Au premier rang pour saluer
23 janvier 2015
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Au premier rang pour saluer
Par Uri Avnery
Lundi 19 Janvier 2015
Les trois terroristes islamiques auraient pu être très fiers d’eux s’ils
avaient vécu pour le voir.
En commettant deux attaques, assez banales selon les normes israéliennes,
ils ont semé la panique dans toute la France, jeté des millions de
personnes dans les rues, réuni plus de quarante chefs d’états à Paris. Ils ont
modifié le paysage de la capitale française et d’autres villes de France en
mobilisant des milliers de militaires et de policiers pour protéger des cibles
potentielles juives ou autres. Pendant plusieurs jours ils ont fait la une
des informations du monde entier, trois terroristes, agissant probablement
seuls, trois.
Pour d’autres terroristes islamiques potentiels d’Europe et d’Amérique,
cela doit représenter un énorme succès. C’est une invitation pour des
individus et des groupuscules à refaire la même chose, partout.
Le terrorisme signifie répandre la peur. Les trois de Paris ont à coup sûr
réussi à le faire. Ils ont terrorisé la population française. Et si trois
jeunes sans aucune qualification peuvent faire cela, imaginez ce que
pourraient faire trente, ou trois cent.
Franchement, je n’aime pas les énormes manifestations. J’ai participé
dans ma vie à beaucoup de manifestations, peut-être plus de cinq cent, mais
toujours contre les pouvoirs en place. Je n’ai jamais participé à une
manifestation à l’appel du gouvernement, même pour une bonne cause. Cela me
rappelle trop l’ancienne union soviétique, l’Italie fasciste et pire, pas pour
moi, merci.
Mais cette manifestation particulière fut aussi contre-productive. Non
seulement elle a prouvé que le terrorisme est efficace, non seulement elle
incite à des attaques similaires, mais elle porte aussi atteinte au vrai
combat contre les fanatiques.
Pour mener un combat efficace, on doit se mettre dans la peau des
fanatiques pour tenter de comprendre la dynamique qui pousse de jeunes musulmans
nés sur place à commettre de tels actes. Qui sont-ils ? À quoi pensent-ils ?
Quels sont leurs sentiments ? Dans quel environnement ont-ils grandi ? Que
peut-on faire pour les faire changer ?
Après des décennies de désintérêt, c’est une rude tâche. Cela demande du
temps et du travail, sans garantie de résultats. Il est beaucoup plus facile
pour les politiques de défiler dans la rue devant les caméras. Et qui
marchait au premier rang, rayonnant comme un vainqueur, notre irremplaçable
Benjamin Netanyahou.
Comment a-t-il fait pour arriver là ? Les faits se sont déroulés en un
temps record. Il semble qu’il n’était absolument pas invité. Au contraire, le
président François Hollande lui avait adressé un message explicite, je
vous en prie, ne venez pas. Cela ferait de la manifestation une expression de
solidarité avec les juifs, au lieu d’une protestation publique en faveur de
la liberté de la presse et d’autres « valeurs républicaines ».
Benjamin Netanyahou vint malgré tout, escorté de deux ministres d’extrême
droite.
Placé au second rang, il fit ce que font les israéliens, il a poussé de
côté un président noir africain placé devant lui pour se mettre lui-même au
premier rang.
Une fois-là, il se mit à adresser des signes aux gens sur les balcons le
long du parcours. Il était rayonnant, comme un général romain à son défilé
triomphal.
On peut imaginer les sentiments de François Hollande et des autres chefs d’
états, qui tentaient d’afficher une attitude solennelle et triste de
circonstance, face à cette manifestation de culot.
Benjamin Netanyahou est venu à Paris dans le cadre de sa campagne
électorale. En vétéran chevronné, il savait que trois jours à Paris, avec la visite
de synagogues et des discours juifs et fiers, valaient plus que trois
semaines à domicile, à polémiquer.
Le sang des quatre juifs assassinés dans le supermarché kascher n’était
pas encore sec, que les dirigeants israéliens appelaient les juifs de France
à faire leurs bagages pour venir en Israël. Israël est, comme chacun sait, l
’endroit le plus sûr au monde. C’était là une réaction sioniste
instinctive, presque automatique. Les juifs sont en danger.
Leur seul refuge sûr est Israël. Hâtez-vous de venir. Le jour suivant, les
journaux israéliens annonçaient joyeusement qu’en 2015 plus de dix mille
juifs français étaient près à venir vivre ici, poussés par un antisémitisme
croissant.
Apparemment, il y a beaucoup d’antisémitisme en France et dans les autres
pays d’Europe, mais probablement beaucoup moins que d’islamophobie. Mais
la lutte entre juifs et arabes sur le sol français à peu de rapports avec l’
antisémitisme. C’est un combat importé d’Afrique du Nord.
Quand la guerre de libération algérienne éclata en 1954, les juifs de
là-bas durent choisir leur camp. Presque tous choisirent de soutenir la
puissance coloniale, la France, contre le peuple algérien.
Il y avait à cela des antécédents historiques. En 1870, le ministre
français de la justice, Adolphe Crémieux, qui se trouvait être juif, accorda la
citoyenneté française à tous les juifs algériens, les distinguant de leurs
voisins musulmans.
Le Front de Libération Algérien (FLN) fit de gros efforts pour amener les
juifs locaux à prendre parti pour lui. Je le sais parce que je fus quelque
peu concerné.
Leur organisation clandestine en France me demanda de créer un groupe de
soutien israélien, afin de convaincre nos coreligionnaires algériens.
Je fondai le « comité israélien pour une Algérie libre » et éditai des
documents qui furent utilisés par le FLN pour gagner les juifs à leur cause.
En vain, les juifs locaux, fiers de leur citoyenneté française,
apportèrent loyalement leur soutien aux colonialistes. À la fin, les juifs jouèrent
un rôle important dans l’OAS, le mouvement français extrémiste clandestin
qui mena une lutte sanglante contre ceux qui combattaient pour la liberté. Il
en résulta que tous les juifs fuirent l’Algérie en même temps que les
français lorsqu’arriva le jour du choix. Ils n’allèrent pas en Israël.
Ils allèrent presque tous en France, à la différence des juifs marocains
et tunisiens, dont beaucoup vinrent en Israël. En général, les plus pauvres
et les moins éduqués choisirent Israël, tandis que l’élite d’éducation
française alla en France et au Canada.
Nous assistons maintenant à la poursuite de cette guerre sur le sol
français entre musulmans et juifs algériens. Les juifs « français » tués lors de l
’attaque avaient tous les quatre des noms nord-africains et ils ont été
enterrés en Israël.
Pas sans difficultés, le gouvernement israélien a exercé de fortes
pressions sur les quatre familles pour enterrer leurs fils ici. Elles voulaient
les enterrer en France, près de chez eux.
Après beaucoup de marchandage sur le prix des tombes, les familles ont
fini par donner leur accord.
On a dit que les israéliens aiment l’immigration mais qu’ils n’aiment pas
les immigrants. Cela vaut certainement pour les nouveaux immigrants «
français ». Ces dernières années, des touristes « français » sont venus ici en
grand nombre.
Ils n’ont pas été souvent appréciés. En particulier lorsqu’ils se sont
mis à acheter tous les appartements sur le front de mer de Tel Aviv en les
laissant vides, comme une sorte d’assurance, tandis que les jeunes locaux ne
pouvaient ni trouver ni se payer des appartements dans la région
métropolitaine. Pratiquement tous ces touristes et immigrants « français » sont d’
origine nord-africaine.
Quand on leur demande ce qui les pousse à venir en Israël, ils répondent
de façon unanime, l’antisémitisme. Ce n’est pas un phénomène nouveau. En
réalité, la grande majorité des israéliens, eux-mêmes ou leurs parents ou
leurs grands-parents, furent conduits par l’antisémitisme à venir ici.
Les deux termes, antisémitisme et sionisme, sont apparus à peu près en
même temps, vers la fin du dix-neuvième siècle. Theodor Hertzl, le fondateur
du mouvement sioniste, en conçut l’idée lorsqu’il travaillait en France
comme correspondant étranger d’un journal de Vienne pendant l’affaire
Dreyfus, lorsqu’un antisémitisme virulent en France atteignit de nouveaux sommets.
Antisémitisme, cela va de soi, n’est pas le mot qui convient. Les arabes
sont des sémites, eux aussi. Mais le mot est en général employé pour
désigner seulement ceux qui ont la haine des juifs.
Plus tard, Theodor Herzl courtisa les dirigeants ouvertement antisémites
de Russie et d’ailleurs, les appelant à l’aide et promettant de les
délivrer des juifs.
C’est aussi ce qu’ont fait ses successeurs. En 1939, l’Irgoun clandestin
projeta une invasion de la Palestine avec l’aide de généraux profondément
antisémites de l’armée polonaise. On peut se demander si l’état d’Israël
aurait pu voir le jour en 1948 s’il n’y avait pas eu l’Holocauste.
Récemment, un million et demi de juifs russes ont été poussés en Israël par l’
antisémitisme.
Le sionisme est né à la fin du dix-neuvième siècle en réponse directe au
défi de l’antisémitisme. Après la révolution française, la nouvelle idée
nationale s’est emparée de toutes les nations européennes, grandes et petites,
et les mouvements nationaux étaient dans leur ensemble plus ou moins
antisémites.
La croyance fondamentale du sionisme est que les juifs ne peuvent vivre
nulle part ailleurs que dans un état juif, parce que la victoire de l’
antisémitisme est partout inéluctable. Que les juifs d’Amérique se réjouissent de
leur liberté et de leur prospérité, tôt ou tard cela prendra fin.
Ils sont condamnés comme les juifs de partout en dehors d’Israël.
La nouvelle atrocité de Paris ne fait que confirmer cette croyance
fondamentale. Il y a eu très peu de commisération en Israël. Plutôt, un sentiment
inavoué de triomphe. La réaction instinctive des israéliens ordinaires est
« on vous l’avait dit » et aussi « venez vite, avant qu’il ne soit trop
tard ».
J’ai souvent tenté d’expliquer à mes amis arabes que les antisémites sont
les plus grands ennemis du peuple palestinien. Les antisémites ont aidé à
pousser les juifs vers la Palestine et ils sont aujourd’hui en train
refaire la même chose. Et certains des nouveaux immigrants vont à coup sûr s’
installer au-delà de la Ligne Verte dans les territoires palestiniens occupés,
sur des terres arabes spoliées.
Le fait qu’Israël tire profit de l’attentat de Paris a conduit des médias
arabes à penser que toute l’affaire n’est en réalité qu’une opération «
sous fausse bannière ». Donc, dans le cas présent, les auteurs arabes étaient
en réalité manipulés par le Mossad israélien.
Après un crime, la première question qui vient à l’esprit est « cui bono
», à qui cela profite ? Il est évident que le seul à sortir vainqueur de
cette atrocité est Israël. Mais en tirer la conclusion qu’Israël est derrière
les djihadistes est une pure absurdité.
Il est clair que l’ensemble du djihadisme islamique sur le territoire
européen ne nuit qu’aux musulmans. Les fanatiques de toutes espèces viennent
généralement en aide à leurs pires ennemis. Les trois musulmans qui ont
perpétré les atrocités de Paris ont certainement rendu un grand service à
Benjamin Nétanyahou.
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Je suis Hassanna Aalia