La police turque massacre 18 manifestants pro-kurdes.
9 octobre 2014
La police turque massacre 18 manifestants pro-kurdes. L’ordre règne à Ankara, où est l’indignation occidentale ?
Article AC pour http://www.solidarite-internationale-pcf.fr/
La nouvelle nous est d’abord venue par nos camarades communistes turcs. Elle a rencontré un certain écho dans la presse française. Sans pour autant poser la vraie question : quand est-ce qu’on pose la question des responsabilités de la Turquie dans l’émergence de l’islamisme radical dans la région, et qu’on condamne son régime brutal ?
Ce mardi, les affrontements entre la police turque et des manifestants pro-kurdes ont été meurtriers. Nos camarades communistes turcs donnaient le bilan de 11 morts, l’AFP donne le chiffre de 14 morts aujourd’hui, 18 pour Reuters.
Plusieurs milliers de manifestants, kurdes pour l’essentiel, sont descendus dans la rue pour protester contre l’hypocrite non-intervention – après l’entrée en guerre décidée la semaine dernière – de l’Armée turque à Kobane, en Syrie, où les islamistes sont en train de massacrer les combattants kurdes.
La police-Robocop tire des grenades lacrymo dans la tête des manifestants et tue !
Ces manifestations ont empli les rues des grandes villes du pays, Istanbul, Ankara, Antalya, Izmir. Des forces anti-émeutes (qui en Turquie ressemblent à de véritables « Robocop » sans souci pour le détail) sont intervenues dans les quartiers populaires d’Instabul et à Ankara.
Les échauffourés ont été meurtriers dans le sud-est du pays, près de la frontière et au cœur de la communauté kurde, notamment dans la capitale kurde Diyarbakir. La police ne s’est pas limitée aux habituels canons à eau, grenades lacrymo mais aurait tiré à balles réelles.
La confusion règne, certains rapports font état d’affrontements armés entre militants kurdes et militants islamistes soutenant l’EI. Mais il est étrange que tous les morts, jusqu’à présent, soient du même côté.
Par ailleurs, on connaît déjà le cas d’un jeune homme de 25 ans abattu … d’une grenade lacryomogène tirée dans la tête par un policier turc.
La Turquie est désormais un pays en état d’urgence, un couvre-feu a été décrété dans six villes dont Diyarbakir. C’était aussi un des objectifs de l’entrée en guerre : instaurer un climat de terreur pour réprimer l’opposition politique, kurde et de gauche tout simplement.
Posons les bonnes questions à nos dirigeants : pourquoi cautionner un gouvernement massacreur, belliciste, islamiste, anti-démocratique ?
Il est temps de poser les vraies questions à nos dirigeants :
à quand une condamnation de ces massacres commis par le régime turc ? On se souvient qu’au Venezuela, il s’en est fallu de moins que cela pour voir les médias s’emballer. Aujourd’hui, c’est aussi le cas à Hong-Kong. Aujourd’hui, l’ordre règne à Ankara, au prix de 18 morts, nous, Français, Américains, nous en félicitons ;
pourquoi ne pas avoir soutenu le mouvement démocratique, laic, progressiste du « printemps turc » ? On se souvient qu’au printemps 2013, le mouvement « Occupy Gezi » a déclenché une révolte sans précédent depuis des années, mobilisant des centaines de milliers de jeunes contre ce régime autoritaire, dominé par les islamistes. La rebellion libyenne, syrienne – dominée par les islamistes – était démocratique, « Occupy Hong-Kong » ou « Maidan » (mené par des milices para-militaires, des néo-nazis avoués) étaient des combats pour la liberté. Et le combat pour les libertés civiles, la laicité, la paix, la démocratie sociale, le droit à l’auto-détermination des peuples, n’est-ce pas un combat juste en Turquie ?
pourquoi ce soutien aux islamistes en Turquie, au moment où on prétend les combattre en Syrie ? AKP mène un combat farouche en Turquie pour l’islamisation de la société – un combat tout à fait compatible avec la continuation d’une politique capitaliste néo-libérale – dans une société aux fortes traditions laiques. Il est troublant que nos référents dans la région soient les gouvernements turcs, saoudiens, qataris (la « Sainte-alliance » des islamistes réactionaires), ainsi que les rebelles syriens, libyens liés à Al-Qaeda contre les régimes nationalistes arabes laics comme en Syrie, hier en Irak ;
Pourquoi ce silence sur le soutien de l’Etat turc pendant trois ans à l’Etat islamique, fauteur de guerre dans la région ? On le sait, ce n’est pas même un secret de polichinelle : jamais les islamistes syriens (qui dominent la rebellion depuis longtemps) n’auraient pu résister pendant trois ans à la puissante armée syrienne sans un soutien logistique turc. C’est par la Turquie que viennent armes et combattants, c’est en Turquie que les islamistes se restaurent et se soignent, c’est vers la Turquie que se sont dirigés des milliers de barrils de pétrole de contre-bande permettant le financement de l’Etat islamique. S’il fallait frapper les complices de l’Etat islamique, c’est d’abord en Turquie qu’il fallait frapper !
Ces questions dérangeantes ne se suffisent pas à elles-mêmes. Même si leur réponse est simple : on ne condamne pas le pilier régional de l’OTAN et son armée pléthorique, on ne condamne pas cette puissance capitaliste émergente où les investissements européens affluent, on ne condamne pas un régime qui défend l’ordre, la religion et la sacro-sainte propriété privée.
La juste revendication nationale kurde otage des jeux géopolitiques entre la Turquie, les Etats-unis et les pays européens
La confusion générale, avec des puissances régionales allumant le feu, les puissances occidentales jouant avec lui, peut finir dans un scénario chaotique qui convient aux grandes puissances impérialistes – dont Israel – mais aux conséquences imprévisibles.
Hélas, les contradictions du mouvement kurde peuvent être exploitées par la Turquie, les pays impérialistes pour plonger la région dans le chaos, diviser pour mieux régner.
Les manifestants kurdes ont raison de dénoncer l’hypocrisie d’Ankara. Mais en poussant l’armée turque à intervenir en Syrie – ce qu’elle fera sans doute dans le futur proche – cela pourrait rentrer dans le jeu des puissances européennes, américaines qui veulent moins que l’Etat islamique liquider le régime laic, anti-impérialiste quoique corrompu et autoritaire de Bachar al-Assad.
La Turquie cherche une formule peu claire consistant peut-être à semer le chaos en Syrie, Irak, laisser aux Kurdes un maximum d’autonomie pouvant confiner au séparatisme, mais tout en ne voulant rien céder aux Kurdes de Turquie, avec la tentation d’exporter le problème kurde.
On sait également qu’entre Kurdes d’Irak – plus enclins à collaborer avec les Etats-unis, l’Allemagne – et ceux de Turquie, il y a de lourdes divergences, des conflits politiques majeurs.
Pour le peuple kurde, le droit à l’auto-détermination doit cessé d’être dénié. Mais dans la situation concrète, le rapport de forces actuel, la manipulation de cette revendication légitime d’un peuple meurtri pourrait servir les pires desseins pour le peuple kurde et les peuples de la région.
Stop à l’hypocrisie ! Exigeons de nos gouvernements qu’il condamne le régime d’Ankara, dénonçons ce double jeu de nos gouvernants. A force de jouer avec le feu, on se brûle. Quand on joue avec le feu sur une pourdrière, c’est tout le monde qui risque de sauter avec !