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28 mars 2024

Algérie-Libye : Un attentat pour quels messages ?


Algérie-Libye : Un attentat pour quels messages ?

par Ghania Oukazi, Le Quotidien d’Oran, 19 janvier 2015

L’attentat perpétré contre l’ambassade d’Algérie à Tripoli semble transmettre plusieurs messages aux autorités algériennes, notamment depuis qu’ils tentent de convaincre les antagonistes libyens à résoudre leur conflit uniquement par «un dialogue politique inclusif».

A entendre des membres influents de la dissidence libyenne accuser l’Algérie de tous les maux, il fallait déceler des menaces à peine voilées contre sa sécurité interne et externe. Premier pas dangereux franchi dans ce sens, la voiture piégée qui a sauté devant le siège de l’ambassade d’Algérie à Tripoli le matin du samedi dernier faisant 3 blessés et de gros dégâts matériels. Accusée depuis la chute de Maâmar Kadhafi d’avoir soutenu son régime et protégé sa famille, l’Algérie est devenue une cible pour ceux qui ont décidé de déstabiliser la Libye et la région sous l’impulsion de pays occidentaux assoiffés d’intérêts géostratégiques insatiables.

Au début de ce mois de janvier, des responsables d’une aile dissidente en Libye sont intervenus en direct sur les ondes d’un média égyptien pour accuser l’Algérie d’être «ce loup dans la bergerie» libyenne. Interrogé par téléphone, l’intervenant libyen soutenait que «l’Algérie finance le terrorisme en Libye, fait tout pour que la crise ne soit pas résolue, pour qu’elle continue à pomper notre pétrole gratuitement». Les accusations sont directes et sans ambiguïtés. Bien que les pays occidentaux ont laissé l’Algérie réunir chez elle les parties maliennes en conflit pour tenter de trouver un règlement politique à la crise qui secoue leur pays, ils ne sont pas tout autant disponibles à la laisser conduire le même processus pour ce qui est du conflit libyen. Les responsables américains le lui ont fait savoir – ou presque – en lui accolant l’Egypte dans cette entreprise. John Kerry l’avait bien précisé lorsqu’il a séjourné à Alger en avril dernier. Il a déclaré sans ambages que «l’Algérie et l’Egypte pourraient jouer un rôle déterminant dans la résolution de la crise libyenne». Il est clair que les Etats-Unis préfèreraient de loin voir l’Egypte d’Essissi rebondir pour accaparer le rôle de «leader du monde arabe» qui lui a toujours été attribué pour des considérations et impératifs que seuls les responsables égyptiens peuvent respecter vis-à-vis des Occidentaux. La Libye étant cette jonction entre le Moyen-Orient et le Maghreb, il ne sera pas permis à l’Algérie de prendre «sur elle» toute seule, le règlement de sa crise. Trop d’événements ont coïncidé ces jours-ci pour ne pas se rendre compte de la mise en œuvre d’une nouvelle feuille de route à cet effet. Après avoir accusé l’Egypte de plusieurs torts, le Maroc est revenu ces dernières 72 heures sur ses déclarations pour les remplacer par d’autres, bien plus conciliantes. Au même moment, il avait refusé d’être représenté dans la fameuse marche parisienne parce qu’il a accusé la France d’avoir, entre autres, permis à l’Algérie d’abriter le dialogue inter-malien.
RAPPROCHEMENT RABAT – LE CAIRE ET NOUVELLE FEUILLE DE ROUTE

Ce brusque rapprochement entre Rabat et Le Caire semble conforter plutôt l’idée américaine de permettre à Essissi d’avoir un droit de regard direct sur les négociations entre les Libyens et pourquoi pas d’en imposer son point de vue. En attendant, les Occidentaux ont tourné le dos à Alger en prenant à leur compte l’idée «d’un dialogue politique inclusif» entre les Libyens pour les rassembler à Genève sous l’égide des Nations unies. Ceci, même si Alger continue de dire par la voix de son ministre des Affaires étrangères qu’elle joue un rôle de facilitateur. Ramtane Lamamara s’est contenté de cette déclaration contre celle qu’il avait lancée l’année dernière à propos d’un dialogue inter-libyen «pour lequel l’Algérie se tient prête et lui ouvre ses portes». Premier à avoir évité d’applaudir officiellement et publiquement cette disponibilité algérienne à réconcilier «les frères libyens» chez elle, le président du Conseil des ministres italien lors de la conférence qu’il avait animée à Alger. «Nous sommes déterminés à travailler sur un projet onusien pour résoudre la crise libyenne», avait déclaré Matteo Renzi en décembre dernier. L’Egypte doit, selon les Occidentaux, «reprendre du poil de la bête» pour fédérer le monde arabe et au-delà. Notamment en ces moments où l’Autorité palestinienne «fait des siennes en revendiquant des droits qu’elle n’a jamais mis en avant auparavant», nous lance un diplomate occidental. D’une pierre, plusieurs coups, l’Algérie devra mettre aussi en veilleuse sa revendication de réformer la Ligue arabe, et s’abstenir de prétendre à un rôle «global et complet» de leader dans la région.
L’UE VEUT UN ACCORD GLOBAL SUR LA SECURITE

Mais le reproche le plus grave fait à l’Algérie est celui d’insister sur son respect de deux dispositions constitutionnelles, à savoir la non-ingérence dans les affaires internes des Etats et surtout l’interdiction de faire intervenir son armée en dehors de ses frontières. Le secrétaire d’Etat américain l’a bien insinué lorsque la question de vouloir faire plier Alger à ce sujet lui a été posée. «Nous respectons la Constitution algérienne mais il faudrait qu’on réfléchisse à relever d’importants défis en matière de sécurité et de stabilité dans la région». John Kerry avait en outre, affirmé que «l’Algérie doit s’investir davantage dans la lutte antiterroriste». Lamamra avait rétorqué «les pays frères de la région trouvent en l’Algérie un important partenaire qui leur fournit une aide en renseignements, en équipements et en formation». Il a bien été demandé avec insistance à l’Algérie d’intervenir militairement en Libye mais elle l’a toujours refusé au nom de ces deux principes. «Ce sont des dogmes dont l’Algérie doit s’en débarrasser très vite, en raison de la détérioration de la situation dans la région», avait déclaré l’année dernière un diplomate européen. Ses détracteurs affirment même qu’elle l’a fait secrètement par des incursions militaires en Libye et en Tunisie.

Mais son discours politique reste ferme. «Nous avons une force armée importante mais nous ne l’utiliserons jamais contre nos enfants ni nos frères», n’avait de cesse de répéter le Premier ministre à chaque fois qu’il se trouvait dans une région du pays, notamment celles du Sud proches de ses frontalières avec la Libye et le Mali.

L’Union européenne ne reste pas à l’écart de toutes ces tentatives de persuasion de l’Algérie pour lui faire sauter le pas et intervenir militairement dans la région. «L’Unité de fusion et de liaison (UFL) du CEMOC (Commandement des états-majors commun) nécessite d’être renforcée par une aide en matière de formation et d’expertise», avait déclaré en octobre dernier le coordonateur de l’UE pour la lutte antiterroriste. Ceci pour reconnaître à demi-mot que l’Algérie n’a pas toujours les moyens de sa politique.

L’on rappelle que l’Algérie a toujours fait savoir qu’elle ne permet aucune «incursion» étrangère dans le CEMOC ou dans son UFL (chargée du renseignement). Elle tient à ce que seuls les quatre pays membres (Algérie, Mali, Niger et Mauritanie) doivent en assumer les missions même si elle avoue que le CEMOC n’évolue pas toujours dans le même sens. L’intervention de la France au Mali pourrait en être la démonstration. Accompagné du représentant de l’UE pour la région du Sahel, Gilles De Kerchove était venu en octobre dernier pour convaincre les autorités algériennes de signer ce que les Européens qualifient d’ «accord global sur la sécurité sahélienne et maghrébine». C’est une sorte de mémorandum d’entente sur la sécurité régionale dont l’une des dispositions est de pousser l’armée algérienne à intervenir militairement sur le terrain.

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