La Libye dans l’impasse intégrale
8 novembre 2014
La Cour suprême juge le parlement illégal
La Libye dans l’impasse intégrale
le 08.11.14 |
La décision de la Cour suprême libyenne d’annuler purement et simplement pourrait compliquer davantage la crise interne. Chaque clan y met du sien. Mais où va donc la Libye ?
Plus de quatre mois après la tenue des élections, la Libye s’est retrouvée, jeudi, sans Parlement légal, le tout étant annulé par la Cour. Cette décision pourrait ouvrir la voie au retour «légal» du Congrès national général (CGN) et placerait le pays, de fait, sous une double autorité sans qu’il n’y ait d’arbitrage légal possible.
Cette situation complique, bien évidemment, davantage la mission notamment de bons offices de l’ONU conduite par Bernardino Leone.
Celui-ci avait déjà du mal à tenir le second round des pourparlers de Ghadamès réunissant les représentants des députés de Tobrouk et ceux qui boycottent les travaux du nouveau Parlement libyen.
Alors qu’en sera-t-il maintenant ? La décision de la Cour suprême libyenne n’a pas, apparemment, plu à une partie de la communauté internationale, qui «n’a pas la tradition du retrait de confiance aux corps élus, notamment dans les pays où il y a des troubles», affirme-t-on dans plusieurs capitales. La Grande-Bretagne et l’Italie ont déjà exprimé leur attachement à la légitimité du Parlement élu.
«La décision de la justice n’est pas encourageante», a même déclaré une source du ministère italien des Affaires étrangères au site libyen Portail du centre. Pour sa part, comme à son habitude, l’Union européenne s’est réservée d’exprimer une position hâtive. Sa porte-parole, Catherine Ray, s’est ainsi limitée à appeler les partenaires libyens au dialogue. Au sud de la Méditerranée, l’Egypte a annoncé que les pays voisins de la Libye allaient se concerter pour arrêter une position commune.
Réactions internes contradictoires
A l’intérieur de la Libye, comme il fallait s’y attendre, chaque camp prend une position conforme avec ses intérêts politiques. Ainsi, le leader du Parti de la justice et de la construction (PJC), bras politique des Frères musulmans, Mohamed Sawan, a déclaré : «C’est une victoire pour la patrie.» Des manifestations de joie ont éclaté à Misrata, fief de ce parti. Pour sa part, Abdelhakim Belhaj, l’homme du Qatar en Libye et président du parti El Watan, a exprimé sa satisfaction suite à cette décision de la justice. M. Belhaj est déjà opposé au Parlement de Tobrouk et soutient le gouvernement Hassi, désigné depuis septembre dernier par le Congrès national général dissout.
Par contre, cette décision a été contestée par la Chambre des députés qui siège à Tobrouk. Dans un communiqué publié avant-hier, le Parlement élu le 25 juin dernier affirme que «la Cour suprême n’est pas habilitée à statuer sur les articles de la Constitution», considérant que «l’amendement constitutionnel, adopté par le Conseil national de transition, fait foi de Constitution provisoire». La Chambre des députés se considère toujours l’unique autorité légale en Libye, selon le communiqué.
Pour sa part, Mahmoud Jibril, président de l’Alliance des forces nationales (AFN), principal parti politique opposé aux islamistes, a appelé à la retenue dans l’évaluation de l’arrêté de la Cour suprême, afin qu’il ne soit pas utilisé contre l’intérêt de la nation. M. Jibril a demandé à attendre les précisions avancées par le préambule du verdict, avant de se prononcer. Le président de l’AFN a suspecté une décision prise sous la contrainte, comme l’atteste, selon lui, l’absence de quelques juges lors de la proclamation du verdict controversé.
Imbroglio politico-juridique
Du côté des juristes et en réaction à la décision de la Cour suprême, la constitutionnaliste, membre de l’ancien Conseil national de transition, le docteur Saloua Dghili, a publié sur sa page facebook un commentaire considérant que «d’une part, les attributions de la Cour, telles que précisées par les articles de la loi 23 et 24, ne l’autorisent pas à abroger un texte de la Constitution. D’autre part, et en l’absence d’un texte clair sur ce contentieux dans le droit libyen, le droit comparé fixe des délais aux recours. Sinon, les décisions deviennent caduques en raison du droit acquis car elles risquent de perturber l’ordre établi».
Avocate à Benghazi, Amel Bouguiguis, est allée dans le même sens, en considérant que «la Cour suprême n’est pas habilitée à annuler des textes de la Constitution provisoire». La militante de la société civile a affirmé que «le rôle de la Cour se limite à vérifier la concordance entre les lois adoptées et les textes de la Constitution, voire son esprit».
Pour sa part, le membre du Parlement, boycottant les travaux de Tobrouk, Naïm Ghariani, a affirmé «sa surprise de voir le jugement s’étendre à l’amendement concernant les élections et ne pas se limiter à l’abrogation des décisions du Parlement de Tobrouk car l’amendement des élections fait déjà partie de la Constitution provisoire».
Ghariani a considéré «trop tardive» la décision de la Cour, surtout que «ce n’est pas l’unique texte qui mérite d’être abrogé». Il n’empêche, a-t-il ajouté, que «c’est une opportunité qui s’offre à tous les belligérants pour qu’ils siègent ensemble afin de sauver le pays et ses institutions». Le Dialogue national, sans exclusion, reste encore l’unique voie de salut pour la Libye.