Beaucoup de gens ont peur. Peur d’aller en voyage scolaire à Bruxelles, peur de prendre le métro, peur de la violence, de plus en plus en plus proche. Cette peur n’est pas différente de celle d’une famille de Kaboul face à ces étranges avions sans pilote, appelés drones, qui peuvent lâcher leurs bombes à dix mille kilomètres de distance. Peur de ne pas connaître le lendemain.

Une société démocratique signifie que l’être humain a le droit de vivre librement, de vivre sans la peur d’attentats ou de bombardements. Il est temps de condamner tout assassinat, il est temps de condamner tout terrorisme.

Nous devons nous poser la question : quelle politique combat le terrorisme de ceux qu’on appelle des « djihadistes salafistes », et quelle politique en augmente le danger ? Si nous voulons vraiment faire quelque chose, nous devons oser poser cette question.

Pour le pétrole, tous les principes tombent

Entre 1950 et 1980, le terrorisme salafiste a presque été rayé de la carte. Il n’existait presque plus, et le courant dominant était le nationalisme panarabe. Malgré tous les problèmes et défauts se développait lentement un courant progressiste qui se libérait de l’héritage colonial, qui faisait reculer les courants réactionnaires et dans lequel les femmes pouvaient s’émanciper. Il y avait toutefois une exception : l’Arabie saoudite. L’Arabie saoudite a continué à soutenir, à payer, à propager les prêcheurs de haine les plus extrémistes. Qu’y a-t-on fait ? Et qu’y fait-on aujourd’hui ? Rien. Les Etats-Unis et presque tous les gouvernements européens ont continué à soutenir l’Arabie saoudite envers et contre tout. Le pétrole, vous savez bien… Pour le pétrole, tous les principes tombent.

Ces mêmes mouvances extrémistes ont ensuite été entraînées et armées, en Afghanistan. Cela a commencé en 1979 avec le recrutement, l’armement et l’entraînement des moudjahidines. Là réside une partie de l’origine de l’actuel mouvement de haine religieuse fondamentaliste, avec des masses d’armes et de camps d’entraînement professionnels où ont été formés des extrémistes du monde entier. Personne n’a oublié que ces groupes de moudjahidines ont plus tard donné naissance à Al-Qaeda et Oussama Ben Laden. Dans les années 1990, Washington a trouvé un nouveau partenaire en Afghanistan : les talibans, encore plus violents – si du moins c’est possible.

Un courant radical d’extrême droite : le djihadisme salafiste

Il y a des monstres qui échappent à leurs maîtres. Le 11 septembre 2001 a débouché sur la guerre contre l’Afghanistan, suivie de la guerre contre l’Irak. Les cartes du Moyen-Orient ont ainsi été entièrement rebattues. Le fragile équilibre entre les différentes forces a volé en éclats, et le panarabisme a disparu de l’horizon. Durant l’occupation de l’Irak, la division religieuse du pays a été volontairement encouragée. Diviser pour régner : telle a été la stratégie, afin de tuer dans l’oeuf toute tentative d’aboutir à un nouvel Irak nationaliste. Il fallait empêcher qu’un Irak indépendant puisse disposer de ses puits de pétrole. A Washington, certains cercles se sont employés à élaborer des plans pour diviser l’Irak en trois parties sur une base religieuse et ethnique ; ils ont ainsi créé un terrain mûr pour les courants religieux les plus extrémistes. Et puis a une fois encore resurgi l’Arabie saoudite qui, avec le Qatar, a volontiers offert ses services – contribuer à miner la Syrie voisine n’étant pas la moindre raison.

Au sein du salafisme conservateur, un courant radical d’extrême droite a été financé et encouragé. Il s’agit du courant appelé « djihadisme salafiste », qui instrumentalise le mécontentement social par des cadres de pensée religieuse extrême. L’occupation de l’Irak a entraîné une vague de violence sectaire sans précédent. C’est ce terreau fertile qui a engendré le groupe terroriste Etat islamique (EI). N’oublions pas que les premières victimes du « djihadisme salafiste » de l’Etat islamique ont été les Irakiens eux-mêmes. Des musulmans, des yézidis et des Kurdes ont été les premiers à être massacrés par l’EI. Il est grotesque de mettre toute la communauté musulmane sur le même pied que les djihadistes salafistes, tout comme il aurait été grotesque, il y a un demi-siècle, de mettre tous les catholiques sur le même pied que quelqu’un comme le cardinal croate Alojzije Stepinac et l’église catholique de Croatie qui a défendu contre vents et marées le régime fasciste des Oustachis d’Ante Pavelic. Les djihadistes salafistes et les catholiques Oustachis se ressemblent beaucoup dans leur idéologie binaire du Bien et du Mal, et dans la guerre ultime qu’ils veulent mener. Ils sont tous deux des formes de fascisme religieux, qu’il est impossible de généraliser à toute la religion.

La boîte de Pandore : « l’ennemi de mon ennemi est mon ami »

Après l’Irak, les djihadistes salafistes d’extrême droite ont bénéficié d’un deuxième point de départ en Libye. Il y a quatre ans, en mars 2011, le PTB a été le seul parti belge à s’opposer à l’intervention en Libye, ce qui lui a valu des torrents de critiques. Pourtant, le PTB avait alors mis en garde : une guerre d’intervention profiterait inévitablement aux fanatiques religieux les plus extrémistes. Et c’est ce qui s’est effectivement passé, par exemple quand l’OTAN a collaboré avec le Libyan Islamic Fighting Group (LIFG), une organisation figurant sur la liste officielle des organisations terroristes. Le chef du LIFG, Abdelhakim Belhadj, a été entraîné par les unités spéciales américaines. Que Belhadj soit un ancien dirigeant d’Al Qaeda, et qu’il soit également mentionné comme étant impliqué dans les attentats à Madrid en 2004, voilà qui n’a guère gêné. La boîte de Pandore a à nouveau été ouverte, sous la devise « l’ennemi de mon ennemi est mon ami ». Au départ des djihadistes salafistes libyens, l’incendie terroriste s’est étendu au Nigéria, au Tchad, à la Syrie et au Mali. Avec les conséquences catastrophiques que nous voyons aujourd’hui, entre autres dans la barbarie de Boko Haram.

A chaque fois, de nouvelles forces sont armées, qui nous reviennent dans la figure comme un boomerang

Et pourtant, on n’en a pas tiré de leçon. Car après la Libye, cela a été au tour de la Syrie. Aujourd’hui, personne ne peut nier que la guerre en Syrie est devenue un camp d’entraînement pour terroristes. Le soutien de nos gouvernements à la résistance syrienne, en grande partie contrôlée par les djihadistes salafistes, a précisément donné davantage de vigueur à ces forces d’extrême droite. Et le gouvernement turc permet à ces jeunes à qui on a lavé le cerveau de rejoindre sans problème les rangs de l’Etat islamique et d’Al-Nusra en Syrie, parce que, également pour des raisons géostratégiques, Ankara veut voir disparaître le régime d’Assad.

Quel est donc le bilan des quatre guerres d’intervention ? Tant en Afghanistan qu’en Irak, en Libye et en Syrie, de nouvelles forces ont à chaque fois été armées et soutenues, forces qui sont ensuite revenues comme un boomerang au visage de l’Europe. Définir une politique antiterroriste sans prendre en compte la politique étrangère est irréfléchi et absurde…

C’est aussi ce que le Dr Montasser AlDe’emeh expliquait vendredi dans De Morgen : « Le gouvernement ferait beaucoup mieux de réfléchir à sa politique étrangère. Pourquoi nous embarquons-nous sans aucune stratégie ou vision dans une intervention en Libye et en Irak ? Pourquoi livrons-nous des armes aux rebelles syriens ? Pourquoi approuvons-nous tacitement que des dictateurs restent au pouvoir pendant des années dans la région ? Pourquoi ne faisons-nous rien contre le blocus de Gaza ? Les gens pensent que ce qui se passe au Moyen-Orient n’aura pas de conséquence pour nous. Cela n’a aucun sens. Il faut d’urgence mettre en oeuvre une politique correcte et adaptée. »

A chaque fois, c’est l’Arabie saoudite que l’on retrouve comme financier et organisateur

En 2012, Raif Badaoui, 31 ans, a été condamné par le régime saoudien à 1.000 (!) coups de fouet, 10 ans de prison et une amende d’1 million de riyals, soit environ 250.000 euros. Son crime ? Avoir créé un blog sur lequel il dénonçait l’emprisonnement pour raisons politiques et la police politique et religieuse de son pays. Son avocat, Walid Abou al-Khair, a également été condamné à 15 ans de prison parce qu’il avait osé évoquer les grossières violations des droits de l’homme en Arabie saoudite. Tout cela n’a aucunement empêché Mohammed ben Ismail Al Al-Sheikh, l’ambassadeur saoudien en France, d’aller parader tout à l’avant de la grande marche pour la liberté d’expression à Paris – et il n’était d’ailleurs pas le seul. L’hypocrisie ne connaît pas de frontière.

Mais ce n’est pas tout. L’Arabie saoudite est bien plus qu’une dictature intérieure. Le richissime Etat pétrolier est depuis des années un centre névralgique de l’extrémisme religieux. Des moudjahidines de l’Afghanistan des années 1980 aux talibans de l’Afghanistan des années 1990, des milices les plus extrémistes en Bosnie et au Kosovo dans les années 1990 au Front islamique en Syrie aujourd’hui : à chaque fois, c’est l’Arabie saoudite que l’on retrouve comme financier et comme fournisseur de soutien militaire. Et notre pays est l’un des plus importants fournisseurs de munitions et d’armes légères à l’Arabie saoudite.

Ne plus suivre aveuglément la politique aventuriste de Washington

Le mois prochain, entre le 22 et le 26 février 2015, neuf entreprises belges participeront à l’IDEX, à Abu Dhabi, capitale des Emirats arabes unis. L’IDEX, c’est le plus grand « salon de l’armement » du Moyen-Orient et un des plus grands au monde. La « Belgian Security & Defence Industry » y montera un véritable « pavillon belge ». Une partie des armes belges iront de nouveau à l’Arabie saoudite. Durant la période 1998-2012, la seule Belgique a vendu à l’Arabie saoudite pour plus de 2 milliards d’euros d’armes, selon une synthèse des licences d’exportation européennes. L’Arabie saoudite achète un sixième de tout l’armement belge et est donc, après les Etats-Unis, le plus gros client de la Belgique. C’est donc une double morale qui est en vigueur. A Bruxelles et à Anvers, le gouvernement belge fait patrouiller l’armée pour protéger des cibles stratégiques contre le terrorisme, mais à Abu Dhabi et à Riyad, nous vendons des armes à l’un des plus importants financiers de ce terrorisme. Que faisons-nous au juste ?

« Si nous prenons la lutte contre le terrorisme vraiment au sérieux, cela signifie que, par la force des choses, il faudra couper les liens militaires avec l’Arabie saoudite », écrivait samedi dernier Ludo De Brabander de l’ASBL Vrede sur Knack.be. Il a plus que raison. Il n’existe malheureusement pas de « solutions faciles » dans la lutte contre le terrorisme, et celui qui prétend cela jette de la poudre aux yeux des gens. Il va donc falloir travailler à plusieurs niveaux, mais il est clair que la politique étrangère devra aussi faire partie de la stratégie antiterrorisme. Il est temps que la politique étrangère de notre pays devienne indépendante des intérêts américains, car le moins que l’on puisse dire, c’est que l’approche de George W. Bush depuis 2001 n’a fait qu’aggraver le problème. Notre pays doit cesser de suivre aveuglément la politique aventuriste de Washington et de l’OTAN. Cela signifie aussi qu’il faut mettre la pression sur la Turquie pour qu’elle ferme sa frontière avec la Syrie. Il faut que notre pays mette fin à cette politique de deux poids deux mesures, coupe les liens militaires avec l’Arabie saoudite et exige un contrôle strict des flux d’argent en provenance de cet Etat pétrolier.