Revue de presse : L’Orient-Le Jour (20/11/14)*
Il est Libanais, chiite, originaire de la banlieue-sud de Beyrouth. Sa famille est très proche du Hezbollah et il a grandi avec Imad Moghniyé, principal commandant militaire du mouvement assassiné en 2008 à Damas. Il a aussi été l’un des agents les plus importants du Mossad israélien. Le site web israélien Ynetnews a recueilli le témoignage exclusif d’Amin al-Hajj qui dévoile comment le service de renseignement israélien l’a recruté et l’a utilisé avant de le laisser tomber.
Né en 1955 dans la banlieue-sud, Amin al-Hajj, dont le nom de code d’espion sera Rummenigge, est issu de l’une des familles les plus riches de la communauté chiite, affirme le site israélien. Il a été élevé dans un foyer très croyant et nationaliste. Son père apparait dans plusieurs clichés aux côtés d’anciens présidents et dirigeants libanais, notamment le président Camille Chamoun, chef du Parti national libéral (PNL), qui jouera un rôle crucial dans le parcours d’Amine al-Hajj. Tout jeune, Amin al-Hajj croise Imad Moghniyé qu’il qualifie de « sale gamin », mais affirme avoir joué à cache-cache avec lui dans le quartier.
Collaborateur de Chamoun
1978 est un tournant pour Amin al-Hajj. Cette année-là, dans un Liban en guerre civile, le jeune Libanais se retrouve pris dans un combat de rue avec des miliciens palestiniens. Il en tue plusieurs. Sa haine des Palestiniens date de cet événement. Alors que sa tête est mise à prix par les Palestiniens, le président Chamoun l’exfiltre vers les régions chrétiennes, puis en fait un proche collaborateur. C’est en raison des liens du leader chrétien avec Israël que Amin al-Hajj /Rummenigge se rapproche des Israéliens. Pour les Israéliens, l’homme est intéressant en raison de sa proximité avec Chamoun et de sa haine des Palestiniens. « Nous avons vu cela comme une excellente opportunité de se rapprocher de cet homme exubérant », indique une source israélienne ayant servi dans l’unité 504 des renseignements militaires qui a employé le Libanais. Amin al-Hajj est recruté.
Quand vient le moment de prendre un nom de code, le Libanais demande une faveur, le choisir lui-même, contre les usages. La faveur lui est accordée. Il opte pour « Rummenigge », du nom de l’icône internationale allemande de football Karl-Heinz Rummenigge, qu’il vénère. A ses employeurs, il lance : « J’espère que l’agent Rummenigge sera à la hauteur de Rummenigge le footballeur ».
Dans un premier temps, il se contente de rapporter des rumeurs. Rapidement, il monte son propre réseau d’informateurs, avec des antennes au sein même du Fateh palestinien de Yasser Arafat.
Lors d’une mission à Chypre dans le cadre de laquelle il doit soutirer des informations aux Palestiniens de l’OLP sur place, Rummenigge trouve la solution : les prostituées. Sous l’effet de l’alcool et de la présence féminine, les membres de l’OLP livrent de précieuses informations, recueillies par la suite par Amin al-Hajj. Rummenigge a à son actif plusieurs opérations de haut niveau, la plupart restées secrètes en raison de leur caractère sensible.
Un énorme atout pour Israël
C’est grâce à lui que « des centaines de terroristes ont été capturés, des tonnes d’armes saisies, le tout en mettant sa vie en jeu à plusieurs reprises », note le journaliste de Ynetnews.
Qualifié par certains responsables du renseignement d’indiscipliné et d’extravagant « Rummenigge était un énorme atout pour Israël, et ses actions ont sauvé de nombreuses vies israéliennes, tout en contribuant à la sécurité du pays », note Ynetnews citant des responsables des renseignements israéliens.
Ses services ont notamment contribué à l’élimination, en juillet 1979, de Zouhair Mohsen, chef de la Saïka, faction pro-syrienne de l’OLP.
L’homme, qui devient « une légende dans le milieu en raison notamment de sa moustache spectaculaire », selon Ynetnews, a eu de multiples couvertures. Lors de l’invasion israélienne du Liban en 1982, Rummenigge est maraicher à Achrafieh, quartier chrétien de Beyrouth. Avec le retrait des Israéliens de la capitale, Rummenigge doit ajuster sa stratégie. Il se fait homme d’affaires à la tête d’une compagnie de ferry puis à la tête d’une entreprise de transport maritime et terrestre de marchandises dans la région.
L’agent libanais affirme avoir toujours refusé d’être payé pour ses services. Il assure avoir dit à ses employeurs qu’il était « un vrai patriote libanais » et qu’il coopérait avec les Israéliens afin de se débarrasser des Palestiniens. Quoi qu’il en soit, Rummenigge est riche, et il le montre.
« Livré aux chiens »
A la fin des années 80, la chance commence à tourner. Alors que sa famille l’a délaissé, que ses voisins de la banlieue-sud ont juré sa mort et que les Palestiniens tentent à plusieurs reprises de l’assassiner, ses employeurs israéliens prennent leurs distances.
La chute commence par un différend financier l’opposant au Mossad. Puis une affaire de trafic de haschisch qui vient compliquer son dossier. Détenu par la suite en Égypte puis menacé d’extradition vers le Liban, Amin al-Hajj supplie ses contacts au sein du Parlement israélien de le laisser rentrer au pays.
In extremis, il obtient un feu vert israélien. Mais finis les traitements de faveur et les années à vivre en total impunité grâce à ses contacts hauts placés.
Un retour au Liban est impossible. Sa famille a fait les frais de ses relations avec Israël. L’un de ses frères est mort lors d’un interrogatoire par les services de renseignement syriens au Liban. Un autre a été défenestré d’un hôtel au Caire. Pourtant, plusieurs membres de sa famille occupent toujours des postes-clé au sein du Hezbollah, notamment au département juridique du parti et dans d’autres branches opérationnelles. L’un d’eux a officiellement annoncé son « excommunication de la famille », lui signifiant clairement qu’il ne peut rentrer au Liban.
Aujourd’hui, Rummenigge affirme vivre en Israël « avec des papiers périmés, sans couverture médicale, de rares bons amis » venant à son secours de temps en temps. Celui qui prétend avoir été marié avec 22 femmes dont il a eu huit enfants, se dit un homme seul. Et amer. « Ils (les services israéliens, ndlr) ont profité de moi, ont soutiré tout ce qu’ils pouvaient de moi, lâche-t-il. L’appareil sécuritaire israélien m’a livré aux chiens », lance encore Amin al-Hajj.
Photo : L’Orient-Le Jour