi celle dune privatisation du pays qui encourage la résolution de la question sociale et raciale par l’emprisonnement de masse.

Depuis les années 1980, les lois répressives, sous la tolérance zéro, ont conduit à l’explosion de la population carcérale. C’est le cas notamment des « three strikes laws » rendues célèbres en Californie par le gouverneur-terminator Schwarzenegger.

Selon les « three strikes laws », l’accumulation de trois délits – quelles que soient leur nature, gravité, les circonstances – conduit à des peines de prison censées être dissuasives par leur durée.

Ainsi, des individus ayant commis des « crimes » comme le vol de clubs de golf ou de bicyclettes ont pu être condamnés à 25 ans de prison. On n’est plus très loin des Misérables !

Dernièrement, on a même vu la résurgence des emprisonnements pour dettes impayées. C’est légal dans un tiers des États américains, 5 000 incarcérations ont été actés l’an dernier pour ce motif, le plus souvent pour incapacité à payer les amendes prévues par des lois iniques.

Les « prisons pour débiteurs » – renvoyant à l’antique « asservissement pour dettes » – sont officiellement abolies depuis 1833 … au niveau fédéral. Cela laisse aux États fédérés toute liberté pour les légaliser.

Le travail en prison atteint également des proportions gigantesques. L’UNICOR, l’organisme public responsable de la main d’œuvre carcérale, emploie 20 % des prisonniers fédéraux (soit 20 000 personnes) dans 109 usines, pour un salaire entre 0,25 et 1,1 $ de l’heure.

Les prisonniers américains fournissent désormais 100 % de certains matériels militaires légers comme les casques, les tentes, les gilets pare-balles pour l’armée américaine. C’est aussi le cas de 30 % des casques d’écoute, et 20 % des fournitures de bureau.

Les prisons fédérales n’hésitent plus maintenant à offrir la force de travail de leurs prisonniers à des entreprises privées qui sous-traitent notamment leurs centres d’appel. Pour des salaires à 1 $ de l’heure, on descend sans honte en-dessous du minimum de subsistance.

Dans le même temps, les prisons, elles, sous-traitent et privatisent leurs services de restauration, leurs soins de santé. La qualité des services exécrable conduit à des désastres sanitaires mais les profits sont maximum pour des entreprises comme Corizon dans la santé ou Aramark dans la restauration. Dépenses publiques, profits privés, business as usual !

Ce n’est pas tout, les prisons privées constituent le stade suprême de l’incarcération de masse au nom de la poursuite du profit maximal.

On compte désormais 150 centres de détention privées, concentrant officiellement entre 150 et 200 000 détenus, un chiffre en augmentation de 40 % depuis dix ans.

Les deux grands groupes – CCA (Corrections corporations of America) et GEO – accumulent des profits records (1,7 milliards de revenus pour chacun en 2013), tout en arrosant largement les politiciens locaux pour bénéficier de juteux contrats (ainsi, 2,5 milliards de $ dépensés en « lobbying » par GEO en dix ans).

Le marché des prisons privés « for profit » (lucratives) se développe dans les 37 États qui l’ont légalisé. Des investisseurs privés affluent pour des capitaux à haute rentabilité – quand on sait que les profits de CCA ont été multipliés par six en vingt ans.

Les entreprises de Wall Street qui investissent désormais dans les prisons privées sont bien connues : General Electrics, Bank of America, IBM, HP, Macy’s, Texas Instruments, etc.

Cela aboutit à une logique perverse : certains contrats prévoient que la justice et la police locale doit arrêter, pénaliser et incarcérer toujours plus de citoyens, pour assurer un taux d’occupation de ces prisons privées dépassant les 90 %.

Comme toujours quand on privatise, les compagnies privées avaient promis des coûts moindres pour une efficacité supérieure. La réalité dénoncée par tous les rapports publics et associatifs – reconnue même par le Bureau statistique du Ministère de la Justice – c’est celle d’un désastre.

Le privé dans les prisons, c’est moins efficace, plus dangereux, criminel : la violence dans les prisons privées se révèle largement supérieure, la condition sanitaire des détenus est dégradée, les coûts de fonctionnement augmentent, tandis que les entreprises privées n’ont pas de compte à rendre aux citoyens américains.

Par contre, le développement du travail forcé devient la norme dans les prisons privées, pour tout type d’entreprise jusque dans la construction électronique ou le textile.

L’ « esclavage aboli » dans la Constitution sauf … pour les délinquants !

Pour en finir avec l’hypocrisie capitaliste américaine, un rappel est nécessaire.

Le 13 ème amendement à la Constitution américaine a aboli officiellement l’esclavage, en 1865. Il faut rappeler la formulation: « Neither slavery nor involuntary servitude, except as a punishment for crime where of the party shall have been duly convicted, shall exist within the United States ».

Le « except as a punishment for crime » est capital ici. Crime signifie tant crime que délit en anglais. Il légitime donc l’esclavage ou servitude involontaire en cas de délit, ou de crime reconnu par la justice de ce pays.

C’est sur la base de cette disposition que va se perdurer de 1865 aux années 1920 le système de « prêt de prisonniers » (convict lease) des établissements publics aux entreprises privées dans le Sud des Etats-unis, que ce soient dans les plantations, les mines ou la construction de chemins de fer.

Ces prisonniers étaient, à plus de 90 % Noirs, bien entendu. C’était tout simplement une perpétuation de l’esclavage sous une autre forme.

C’est toujours aujourd’hui au nom de la « liberté d’entreprise », des « libertés des Etats fédérés » que des millions d’Américains sont emprisonnés, contraints au travail forcé dans desworkhouses modernes pour 1 $ de l’heure.

En 1903, le militant pour l’émancipation de la cause noire W.E.B. Du Bois – qui se rapprochera ensuite du communisme – décrit la situation après 1865 : ségrégation à l’école, État policier traquant la population noire, engrenage fatal du crime pour cette dernière.

Il souligne combien « le système policier du sud visait à traquer tous les Noirs, pas seulement les criminels (…) et comment les tribunaux ont été un moyen, après l’abolition de l’esclavage, de réduire à nouveau en esclavage les Noirs ».

Du Bois conclut ainsi : « Que peut attendre, au nom de la raison, cette nation d’un peuple peu formé, réduit à des conditions économiques difficiles, sans droits politiques, avec des écoles honteusement déficientes ? Que peut-elle attendre si ce n’est le crime et l’apathie ».

Cent après, hélas, même si un président « noir » dirige le pays, le pouvoir du capital est intact, la question « sociale » et « raciale » n’est pas plus résolue. Et rien n’a changé dans le fond pour des millions d’Américains privés de la maîtrise de leurs vies.

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