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29 mars 2024

Une France qui ne paraît plus avoir d’autre recours que la guerre…


Michel J. Cuny – Site général
36 5eme Salon du Livre a Migennes 90 Di 9 Oct 2005 Archives MJC FP Copie

Pour une présentation d’ensemble de la trajectoire d’écriture

de Michel J. Cuny et de Françoise Petitdemange,

on peut se reporter à :

www.cunypetitdemange.sitew.com  

Contact :

michelj.cuny@orange.fr

1. Une France qui ne paraît plus avoir d’autre recours que la guerre…

     La France bourgeoise de ce début de XXIème siècle est manifestement résolue à entrer dans un cycle de guerres dont nul ne sait encore jusqu’à quelle catastrophe il pourra mener le peuple dont cette  même bourgeoisie assure la direction économique, politique et intellectuelle depuis les lendemains immédiats de 1789…

     Le peuple de France, lui, se contente de courber la tête, sans du tout comprendre ce qui lui arrive, et ce qu’on lui brise sous le nez, en criant « Au dictateur ! », si ce n’est « Au loup ! », ou même « Au loup-garou ! »… Situation fort pitoyable qu’est venue révéler l’invraisemblable tragédie libyenne de 2011.

     Le vrai héros – pitoyable, et dont aujourd’hui il est encore à redouter qu’il ne revienne un jour à proximité des systèmes de contrôle du feu nucléaire – de cette affaire rondement menée aura été ce Sarkozy dont il paraît que l’ignominie serait si peu apparente qu’il trouverait encore quelques suffrages à se porter sur lui.

     Or, désormais, même les plus bouché(e)s d’entre nos concitoyennes et concitoyens savent qu’en matière d’ignominie, il en va de même pour son Hollande de successeur qui déjà se voyait pilonnant la Syrie.

     Et pourtant, ce sont là les deux derniers souverains dont nous nous sommes doté(e)s. C’est à pleurer. Mais la Constitution de 1958 est vraiment bien faite… Voilà un peuple qui s’agenouille toujours aussi irrésistiblement devant ses divers seigneurs et maîtres, sans jamais paraître y entraver que couic…

2. Tout ceci est-il vraiment raisonnable ?

     Ces guerres qui se cherchent – ou plutôt que la France bourgeoise s’efforce de dénicher pour les Françaises et les Français qui commencent à rudement trépigner en présence d’un chômage dont il est maintenant clair qu’il est devant une grande partie d’entre elles et eux pour jusqu’à leur fin de vie si ce n’est celle de leurs enfants et petits-enfants (ô douce France !) -, s’inscrivent-elles dans une logique de fond ?…

     Certainement, et c’est ce que nous allons essayer de vérifier ici, non sans avoir aussitôt affirmé qu’en fait de « logique », mieux vaudrait écrire tout de suite qu’il n’y aura, pour ce faire, aucun outil mieux adapté que les matérialismes frères dont l’un se dit dialectique quand l’autre s’affirme historique, et dont il est connu qu’ils ne se révèlent, à eux-mêmes et à qui veut bien les observer attentivement, que dans l’acte même de penser.

     Pour qui voudra faire une application immédiate de ce que cette expérimentation peut être, il n’est que de se tourner vers deux des autres pages de ce site :

« Travail et capital« 

« Economistes d’aujourd’hui »

3. Une histoire parlementaire qui mérite un petit détour

     Rétrospectivement, il apparaît que l’affaire libyenne se trouve encadrée par deux dates très significatives de l’histoire parlementaire française… qui vont nous permettre d’entamer notre quête des raisons qui ont abouti à détruire un pays dont Françoise Petitdemange montre si bien, dans son ouvrage La Libye révolutionnaire dans le monde (1969-2011), les trésors d’intelligence et de courage dont il a été le résultat, et les dangers dont il était porteur pour la domination capitaliste, colonialiste et impérialiste des Occidentaux sur l’Afrique du Nord, mais aussi sur l’ensemble de l’Afrique.

     A ce propos, on ne saurait manquer de consulter :

www.francoisepetitdemange.sitew.fr

     Si l’attaque aéronavale, sur la Libye, d’une France, qui se plaçait délibérément en dehors de l’ONU, mais surtout du droit international lui-même, est intervenue le 19 mars 2011, neuf jours plus tôt, le 10 mars,

la Présidence du Sénat enregistrait le Rapport d’information déposé

 

 au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées

sur la sécurité des approvisionnements stratégiques de la France, par M. Jacques Blanc, sénateur.

 

     Sans doute l’Assemblée nationale ne pouvait-elle pas faire moins bien, puisque le 19 octobre 2011, veille de la mort, en martyr de la cause arabe et africaine, de Muammar Gaddhafi,

sa présidence enregistrait le Rapport d’information sur le prix des matières premières,

établi sous la responsabilité de la Commission des affaires économiques,

et présenté par madame Catherine Vautrin et monsieur François Loos
en conclusion des travaux d’une mission d’information présidée par madame Pascale Got.

4. Une guerre pour renforcer la sécurité des approvisionnements stratégiques de la France ?

     Laissons le Sénat nous en dire plus dès le début du Rapport sur la sécurité des approvisionnements stratégiques de la France que nous devons à sa Commission des affaires économiques :

     « Le livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, publié au mois de juin 2008, évoque : « La croissance économique des nouvelles puissances[qui] va de pair avec celle de la consommation d’énergie, ainsi qu’un besoin accru en ressources naturelles et en matières premières stratégiques » et mentionne les deux types de désordre qui en découlent : « les atteintes à la biosphère, dont le réchauffement climatique » et « la tension accrue sur les approvisionnements stratégiques, dont l’énergie ». Il constate que : « La surexploitation des ressources naturelles est susceptible de relancer à l’échelle mondiale des tensions, inconnues jusqu’à présent à ce degré, pour satisfaire les besoins en énergie, en eau, en nourriture et en matières premières ». » (page 5)

     La bonne piste est effectivement celle qui nous renvoie vers le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de juin 2008. Nous n’allons pas tarder à y venir. Prenons juste le temps de considérer de plus près les quelques mots que je fais figurer ici en rouge. Il y a tout d’abord la concurrence de nouvelles puissances… Lesquelles ?…

     Une remarque ultérieure du Rapport du Sénat nous permet de faire un petit pas en avant :

     « Parmi les avantages comparatifs dont bénéficie la France figure la disponibilité, en quantité comme en qualité, des ressources en eau et des approvisionnements alimentaires nécessaires à sa population. » (page 6)

     Rien que pour nous rendre sensibles à certaines choses, ouvrons La Libye révolutionnaire dans le monde (1969-2011) de Françoise Petitdemange à la page 250 qui traite, en particulier, de la Grande Rivière artificielle, ouvrage majeur de la Grande Jamahiriya Arabe Libyenne Populaire Socialiste :

     « En attendant la fin de la construction du premier tronçon de la GRA (Grande Rivière Artificielle) qui doit irriguer les terres agricoles et apporter l’eau indispensable à tout élevage, la Libye, dont le désert couvre 90 % de sa superficie, et dont les terres, à proximité des côtes méditerranéennes, perdent de leur fertilité du fait de la salinité de l’eau de mer qui pénètre dans le sous-sol, effectue des efforts considérables pour diminuer les importations alimentaires et sortir de la mono-industrie. »

    Que c’est donc vilain ! Rien que pour cela, n’y avait-il pas d’excellentes raisons de briser ce régime, quand, en France, on ne redoute rien sur le terrain de l’eau et des approvisionnements alimentaires, et qu’à l’inverse, on redoute ce que la Libye ne saurait redouter… et que nos sénatrices et sénateurs s’empressent de nous signaler dans leur Rapport :

     « En revanche, notre pays est dépendant de pays étrangers non européens dans deux grands secteurs : lénergie et les minerais, flux composés d’éléments majoritairement non renouvelables, ce qui accroît les tensionspour leur obtention. » (page 6)

5. Un Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale qui sent la poudre

     Que le Sénat et l’Assemblée Nationale ne s’inquiètent pas outre mesure : nous reviendrons vers leurs deux Rapports dès que possible. Et c’est bien parce que nous nous y sentons autorisé(e)s par eux que nous leur faisons momentanément faux bond en nous saisissant du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale de juin 2008… qui nous saute aussitôt au visage tant son contenu et les circonstances de son élaboration apparaissent comme très inquiétants.

     Il est dû au travail d’une Commission désignée par le décret n° 2007-1144 du 30 juillet 2007 pris sous la signature du président de la république en fonction, Nicolas Sarkozy, et contresigné par son premier ministre, François Fillon.

     Le tout début de ce décret nous apprend que cette Commission est constituée de deux catégories de personnes : celles qui sont présentes sur titre (18) et celles qui le sont pour leur compétence personnelle (18).

     Sur ce total de trente-six membres, il y a quatre parlementaires (Assemblée nationale : 2 ; Sénat : 2), c’est-à-dire quatre personnes issues du suffrage universel, qui ne vaut donc que pour un peu plus de 10 %, dans une affaire – la guerre – qui n’est tout de même pas peu de chose…

     Mais c’est encore trop sans doute.

     En effet, le 7 avril 2008 madame Patricia Adam, députée socialiste, et monsieur Didier Boulaud, sénateur socialiste se fâchent tout rouge et donnent leur démission au motif que : « En sept mois de travaux, nous avons constaté que cette commission ne servait que de chambre d’enregistrement des décisions du président de la République.« 

     Comment pourrait-il en être autrement, puisque, hormis nos quatre parlementaires, si les personnalités choisies pour leur compétence le sont du seul avis du président de la république, celles qui le sont pour leur titre se trouvent être des hauts fonctionnaires civils ou militaires qui, pour leur quasi-totalité, doivent justement ce titre à une nomination décidée par ce même président de la république (conseiller d’Etat, secrétaire général de la défense nationale, directeur général de la police nationale, directeur général de la gendarmerie nationale, directeur général des affaires politiques et de sécurité, directeur général du trésor et de la politique économique, directeur de la stratégie à la direction générale de la recherche et de l’innovation, chef d’état-major des armées, délégué général pour l’armement, secrétaire général pour l’administration, directeur général de la sécurité extérieure, directeur chargé des affaires stratégiques, etc.).

     Nous voici donc sous l’Empire… Qui pourrait croire que cela ait changé depuis deux siècles ?…

6. Ce que sont les charges de l’empire

     Prenant les questions internationales sous l’angle de ce que médite de devenir la France impériale conduite par un Sarkozy, le Livre blanc rédigé en 2008 par la Commission désignée par celui-ci à cet effet se heurte immédiatement à un phénomène redoutable :

     « La mondialisation transforme en profondeur les fondements mêmes du système international. La distribution de la puissance mondiale se modifie au bénéfice de l’Asie. » (page 13)

     Avant de s’engager plus loin sur la question de l’Asie, le Livre blanc marque un temps d’arrêt pour bien signifier que tout n’est cependant pas perdu, puisque :

     « Dans le même temps, des Etats importants, comme ceux qui sont issus de l’éclatement de l’Union soviétique, l’Afrique du Sud ou laLibye ont renoncé, selon les cas, à leur statut, à leurs armes et à leurs ambitions. » (page 21)

     En est-on si sûr, en 2008 ?… tout au moins en ce qui concerne la Russie de Vladimir Poutine et la Libye de Muammar Gaddhafi ?… C’est ce qu’il reste à voir.

     Troisième catégorie définie par le Livre blanc, les perdants…

     « La mondialisation nourrit aussi des inégalités économiques et sociales flagrantes. Des régions entières demeurent à l’écart des bénéfices de la croissance mondiale et, au lieu de diminuer, les écarts se sont creusés entre les plus riches et les plus pauvres. Une telle situation, au moment où la diffusion de l’information rend ces inégalités plus visibles, est lourde de menaces pour la stabilité internationale. Elle peut engendrer révoltes et extrémismes. Une grande partie du continent africain, de l’Asie et même de l’Amérique latine est restée en marge des effets positifs de la mondialisation. »

     Et ces gens-là sont potentiellement très dangereux, sauf à être dûment canalisés.

     Exercer l’empire, c’est donc se mêler de toutes ces choses à coups de fusil, si nécessaire…

7. Hiérarchiser les dangers courus par le camp occidental

     En gros, voici comment, selon le Livre blanc de 2008, tout cela se tient :

     « La croissance économique des nouvelles puissances va de pair avec celle de la consommation d’énergie, ainsi qu’un besoin accru en ressources naturelles et en matières premières stratégiques, ce qui contribue à deux types de désordres.

 

     Le premier concerne les atteintes à la biosphère, dont le réchauffement climatique, qui exercera d’ici 2025 des effets encore difficiles à mesurer sur l’équilibre des zones polaires, le niveau des océans, la géographie des migrations humaines, la sécurité alimentaire, et l’extension des aires de répartition de certaines maladies […].

     Le second est la tension accrue sur les approvisionnements stratégiques. » (page 25)

    

     Et au beau milieu de cela, il y a donc deux monstres qui grandissent à vue d’oeil  à l’intérieur de cette Asie à la redoutable croissance elle-même  :

     « A l’horizon 2025, l’Asie sera devenue l’un des pôles majeurs de la vie internationale, avec l’Europe et l’Amérique. De nouvelles puissances auront émergé, la Chine et l’Inde se situant aux premiers rangs.

 

     Plus de la moitié de la population mondiale sera d’origine asiatique à cette date, soit environ 4,7 milliards d’habitants. La Chine devrait devenir le premier importateur et exportateur mondial. Sauf rupture majeure sur le plan interne ou international, le produit intérieur brut (PIB) de la Chine et celui de l’Inde pourraient être multipliés par trois d’ici deux décennies, et l’Asie devrait alors représenter la moitié de la consommation mondiale de pétrole. » (page 34)

     Comme on le constate avec une certaine surprise, il est fort bonhomme, cet empire, en ce qu’il considère que le péril ne tient qu’à la quête des ressources naturelles : même s’il évoque importations et exportations, la question de la concurrence strictement économique ne paraît pas pouvoir se ranger sous sa compétence. Sur ce terrain, sans doute pense-t-il que l’économie capitaliste occidentale n’a rien à redouter… Ce qui n’est évidemment pas sûr du tout. Mais ce n’est effectivement pas de la compétence de l’impérialisme : lui n’est que très indirectement impliqué dans l’extorsion de la plus-value. Son rôle est de tirer dans le tas des corps et des consciences. Pas d’organiser la production, une fois la soumission obtenue…

     Or, selon le Livre blanc, il semble que la faille se situe effectivement dans le champ d’action réservé à l’impérialisme guerrier.

     « L’essor de l’Asie n’est pas exempt de fragilités, comme en témoigne les risques de surchauffe économique, le sous-développement persistant de pans entiers de la population, l’exposition à des ris-ques naturels majeurs ou à des catastrophes écologiques. Il n’est pas non plus irréversible, si l’une des causes de conflits potentiels débouche sur une guerre qui, dans les conditions de la région, pourrait être dévastatrice. » (page 34)

     Dévastatrice… C’est pour cela qu’on l’aime tant, en Occident otanisé, la guerre qu’on fait un peu loin de la patrie, et dont on peut constater les jolis dégâts à la télévision quand vient le soir…

8. Mais là-bas, en Asie, il y a comme un os… et pas que là

     Certes, le jeu en vaudrait la chandelle, semble nous dire le Livre blanc :

     « L’Asie est d’ores et déjà la partie du monde la plus dynamique, où la croissance est la plus forte, la population la plus nombreuse, et les mutations les plus impressionnantes. » (page 35)

     Et le terrain paraît y être déjà un peu miné :

     « C’est aussi une région qui comprend de nombreux conflits non résolus (Cachemire, péninsule coréenne, question de Taiwan), des tensions interétatiques (IndePakistan, IndeChine, ChineJapon), et où trois des principaux pays du monde ont des intérêts stratégiques et une présence militaire (Russie, Chine, Etats-Unis). » (page 35)

      Mais ni l’Europe, ni la France, à moins que par solidarité otanisée avec les Etats-Unis et le Japon.

     Ainsi la Chine, c’est loin. Mais, surtout, c’est peut-être un peu cher pour le camp occidental :

     « Dans ce contexte, la forte augmentation de l’effort militaire, notamment en Chine (avec des taux annoncés pour le budget de 10 % par an en moyenne de 1989 à 2007, et de 17 % pour les deux années 2007 et 2008), est un élément de préoccupation d’autant plus sérieux que les données de cet effort manquent de transparence s’agissant de la Chine, que la région ne connaît aucun système de sécurité collective et que les mesures de confiance entre Etats y sont limitées. » (page 35)

     Par ailleurs, le Livre blanc ne peut pas perdre de vue que, à l’opposé de ce que certains ont osé affirmer au lendemain de la chute du mur de Berlin, la fin de l’Histoire est loin d’être atteinte :

     « Contrairement aux espoirs nés de la fin de la guerre froide, les logiques de puissance n’ont pas régressé. » (page 37)

     De quelle puissance, en particulier ? Eh bien oui, toujours la même :

     « Ainsi la Russie cherche-t-elle à conforter son retour sur la scène internationale et son statut de puissance majeure, avec un discours offensif à l’égard de certains pays européens, notamment dans son voisinage. Elle semble éprouver une certaine difficulté à prendre en compte les évolutions politiques intervenues depuis la fin du pacte de Varsovie et à assumer la plénitude du processus démocratique engagé dans les années 1990. Elle est tentée de tester les effets d’une pression, au moins économique, sur ses voisins. »

     Mais il y a plus grave, si possible, puisque les rétivités convergentes de ces deux puissances maléfiques – Chine et Russie – font tort au champion toutes catégories de l’Occident impérialiste. Le Livre blanc en convient à regret :

     « La volonté de la Russie de réaffirmer sa place et l’essor de la Chine dans tous les domaines pourraient conduire à relativiser la place de l’Amérique. Une des conséquences possibles de cette situation est une crise de confiance des alliés des Etats-Unis dans les deux régions les plus volatiles : le Moyen-Orient et l’ExtrêmeOrient. » (page 36)

     Le Livre blanc est tellement meurtri qu’il en vient à confondre l’Amérique et les Etats-Unis. Mais il est bien vrai que si le Moyen-Orient et l’Extrême-Orient se décidaient à faire un bras d’honneur à l’impérialisme américain, il ne faudrait donner très cher ni de la puissance de l’Europe ni de celle de la France aussi tigresse soit-elle quand elle croit chasser sous l’aile de l’OTAN.

9. Le phoenix russe

     Il faut donc s’inquiéter de la possible baisse de la domination mondiale exercée par les Etats-Unis. Et tout spécialement de ce que cela peut vouloir dire dans la sphère militaire… En la matière, le Livre blanc retient tout d’abord ce fait que :

      « Les dépenses militaires dans le monde, qui avaient nettement baissé dans les années 1990, se sont accrues depuis lors de façon continue. » (page 28) »

     Phénomène plus que rassurant, puisqu’il met en avant deux membres éminents de l’OTAN :

     « Cet accroissement résulte d’abord des dépenses de l’Amérique du Nord. Les Etats-Unis ont en effet vivement augmenté en 2002 un effort qui a connu, depuis, une croissance plus rapide que leur produit intérieur brut (PIB). Ils sont le principal déterminant de la tendance mondiale à la hausse. Leurs dépenses et, en Europe, celles du Royaume-Uni, ont aussi augmenté significativement en raison de l’effort de guerre en Afghanistan et en Irak. » (page 28)

     Comme quoi… la permanence des conflits, etc…

     Mais il n’y a pas lieu non plus de s’endormir, insiste le Livre blanc, puisque :

     « La Chine poursuit la modernisation de ses équipements, avec de nombreux achats à la Russie (avions de combat, sous-marins) et un accroissement de ses capacités nucléaires et balistiques. Les dépenses de l’Inde ont augmenté au rythme, élevé, de la croissance de son PIB. Il en résulte un développement important des moyens militaires des deux pays et surtout de la Chine. » (page 30)

     Dont on voit qu’elle n’est pas tout à fait seule. Et qu’il y a une co-responsable, la Russie, à sa montée sur la scène de la puissance militaire. Elle bénéficie, en quelque sorte, d’une revenante, qui paraît s’extraire quelque peu des contraintes que l’Occident s’était amusé à lui infliger depuis l’implosion de la si détestée URSS :

     « Un des changements les plus remarquables par rapport à 1994 est l’évolution des relations entre la Russie et le monde occidental, qu’il s’agisse des Etats-Unis ou de l’Europe.

 

     La politique de rapprochement engagée à la fin de la guerre froide a fait place à une série d’initiatives contraires à cet objectif : utilisation de l’arme énergétique dans les rapports interna-tionaux, tentatives de contrôle des régions ou des pays de « l’étranger proche », remise en cause du traité sur les forces conventionnelles en Europe. » (page 38)

     Ce qui n’est pas sans rappeler de très fâcheux souvenirs, même si les dimensions du rapport de force ne sont plus du tout les mêmes, loin s’en faut. Mais, malgré tout :

     « Forte de ses capacités économiques liées au prix de l’énergie, la Russie reprend une politique de puissance, qui bénéficie aussi d’un accroissement de ses dépenses militaires. Elle a augmenté l’ampleur de ses exercices militaires, qui se sont déroulés depuis 2007 en mer Baltique, dans l’Atlantique Nord, dans la Méditerranée, et dans l’océan Pacifique. La politique conduite à l’égard de voisins appartenant à l’Union européenne et à l’OTAN, ou qui y posent leur candidature, est plus préoccupante encore. » (page 38)

10. Remettre la Russie dans le droit chemin

     Le Livre blanc (2008) en est fermement convaincu, quelle que soit sa tentative de retour sur la scène militaire, la Russie est minée de l’intérieur : 

      « Les faiblesses auxquelles la Russie doit faire face, reconnues par les autorités russes elles-mêmes, ne sont pas moins évidentes : bas niveau d’investissements y compris dans le secteur éner-gétique, décroissance démographique, problèmes de santé publique, par exemple. » (page 38)

     Eléments dont on voit qu’ils sont à même de jouer un rôle central dans le long terme. Il suffirait d’aider à les bousculer, pour que la Russie se retrouve condamnée à un avenir sombre pour plus d’une génération…

     Il n’est donc ensuite plus nécessaire d’appuyer sur le trait… Il suffit d’utiliser un langage tout ce qu’il y a de plus délicat pour faire entendre le pire :

     « Une démarche commune des pays européens pour proposer à la Russie une coopération à la fois ambitieuse et équilibrée est nécessaire. Une telle démarche permettra également d’inciter la Russie à un exercice responsable de sa puissance retrouvée, élément indispensable d’un partenariat pour faire face efficacement aux défis internationaux. » (page 38)

     Va pour la démarche… Dans l’Ukraine de 2014, nous voyons effectivement une « communauté internationale » qui incite et propose

     Incite la Russie à quoi ? Et lui propose quoi ?

     C’est ce que nous allons considérer, tout juste pendant un très bref instant…

     D’où venait le contentement initial de cette même « communauté internationale » face à la Russie de Boris Eltsine ? C’est ce à quoi va nous aider à répondre l’ouvrage publié chez L’Harmattan en 2009 par Olga Garanina, citoyenne russe, à partir de sa thèse de doctorat. Nous y lisons ceci :

     « Dans le cas russe, les réformes semblent conforter les intérêts des élites (qui ont pu se recycler en occupant des postes d’importance ou bien en s’appropriant des richesses) et les intérêts des pays du G7, tant d’un point de vue politique (disparition de la menace soviétique) qu’économique (accès à ses marchés et à ses ressources). « (page 35)

      Ses marchés et ses ressources…, livrés à la liberté d’entreprise du capitalisme occidental. Moment d’intense jubilation ! Qui correspondait à une sortie, à vive allure, de l’économie administrée (ce qu’en Occident on appelle la « dictature »). Ainsi qu’Olga Garanina nous le rappelle :

     « Officiellement, la privatisation a commencé en 1992. Le programme de privatisation privilégiait une approche rapide des réformes, afin d’assurer l’irréversibilité de la transition vers le marché. La rapidité de la privatisation trouve son appui théorique dans le théorème de Coase selon lequel une fois que les droits de propriété deviennent privés, peu importe que l’allocation initiale ait été irrationnelle, ils seront échangés (vendus) jusqu’à ce qu’ils trouvent leur utilisation la plus pro-ductive. » (page 56)

     Processus que Vladimir Poutine est venu freiner, autant que faire se peut, dans la situation de ce qu’est désormais devenue l’économie russe, et ceci pour protéger l’ancienne population soviétique des exactions les plus rudes de l’exploitation de l’être humain par l’être humain que les Occidentaux savent si bien déployer partout où les peuples ne sont pas en situation de se défendre avec suffisamment d’opiniâtreté.

11. Une mise à genoux dûment programmée

      Comme nous l’avons constaté, le Livre blanc de 2008 n’est pas content de l’évolution récente de la Russie. Mais il déclare bien connaître les faiblesses internes de celle-ci.

     Quant à l’extérieur proche, qu’y aurait-il à dire, par exemple, de l’importance pour la Russie de ses liens avec l’Ukraine ? 

     C’est ce que nous allons pouvoir mieux comprendre en lisant Olga Garanina. Tout d’abord, il faut rappeler qu’après l’implosion de l’URSS, les républiques qui la constituaient ont suivi, pour la plupart d’entre elles, des voies parallèles. A l’exclusion des Etats baltes, et à une exception près (la Géorgie qui s’y rallie en 1993), elles ont toutes formé en 1991 la Communauté des Etats indépendants (CEI). On y retrouve l’Arménie, l’Azerbaïdjan, la Biélorussie, le Kazakhstan, le Kirghizstan, la Moldavie, l’Ouzbékistan, la Russie, le Tadjikistan, le Turkménistan, l’Ukraine.

     Olga Garanina divise les relations commerciales de la Russie selon trois catégories de pays : la CEI (Communauté des Etats indépendants), l’UE (Union européenne) et la Chine. Voici à quoi elle aboutit, tour à tour :

     « Avec les pays de la CEI, la Russie maintient un solde commercial positif sur les échanges de produits manufacturés. De plus, le solde positif est en progression depuis le début des années 2000. Globalement, la CEI est la seule zone géographique vers laquelle la Russie arrive à augmenter ses exportations manufacturières. » (page 93)

     « L’UE compte pour la majeure partie du déficit commercial russe calculé pour les produits manufacturés. De plus, le solde connaît une dégradation rapide. » (page 93)

     « Le solde commercial pour les produits manufacturés dans les échanges avec la Chine est négatif depuis 2003. Alors que les exportations chinoises sont en très forte expansion, la Chine ayant triplé ses exportations entre 2003-2006, les exportations russes sont globalement stagnantes. Par conséquent, la balance commerciale globale du commerce russo-chinois est devenue négative pour la Russie. » (page 93)

     Ne sont retenus, ici, que les biens manufacturés, c’est-à-dire des biens dont la valeur vénale dé-pend de la concurrence et s’appuie indirectement sur le temps de travail consacré à leur produc-tion ainsi que sur la valeur économique à la fois des instruments de travail utilisés et des matières premières incorporées. A l’inverse, n’apparaissent pas ici les biens qui, dans le vocabulaire utilisé par Olga Garanina, offrent un « avantage absolu » :

     « Ces derniers correspondent à la situation où l’un des partenaires n’est pas en mesure de produire le bien importé, quels que soient les coûts. Les hydrocarbures et autres matières premières font partie des avantages absolus. En effet, pour ces produits, il n’y a pas de coûts comparés et le prix à l’échange varie en fonction de la conjoncture internationale sans les limites des coûts comparés des pays échangistes. » (page 101)

     C’est-à-dire qu’au-delà de leur coût de production, ils sont porteurs d’une rente…, cette richesse qui ne demande qu’à être accaparée, puisqu’elle n’est pas nécessaire à la continuation de la pro-duction. C’est à ces biens qu’Olga Garanina attribue cette redoutable caractéristique :

     « […] la « malédiction des ressources » est due non pas à la richesse en ressources naturelles, mais surtout aux problèmes de partage (utilisation) des revenus de leur exploitation. La richesse en ressources naturelles provoque des conséquences négatives en termes d’économie politique, favo-risant les comportements de recherche de rente, ce qui se répercute sur le ralentissement de la croissance. » (page 139)

     Autrement dit, il est urgent de ne pas rester dans la dépendance de pareilles « richesses ». D’où l’importance des biens manufacturés, dont nous avons vu, grâce à Olga Garanina, la place diffé-renciée qu’ils occupent, selon qu’il s’agit des échanges de la Russie avec la CEI, l’UE ou la Chine.

 

12. La Russie va-t-elle devoir partager le sort de l’Afrique  et du monde arabo-musulman ?

     Voici le « lieu géométrique » des prochaines guerres vers lesquelles vont tendre les présidents de la république française, quels qu’ils soient : la Russie, l’Afrique et le monde arabo-musulman… avec, en bout de course, la Chine. Excitant, n’est-ce pas ?

     C’est dit dans ce qui précède : les « rentes », cela se défend les armes à la main. Il importe donc d’obtenir une place assurée dans les échanges de produits manufacturés. L’agressivité des autres trou-vera à s’y amortir.

     Si donc nous reprenons les indications fournies par Olga Garanina en ce qui concerne l’évolution des ventes de biens manufacturés que la Russie réalise selon les pays, nous constatons aussitôt qu’il est essentiel pour elle de ne pas perdre le contact avec la CEI. Ou bien, il lui faudra se replier sur la rente de ses ressources naturelles, et s’armer aussitôt de beaucoup de courage…

     Mais la CEI elle-même, de quoi est-elle faite du point de vue économique ?

     C’est ce que nous apprend Olga Garanina, après nous avoir rappelé que :

     « La CEI est la seule grande zone régionale vers laquelle la Russie arrive à accroître ses exportations manufacturières, et, plus important, à faire progresser son excédant commercial dans le commerce manufacturier. Ainsi, entre 1998 et 2006, les exportations russes de machines et équipements vers la CEI ont augmenté de 2 ou 3 fois, voire plus, selon le groupe de produits. Ceci indiquerait la re-création du bloc commercial centré sur la Russie. » (page 176)

     Selon Olga Garanina, pris dans le cadre de la CEI :

     « Le commerce régional russe quant à lui est fortement concentré sur la Biélorussie, l’Ukraine et le Kazakhstan qui assurent à eux seuls environ 90 % des échanges russes intrazone. » (page 177)

     Or, si le Kazakhstan arrive en quatorzième position :

     « En 2006, l’Ukraine et la Biélorussie se situent parmi les dix principaux partenaires commerciaux de la Russie, en assurant 5,5 et 4,5 % de ses échanges respectivement selon les statistiques douaniè-res. » (page 177)

     Le tableau de la page 92 précisait d’ailleurs le cinquième rang de l’Ukraine et le sixième de la Biélorussie, à la suite, dans l’ordre décroissant, de l’Allemagne, les Pays-Bas, l’Italie, la Chine.

     S’il s’agit donc de reconduire la Russie sur le chemin du confinement aux ressources naturelles, on voit qu’il faut la couper, d’abord et avant tout, de l’Ukraine

13. Ces prétendus dictateurs qu’on immole à tour de bras

     Arrivé(e)s à ce point, et au-delà des rapports existant entre la Russie et l’Ukraine, le panorama dans lequel le Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale de 2008 situe les manœuvres possibles d’un Sarkozy et de ses successeurs à l’Elysée devient un peu plus précis :

     « La consommation mondiale d’énergie pourrait doubler d’ici 2030. Les pays de l’Union européenne dépendent aujourd’hui à plus de 75 % pour leur consommation de pétrole, de zones de production situées au Moyen-Orient, en Afrique ou en Russie. Les chiffres sont comparables pour le gaz. Les pays en forte croissance économique, comme l’Inde et surtout la Chine, cherchent de nouvelles sources d’approvisionnement sur l’ensemble de la planète. Concurrence et peut-être conflits pourraient résulter de tensions trop fortes et non régulées. »

     En tirant la leçon de ce que nous avons vu précédemment à propos de l’économie russe, il faut tout de suite insister sur le fait qu’il n’y a rien de plus grave, pour les Etats capitalistes occidentaux, que de se trouver en présence de pays susceptibles de produire des biens manufacturés dans un contexte d’économie administrée, c’est-à-dire capables de retenir, pour leurs peuples, une part significative de la rente accompagnant les éventuelles ressources naturelles du pays, de cette rente qui n’est donc pas soumise directement à la liberté d’entreprendre qui qualifie l’essentiel des prétendus « droits de l’hom-me »… Dans ce cas, l’Occident utilise la fiction de la « dictature » et devient immédiatement criminel : les destinées tragiques de Slobodan Milošević, Saddam Hussein, Muammar Gaddhafi et (possible-ment) Laurent Gbagbo en auront témoigné jusque dans le pire de l’horreur…

14. De la coupe aux lèvres…

     Le Livre blanc (2008) nous rappelle, comme en passant, que certains espaces sont déjà à portée de fusil :

     « Les pays européens sont présents militairement à des titres divers, au Tchad, en Palestine, au Liban, en Irak et en Afghanistan. Dans ces conditions, l’Europe et la France sont probablement appelées à s’engager davantage encore à l’avenir dans l’ensemble de la zone, pour aider à la prévention et au règlement des crises. » (page 44)

     Il faut donc en tirer les conséquences jusqu’au bout :

     « La France et l’Europe ne peuvent se désintéresser du continent qui leur est le plus proche. L’Afrique, riche de nombreux atouts, dispose d’un potentiel humain et économique considérable. A long terme, ces capacités pourraient lui permettre de figurer parmi les acteurs de premier plan de la croissance économique et de la sécurité mondiales. Néanmoins, la poursuite de l’essor démogra-phique, la faiblesse des structures étatiques et la mauvaise gouvernance risquent de freiner encore longtemps le développement et une répartition équitable de ses gains. » (page 44)

     …qui pourraient devenir les nôtres… un tout petit peu : il va donc falloir y mettre bon ordre… en faisant régner l’équité que promet la mise en œuvre des droits de l’homme (à coups de fusil)…

     Ensuite, et comme chacun le sait bien, l’appétit vient en mangeant :

     « La zone qui s’étend de la Mauritanie au Pakistan restera cruciale pour l’Europe à l’horizon 2025. Les prévisions démographiques postulent un doublement de la population d’ici 2030, tandis que les perspectives économiques demeurent limitées, les taux de chômage élevés, les systèmes d’éducation peu adaptés, et les régimes politiques contestés. » (page 45)

     Tout un Far-West, direction plein Sud… qui ne pourra guère espérer se tourner un jour vers la production d’objets manufacturés… Adieu, la meilleure protection contre les saisies d’une… rente… qui est pourtant déjà là et qui tend ses petits bras à l’Europe et à son fer de lance militaire, la France :

     « Les richesses naturelles sont essentiellement constituées d’hydrocarbures (deux tiers des réserves mondiales). » (page 45)

     Tout ça : deux tiers des réserves mondiales d’hydrocarbures ! Rien que pour quelques coups de fusil bien ajustés… Nous serions bien bêtes de nous en priver.

     Or, et c’est là une chance que nous nous devons de ne surtout pas mésestimer : ces régions ne se sortiront pas  avant longtemps du bazar politique, économique et social dans lequel elles se trouvent :

     « L’hydrologie est très défavorable et la région devrait connaître des problèmes sévères d’accès à l’eau potable, renforcés par les changements climatiques et les poussées migratoires. Dans ce contexte, la radicalisation des sociétés, l’opposition entre chiites et sunnites, les tentatives d’Al-Qaida pour s’approprier les luttes nationales sont autant de risques de déstabilisation supplémentaires. En outre, l’enlisement des processus de paix, la persistance des conflits (Liban, Irak, Afghanistan) ou des menaces de déstabilisation (Pakistan) ne laissent pas prévoir de solutions dans les prochaines années. » (Le Livre blanc, page 45)

     Mais, évidemment, il ne faudra pas non plus se laisser endormir.

15. Oh, belle Afrique !

Regarde cette main secourable qui ne se tend vers toi que pour t’étrangler !

     Le Livre blanc nous l’a dit : il y a un gâteau africain. Africain, sans doute… Mais n’est-il qu’africain ?

     La France ne pourrait-elle pas, pour le compte de l’Europe, faire elle-même les parts ? Tout en respectant la pauvreté locale ordinaire ?

     Mais si, certainement :

     « L’abondance de matières premières stratégiques et de ressources énergétiques appelle une valorisation, d’abord au bénéfice des populations africaines elles-mêmes. Elles constituent une ressource essentielle pour l’Afrique. Par ailleurs, elles peuvent contribuer à favoriser les techno-logies européennes. Une stratégie européenne organisant un partenariat équilibré avec les pays concernés, pour un accès équitableà ces ressources, doit donc être mise en oeuvre. » (page 45)

     Equilibre, équité… Les droits de l’homme (à coups de fusil) pointent le bout de l’oreille. Ima-ginons alors les Africains occupés à venir en France pour y faire régner l’équilibre et l’équité autour des richesses naturelles… et surnaturelles… essentielles à celle-ci. Ils seraient bien bons… Mais ils auraient sans doute à refranchir très vite la frontière au triple galop.

     Or, la France, en Afrique, elle a, elle, des troupes au sol, dans les airs et au-delà des airs, et sur l’eau et sous l’eau… et puis quantité d’autres moyens tout à fait convaincants. Elle y a même pris racine.

     Car, si la France – et derrière elle l’Europe – s’efforcent de caresser le monstre dans le sens du poil, elles savent tout de même que c’est effectivement un monstre… Voilà ce que le Livre blanc se charge de nous rappeler, ou de rappeler à ses « zélites » :

     « L’Afrique subsaharienne est une des seules régions du monde où la pauvreté a augmenté en dépit d’une croissance économique soutenue depuis le début des années 2000. A l’horizon 2030, la Banque mondiale estime à 3,3 % par an le taux de croissance réelle du PIB de cette partie du continent. Compte tenu du taux d’accroissement démographique annuel de 2,5 %, la population sera de 1,04 milliard d’habitants en 2025. Le risque d’une évolution relativement faible du PIB par habitant demeurera élevé. » (page 46)

     Surtout dans le cadre d’un équilibre et d’une équité dûment infligés par le capitalisme, le colonialisme et l’impérialisme occidentaux…

     D’un point de vue intérieur à l’Afrique subsaharienne elle-même, ce ne serait bien sûr pas une nouveauté… Et d’ailleurs, cela ne nous regarde pas… Nous ne faisons pas de l’ingérence… Pas plus qu’il ne faut… Ce qui n’empêche pas qu’il y ait tout de même un hic, et majeur. Ce que le Livre blanc s’empressait de nous signaler dès 2008 :

     « Certaines conséquences de cette situation sont d’ores et déjà identifiées : augmentation du nombre et de la taille des mégalopoles ; rareté alimentaire aggravée par les atteintes à la biosphère, le réchauffement climatique et l’augmentation de la demande ; risques épidémiques et absence de structures sanitaires adéquates (sida et paludisme notamment) ; croissance de la population dont plus de la moitié aura moins de 25 ans en 2025, avec l’importants taux de chômage ; fortes poussées migratoires, y compris en direction de l’Europe. » (page 46)

     L’Europe, malheureux !… L’Europe !

     Qui n’aura pas tort, de saisir l’Afrique à la gorge, et dans les meilleurs délais !… Sous la conduite déterminée d’une France impériale!… Oh, les beaux jours…

16. Au moins jusqu’en 2025, voire même 2030 !…

     Dès 2008, nous le constatons, il était clair que la chasse à courre en Afrique pourrait s’étendre au moins jusqu’en 2025, voire même jusqu’en 2030… Une génération, ou à peu près, pourrait-on dire.

     C’est donc sur cette longue période qu’il va falloir mettre en application cette phrase de la page 45 du Livre blanc rapportée précédemment  : « Une stratégie européenne organisant un partenariat équilibré avec les pays concernés, pour un accès équitableà ces ressources, doit donc être mise en oeuvre. »

     Les motifs se présentent, d’avance, en masses compactes :

     « La carence fréquente des structures étatiques et l’extension des zones de non-droit, les économies de rente au profit d’une minorité et l’existence de réseaux criminels disposant de moyens militaires importants constituent autant de facteurs d’inquiétude. Les problèmes de l’Afrique ont des incidences directes sur nos intérêts : immigration clandestine, radicalisation religieuse en terrain musulman et développement de sectes fondamentalistes en terrain chrétien, implantation des groupes terroristes se réclamant d’Al-Qaida, apparition de nouvelles routes de la drogue, trafics d’armes illicites, réseaux de prolifération, blanchiment d’argent et risques sanitaires. La bande sahélienne, de l’Atlantique à la Somalie, apparaît comme le lieu géométrique de menaces imbriquées et, à ce titre, appelle une vigilance et un investissement spécifiques dans la durée. » (Le Livre blanc, page 46)

     Panorama tout ce qu’il y a de plus terrible !…

     « Pourtant, contrairement à ce que cette liste laisserait présager, le tableau est loin d’être entièrement négatif et l’Afrique possède de nombreux atouts, qu’elle fait valoir de plus en plus : la zone subsaharienne comprend des richesses vitales pour l’économie mondiale ; sa jeunesse est une chance ; de nouvelles générations, qu’il faut encourager, accèdent aux responsabilités économiques et politiques. » (page 46)

     Autrement dit : nous pourrions en prendre pour cent ans, peut-être. Avec, très bientôt, la possibilité d’accaparer, plus ou moins, des « richesses vitales pour l’économie mondiale« .

     Ainsi n’est-ce sans doute pas par hasard que nous aurons entendu l’un des derniers présidents de notre république (Hollande) placer son mandat sous l’autorité ancienne d’un Jules Ferry. C’est bien celui-ci qui aura écrit :

     « Aujourd’hui, ce sont des continents que l’on annexe, c’est l’immensité que l’on partage, et particulièrement ce vaste continent noir, plein de mystères farouches et de vagues espérances… »

     (On pourra, ici, se référer à cette vidéo de Françoise Petitdemange)

     D’ailleurs, si ce n’est pas nous – l’Europe gentiment emmenée vers la caverne d’Ali Baba par la France -, il y en aura d’autres, et des gens d’ailleurs très peu recommandables, faut-il le souligner ? 

     « Enfin, l’expansion et l’influence croissantes des pays du Moyen-Orient et de l’Asie en Afrique, attirés par les ressources et le potentiel africains, sont un des faits marquants des dix dernières années. Elles se font parfois au détriment de l’action du FMI et de la Banque mondiale, qui tentent de lier l’aide à la gouvernance. En mars 2008, la Chine a ouvert la ligne de crédit la plus importante à un pays africain : 50 milliards de dollars au profit du Nigeria, tandis que la République démocratique du Congo a récemment signé avec Pékin des accords qui portent sur des investissements de 12 milliards de dollars. » (pages 48-49)

     Vous avez dit « gouvernance » ? Eh bien oui, il paraît que la Chine néglige de contraindre les pays avec lesquels elle traite, en Afrique ou ailleurs, à adopter les « droits de l’homme », c’est-à-dire les règles de la liberté d’entreprise !… Oh, coupable hérésie !

 

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