Aller à…
RSS Feed

20 avril 2024

Libye : qui est derrière l’assaut sanglant de l’hôtel Corinthia ?


Au moins 13 personnes, dont les 5 assaillants, ont trouvé la mort dans l’attaque d’un hôtel de luxe ce mardi à Tripoli, selon les autorités de la capitale libyenne. L’Etat islamique a revendiqué l’opération, mais des officiels libyens contestent cette version, renforçant le chaos politique qui règne dans le pays.

Aux alentours de 10 heures, cinq hommes armés et masqués sont entrés dans le Corinthia, hôtel cinq étoiles situé en bord de mer. Ils ont d’abord fait exploser une voiture, provoquant une épaisse fumée noire et tuant trois gardes de sécurité. On peut voir l’explosion filmée de loin sur la vidéo ci-dessous :

Les assaillants sont ensuite entrés dans le lobby et ont fait feu abondamment. Les rares clients présents et une partie du personnel ont pu fuir par une porte de derrière donnant sur le parking souterrain. La suite de l’attaque est plus floue. Les assaillants auraient pris des otages et se seraient réfugiés dans un étage de l’hôtel. Les forces de l’ordre, qui avaient rapidement bloqué les alentours, ont pénétré dans l’hôtel en début d’après-midi. Les cinq assaillants se sont alors fait exploser, mettant fin à l’opération sanglante.

«Au total, treize personnes sont mortes: quatre Libyens qui assuraient la sécurité, quatre employés étrangers et les cinq assaillants», détaille Jamal Zoubia, chef du bureau en charge des médias étrangers et porte-parole de facto du gouvernement de Tripoli. Des sources sécuritaires font état de cinq ressortissants étrangers tués sans que l’on sache leurs nationalités exactes. Cependant, l’hôtel, propriété d’une compagnie maltaise, emploie de nombreux Philippins.

Cette photo extraite des caméras de surveillance de l’hôtel montre l’un des assaillants :

L’Etat islamique, présent en Libye depuis novembre, a revendiqué la tuerie sur Twitter. L’institut américain SITE, spécialisé dans l’activité des organisations terroristes a confirmé son implication. C’est la troisième attaque perpétrée dans la capitale libyenne qui a été revendiquée par le groupe jihadiste. Le 13 novembre, les ambassades d’Egypte et des Emirats arabes unis avaient été visées par des voitures piégées. Le 17 janvier, une bombe avait explosé devant l’ambassade d’Algérie. Ces attentats n’avaient pas fait de victime.

L’organisation terroriste explique, via Twitter, que l’attaque est une réponse à la mort d’Abou Anas al-Libi, le 2 janvier aux Etats-Unis. Abou Anas al-Libi était soupçonné d’être un membre d’Al-Qaeda qui aurait participé aux attaques contre les amabassades américaines en Tanzanie et au Kenya le 7 août 1998. Il a été enlevé par l’armée américaine le 5 octobre 2013 à Tripoli provoquant la colère des islamistes libyens ainsi que d’une grande partie de la population. Il est mort des suites d’une longue maladie dans un hôpital de New York avant que son procès ne puisse avoir lieu.

L’hôtel Corinthia était fortement fréquenté par les diplomates, du moins jusqu’à cet été quand les chancelleries ont décidé de quitter Tripoli alors en proie à de violents combats. Le Qatar et l’Union européenne avaient leur représentation installée à l’hôtel. Mais les ambassades ne sont pas revenues et aucun diplomate de haut rang n’était présent au moment du drame. C’est aussi au Corinthia que le représentant de l’ONU en Libye, Bernardino Leon, a l’habitude de tenir ses conférences de presse quand il vient à Tripoli. Sa dernière venue date du 8 janvier.

«C’est un leurre»

Cependant, les autorités de Tripoli pointent du doigt un tout autre responsable: Khalifa Haftar. L’ancien général sous Khadafi est le bras armé de la Chambre des représentants, basée à Tobrouk. Depuis cet été, le pays est divisé en deux. D’un côté le Congrès général national et le cabinet de Omar al-Hassi, basés à Tripoli, soutenus par une coalition de brigades appelée Aube libyenne ; de l’autre, le gouvernement d’Abdoullah al-Thinni et la Chambre des représentants, reconnue par l’ONU, réfugiés à l’est.

«C’est Khalifa Haftar qui est derrière cette attaque et celle des ambassades aussi. La preuve en est qu’Omar al-Hassi était dans l’hôtel ce matin mais il a réussi à fuir. Le but de Haftar est de montrer que Tripoli vit dans l’insécurité. Pour cela, il utilise le label de l’Etat islamique, mais c’est un leurre», affirme Jamal Zoubia.

Dans cette lutte pour le pouvoir, les autorités de Tripoli se sont alliées militairement avec Ansar al-Charia, déclaré groupe terroriste par l’ONU, contre les troupes de Khalifa Haftar. En novembre 2014, Omar al-Hassi décrivait Ansar al-Charia comme un organisme de charité «simple, beau et amical». Quant à l’Etat islamique, le Premier ministre de Tripoli le considère depuis son apparition sur le sol libyen comme trop «peu important» pour être dangereux. L’attaque du Corinthia pourrait changer la donne, au moins officieusement.

Mathieu GALTIER (correspondant à Tripoli)

Partager

Plus d’histoires deLibye