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19 avril 2024

Combien de maux, combien d’années de vie en bonne santé perdues, combien de mort-e-s, combien de silence ?


Combien de maux, combien d’années de vie en bonne santé perdues, combien de mort-e-s, combien de silence ?

nicolino-empoisonnementuniverselLe livre commence comme un conte. L’auteur nous parle des mondes oniriques, du temps très long, d’anaconda, de crêpe Suzette, de matière gazeuse, de milliards de collision, d’allumette, de curiosité…

Puis ce sera le temps des alchimistes, de la transmutation, Al-kîmiyâ, Bolos, Thomas d’Aquin, Paracelse, « Toutes les choses sont poison, et rien n’est poison ; seule la dose détermine ce qui n’est pas poison », Lavoisier et d’autres…

Le conte se transforme en thriller, gris, noir, de plus en plus noir. Comme l’indique Fabrice Nicolino, la chrysalide devint industrie. La recherche devient inséparable de l’industrie de la mort.

Développement du capitalisme, développement de la chimie de synthèse. Les mondes s’ouvrent, au moins dans les cerveaux des scientifiques vers le Progrès, avec un grand P. Synthèse de l’urée, mauvéine, Irénée du Pont de Nemours, la poudre et la guerre de Sécession, DuPont, le TNT, « Le grand massacre est un multiplicateur de profits »…

BASF, la fin de la garance, Bayer et la synthèse de l’aspirine, Dow Chemical et le brome, le prix Nobel de chimie, « Alors que l’Europe s’apprête à sombrer dans la boucherie des tranchées, la chimie est, avec d’autres disciplines scientifiques, la promesse totalitaire d’un monde où tous les problèmes seront réglés par l’action sur la matière. Tout le monde ou presque pense à cela. Tout le monde se trompe ».

Le capitalisme, la guerre, la chimie, un cocktail bouillonnant, l’ivresse dure encore…

Je ne saurai résumer toutes les présentations et les analyses détaillées de Fabrice Nicolino. Il faut lire ce livre, suivre pas à pas quelques-uns de ces scientifiques nobélisés ou non, leurs découvertes. Ils eurent probablement bonne conscience, certains furent des assassins en blouses blanches, des « criminels de labo », les mêmes ou d’autres représentent une « banalité du mal ».

La seconde partie de l’ouvrage est intitulée « Le temps des assassins ».

Fritz Haber, la fixation de l’azote, l’ammoniac, BASF, la porosité entre industrie des colorants et celle des explosifs, le racisme revendiqué, les violations des conventions internationales de La Haye, le refus de certains, l’utilisation du chlore dans les tranchées, le gaz moutarde, des prix Nobel et des criminels de guerre, le Zyklon B (celui qui servira à gazer les juifs/juives, les tziganes, etc…)

IG Farben, « la fabrique de l’holocauste », chimistes, parti nazi et industriels, Zyklon B, tabun, sarin, soman… L’auteur souligne « les beaux succès criminels » des laboratoires. Presque tous les savants chimistes impliqués moururent dans leur lit, l’impunité fut organisée à tous les étages.

DuPont, le nylon, la dislocation de l’uranium, les petits oiseaux, la bombe, une autre histoire, la même histoire, l’impunité. Comme l’écrit l’auteur « Pas de procès de Nuremberg pour la chimie de synthèse ! ».

Mais si certains massacres sont (re)connus, qu’en est-il de Tambov (1921), du Rif (1921-1927), de l’Ethiopie (1935), de la Chine (1937…)… et plus récemment de la guerre Irak-Iran, de la guerre du Golfe, de la Tchétchénie, de la Syrie… Crimes de guerre, violation des traités internationaux, crimes contre l’humanité, utilisations massives de produits chimiques mais les industries chimiques ne seraient ni responsables, ni coupables, les Etats non plus, l’impunité encore et toujours. L’argent coulait à flots comme les empoisonnements. Il continuera à couler. Il faut bien sauvegarder les emplois et les profits !

Voici « Le temps de la peste et du choléra ».

Les mots, « les fabricants ont essayé d’imposer leur vocabulaire », des mots plaisants euphémisant des réalités plus pesticidées. Il s’agit toujours de Guerre… Agent Orange, défoliant, la barbarie civilisationnelle étasunienne au Vietnam, DDT, etc… Les pesticides et la mort des abeilles, la contamination très large des animaux, « c’est que les pesticides pèsent très lourd dans la dégradation de la santé des organismes vivants, dont nous sommes. Comme dans les cancers, les malformations congénitales, les troubles et les maladies neurologiques, cognitifs, de la reproduction, les dysfonctionnements immunitaires, et bien d’autres encore ».

Il y aurait des surveillances, dont ces fameuses « Limites maximales de résidus » (LMR) dont l’auteur montre les réalités derrière la propagande.

Les micro billes de plastiques, « les larmes en plastique de nos pauvres sirènes », effroyable extension du domaine des polymères.

Theodora Colborn, les recherches, « De nombreux composés libérés dans l’environnement par des activités humaines sont capables de dérégler le système endocrinien des animaux, y compris l’homme ».

Encore une histoire de dose, l’exposition des fœtus, « Car chez un fœtus, bien davantage encore que chez l’homme achevé, une dose infime peut entraîner des conséquences en chaîne incalculables », les recherches égarées, la volonté de ne pas savoir, les organismes bureaucratiques…

La diffusion des poisons, « les intérêts coalisés – scientifiques, industriels, politiques, administratifs ». Fabrice Nicolino donnent des noms, montre la construction des silences, des mensonges, des protections de l’ordre industriel. Il analyse notamment la baisse du nombre des spermatozoïdes, la transformation de l’être humain en « décharge ambulante », la non qualité de l’eau, les euphémismes de la « malicieuse langue bureaucratique », les gaz toxiques, l’air pourri des intérieurs domestiques, sans oublier encore une fois l’histoire de l’amiante, l’Union Carbide et Bhopal, les déchets électroniques…

« Combien de maux, combien de morts, combien de silence ? ». Un des impensés radicaux de nos sociétés, une surdité organisée, le tout au nom de l’augmentation de l’espérance de vie… Mais outre le fait qu’il semble incongru de « deviner notre avenir commun en regardant notre passé et notre présent », l’espérance de vie en bonne santé diminue depuis… 2007. Il faut aussi prendre en compte que celles et ceux qui sont « vieux » aujourd’hui n’ont pas été exposé-e-s « dans le ventre de leur mère, ni à la maison quand ils étaient petits, ni à l’école, ni en mangeant, ni en respirant ». L’auteur parle de l’épigénétique, de l’extrême complexité de l’ADN qui « pris isolément n’est rien », de l’ignoble appel anti-écologiste de Paris, d’obésité, de diabète, de la maladie d’Alzheimer, de l’autisme, de l’asthme, de la fibromyalgie, etc… Mais les bonnes questions ne seront pas posées.

Dans la quatrième partie, « Le temps des impuissances », Fabrice Nicolino analyse l’invention des normes, le DJA, « Grâce à ce grandiose anesthésiant social, les humains peuvent croire qu’ils sont protégés par une armée de valeureux savants désintéressés ». L’auteur poursuit sur les lobbyistes, les journalistes, l’OMS et les « effets non monotones », le programme Reach, la langue inconnue des rapports « qu’aucun citoyen réellement existant ne parle ni de comprend ». Les pages sur les perturbateurs endocriniens sont particulièrement intéressantes.

Les scientifiques, les industriels, les institutions fabriquent « le grand mensonge », des faux et des manipulations, (A noter que ces pratiques ne concernent pas seulement la chimie !). Il s’agit de bloquer les faibles avancées de Rio… L’auteur parle du « double jeu de l’Onu et du Pnue », de l’industrie, cause principale des désastres, qui « s’impose et s’imposera toujours plus comme la « solution » des problèmes qu’elle ne cesse de créer ».

Des millions de mort-e-s chaque année et l’industrie ne paiera pas, financera des actions philanthropique… et comme le souligne l’auteur « Sous la philanthropie, le crime ».

Nous sommes étions dans un conte, nous avons basculé dans un univers noir, nous sommes aujourd’hui dans l’horreur banalisée, la barbarie masquée et approuvée par les « agences de sécurité ». Encore une fois, Fabrice Nicolino cite de nombreux noms, mets en cause de nombreuses « personnalités »… Elles et ils nous construisent « Un futur sans avenir ». Disséminations de molécules, 20 millions de produits chimiques commercialisés et la chime à l’échelle nano…

Les nanoparticules qui franchissent toutes les barrières à l’intérieur des corps, le futur comme un fantasmatique mécano, la chimie verte comme bonne conscience et mensonge éhonté, des nouveaux marchés, des nouveaux accaparements, une « bio-économie ». Non décidément, « La vie n’est pas un jeu ».

Bienvenue dans le monde des chimistes, des entreprises et des organismes internationaux. Ils nous promettent un monde de progrès… Ils sèment le dérèglement, la mort… Notre avenir n’est pas technico-scientifique mais relève bien de la politique et de nos choix démocratiques. Les sciences sont des objets sociaux trop sérieux pour être laissés à la libre association des « scientifiques », des profits industriels et des bureaucraties institutionnelles.

Fabrice Nicolino : Un empoisonnement universel

Comment les produits chimiques ont envahi la planète

LLL Les liens qui libèrent 2014, 448 pages, 23 euros

Didier Epsztajn

Entre les lignes, entre les mots

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