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24 avril 2024

France : musulmans au bord de la crise de nerfs


France : musulmans au bord de la crise de nerfs

07/10/2014 à 10:11 Par Alain Fauja
À Nice, le 27 septembre, manifestation à la mémoire d'Hervé Gourdel. À Nice, le 27 septembre, manifestation à la mémoire d’Hervé Gourdel. © Bruno Bebert/Sipa

Condamner de la manière la plus nette les atrocités du prétendu État islamique ? Bien sûr, ça va de soi. Mais être en permanence sommé par les islamophobes de se « désolidariser » des barbares est assurément exaspérant.

Dès l’annonce, le 24 septembre, de l’assassinat en Kabylie du guide de montagne Hervé Gourdel, les médias se sont empressés de faire réagir les musulmans de France à cette ignominie. Jamais on avait autant vu, lu et entendu de représentants de la deuxième religion du pays ! Les manifestations devant la Grande Mosquée de Paris ou dans les rues de la capitale n’ont en revanche pas attiré grand monde. Il n’y a qu’à Lyon, le 1er octobre, que le recteur de la mosquée, Kamel Kabtane, le cardinal Philippe Barbarin et le grand rabbin Richard Wertenschlag sont parvenus à mobiliser les foules.

Oui, les musulmans interrogés ont dit leur indignation face à la barbarie. Ils ont crié « nous sommes tous des Hervé Gourdel ». Comme leurs coreligionnaires britanniques, inventeurs sur Twitter d’une campagne #NotInMyName, ils ont clamé que ce meurtre ne pouvait pas avoir été commis en leur nom. Et ils ont pleuré de compassion pour « Hervé » et sa famille. Mais non, mille fois non, ils ont refusé de se justifier et de se « désolidariser » de ces pratiques barbares pour la simple raison qu’ils n’en ont jamais été « solidaires ».

>>Mort d’Hervé Gourdel : la justice algérienne a lancé des poursuites contre 15 suspects

Ils ont vu, à juste titre, dans ces exigences une manifestation d’islamophobie, la palme revenant à une tribune publiée par Le Figaro sous le titre « La barbarie oblige l’islam à l’autocritique ». Et à une question posée sur son site figaro.fr : la condamnation par les musulmans de France des exactions de l’État islamique est-elle « suffisante » ? On sait que la plupart des victimes de cette organisation sont musulmanes…

Unanimes, ils ont répondu qu’ils condamnaient lesdites exactions en tant que citoyens français et/ou en tant qu’êtres humains, mais certainement pas en tant que musulmans. Le site de l’Observatoire national contre l’islamophobie a mis en ligne la photo d’un bonze bouddhiste avec cette simple question : « Dois-je m’excuser pour le génocide des Rohingyas [une ethnie musulmane] en Birmanie ? » Et aussi la photo d’un couple de Juifs français interpellé en ces termes : « Doit-on s’excuser pour le massacre de civils en Palestine ? »

Directrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam (CPDSI), Dounia Bouzar enfonce le clou : « Est-ce qu’on demande au pape de se désolidariser des suicides collectifs du Temple solaire ? Non, parce qu’on sait très bien que cette secte ne représente pas la foi catholique. De même, les fous qui se prétendent jihadistes et manipulent les versets du Coran ne sont pas représentatifs des musulmans. »

Psychopathologie

Comment une telle dérive a-t-elle pu se produire ? « À l’école, à l’hôpital ou dans le milieu des travailleurs sociaux, on est dans l’incapacité de distinguer l’orthodoxie religieuse de la dérive radicale. On a donc islamisé des comportements qui n’avaient rien à voir avec l’islam, estime Dounia Bouzar. Nous devons fournir aux parents des indicateurs qui annoncent le glissement d’un jeune vers un comportement sectaire. Oublions les signes religieux : un gamin peut, à midi, manger des petits pois aux lardons et, le soir, se consacrer au jihad. Cela relève de la psychopathologie, pas de la religion. »

La communauté musulmane avait jusqu’ici tendance à faire le gros dos face à l’islamophobie ambiante. « C’est en train de changer, analyse l’universitaire Olivier Roy. On assiste à l’émergence d’une classe moyenne dont les membres essaient de se définir à la fois comme citoyens et comme croyants. Ce sont eux qu’on a entendus et lus après l’assassinat de Gourdel. Mais ils ne se reconnaissent pas dans les institutions officielles qui débitent un discours sur « l’islam, religion de paix », ritournelle à laquelle personne ne croit. »

Olivier Roy incrimine les gouvernements, de droite comme de gauche, qui ont « coopté à la tête de ces institutions des Algériens et des Marocains, mais pas des Français musulmans représentatifs de cette classe moyenne ». Ne peut-on envisager la création de nouveaux organismes qui fassent la part plus belle aux jeunes las des querelles de minaret ? « Il va y en avoir, répond-il. Beaucoup sont favorables à la création d’une sorte de Crif [Conseil représentatif des institutions juives de France] musulman. Le problème est que ces musulmans sont devenus de vrais Gaulois. Très divisés, ils ont du mal à se mettre d’accord ! »

Certains, tel Abderrahim Hafidi, animateur de l’émission Islam sur France 2, qui se réclame de feu Mohammed Arkoun, professeur d’histoire de la pensée islamique à la Sorbonne, veulent aller plus loin dans l’évolution doctrinale. « Si l’on veut sortir de ces tragédies à répétition, explique-t-il, et empêcher le dévoiement de notre Coran par des fous, nous devons lever les clôtures qui paralysent la pensée, refonder la place de la religion dans le monde moderne et, par-dessus tout, proclamer un humanisme religieux. Ce qui veut dire accepter l’autre avec ses différences, comme nombre de musulmans le font d’ailleurs depuis un siècle. »

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