Ne parlons pas des victimes. Combien un attentat coûte-t-il aux terroristes ?

Louise Shelley: « À première vue, moins que ce que l’on pourrait croire. Trouver des armes ou former un petit groupe de terroristes ne coûte pas excessivement cher. Prenez par exemple les attentats du 11 septembre : leur coût est estimé à seulement 500.000 dollars. Cependant, je crois qu’il s’agit là d’une approche erronée. Il faut se demander ce que coûte le maintien d’une organisation terroriste. Il faut une logistique d’une qualité supérieure, garder les combattants motivés, s’occuper des familles des terroristes tués, etc. Pour cela, il faut de nombreux millions ».

Dans votre nouveau livre intitulé « Dirty Entanglements: Corruption, Crime and Terrorism » vous écrivez que chaque histoire terroriste à succès commence comme la fondation d’une entreprise à succès : en réunissant un capital de départ. Dans le cas d’Al Qaeda l’argent venait de la fortune d’Oussama ben Laden. Où l’État islamique a-t-il trouvé ses finances ?

« Elles proviennent de deux sources. Les prédécesseurs de l’État islamique ont reçu des dons des états du Golfe, mais maintenant l’organisation reçoit de nouveaux dons, plus petits, de nombreux côtés. De plus, les routes de contrebande empruntées à l’heure actuelle étaient déjà utilisées après l’invasion pour trafiquer des cigarettes et de la pornographie à petite échelle ».

De la pornographie?

« Oui, j’étais également étonnée de ce trafic dans les régions occupées par l’État islamique. En ce moment, l’EI est financé par un trafic de pétrole, mais également par de nombreuses autres activités. Il s’agit d’une organisation criminelle diversifiée ».

De quelles activités s’agit-il?

« Le trafic d’art volé dans les régions occupées par exemple. Celui-ci se vend sur eBay, dans les salons d’art ou chez les antiquaires de qualité en Europe. Cependant, ce trafic ne rapporte pas beaucoup d’argent parce que ce marché est limité. L’EI taxe le commerce, gagne de l’argent avec les passeports vendus par les combattants étrangers, vend des téléphones mobiles, fait de la contrebande de cigarettes illégales, organise des enlèvements et du trafic d’êtres humains, sans bien évidemment oublier le trafic d’armes.

Comment les routes commerciales sont-elles utilisées pour les opérations illégales?

« Ils utilisent simplement les relations commerciales existantes. Les contacts entre l’Irak et la Syrie ou la Turquie sont centenaires et même millénaires. Historiquement, ces pays faisaient partie d’empires communs. Et la corruption de fonctionnaires permet de franchir les frontières ».

Cela signifie-t-il que les organisations terroristes sont reliées au crime organisé depuis le début?

« Je ne dirais pas qu’elles sont reliées au crime organisé. Elles participent au crime organisé. Parfois, les organisations terroristes sous-traitent leurs activités criminelles au crime organisé, parfois elles s’en chargent elles-mêmes. Elles utilisent la corruption comme le ferait un groupe criminel organisé. L’État islamique est né dans les prisons irakiennes, qui ont joué un rôle clé dans la création de liens entre les terroristes et les baathistes criminalisés du régime de Saddam Hussein.

Tout cela fait penser davantage à une entreprise qu’à un califat.

« Oui, c’est exact. Le groupe est géré comme une entreprise normale. À l’État islamique, et dans d’autres groupes terroristes, on tient une comptabilité solide. Les revenus issus de différentes sources sont tenus à jour avec précision et portés en compte avec les dépenses pour les salaires, les pots-de-vin et les armes. Le terrorisme aussi est un business – et un bon ».

Der Spiegel