palestine - enfant  Face à la répression d'Israël les jeunes ont surmonté leurs craintes palestine enfant

 

Les jeunes sont les protagonistes de cette rébellion. Lors de chaque vague de protestations, ils bâtissent de nouvelles structures populaires de résistance.

Le 8 octobre 2015, aux abords d’un check-point d’une colonie israélienne à Beit El, en Cisjordanie, des manifestants palestiniens se heurtent à des soldats israéliens lors d’une protestation contre l’interdiction pour les Palestiniens d’entrer sur le site de la mosquée Al-Aqsa.

Ces derniers jours en Palestine ont rappelé les images de la première Intifada. Des pneus que l’on brûle dans les rues, des jeunes portant des foulards palestiniens et jetant des pierres, et l’armée israélienne qui les affronte avec ses gaz lacrymogènes, ses grenades à bruit et ses tirs à balles réelles. Des villages palestiniens entiers sont en état de siège. Tels des incendies qu’on ne peut maîtriser, les affrontements se multiplient dans Jérusalem et dans les zones palestiniennes de part et d’autre de la Ligne verte.

Les causes premières de cette rébellion sont toujours les mêmes : le régime d’occupation israélien, l’apartheid et la colonisation rendent la vie des Palestiniens insupportable. Pourtant, il y a des différences fondamentales entre aujourd’hui et naguère et ce sont les actions de la nouvelle milice des colons qui détermineront si, oui ou non, une nouvelle Intifada va se déclencher dans toute son intensité.

La différence la plus visible dans la réalité sur le terrain entre la première et la seconde Intifadas réside dans le rôle prépondérant des colons israéliens dans les attaques contre les Palestiniens. La population des colonies s’est muée en milices bien armées, bien organisées et motivées par une idéologie. Elles organisent des raids dans les villages palestiniens, attaquent les Palestiniens dans les rues et même chez eux, dans leurs foyers. Depuis la mort horrible, l’an dernier, du jeuneMuhammad Abu Khdeir brûlé vif à Jérusalem jusqu’au tout récent incendie criminel de la maison des Dawabshah à Dima, au cours duquel les parents et un enfant en bas âge ont perdu la vie, les colons ont mené toute une série d’attaques terroristes contre les Palestiniens. Israël encourage et soutient ces milices fanatiques pour qu’elles se chargent des besognes les plus sales de l’agression et de la répression israéliennes en Cisjordanie.

Confiner de force les Palestiniens dans des bantoustans

Le discours inaugural du Premier ministre israélien Netanyahu à propos d’une « guerre totale », y compris la réoccupation de la majeure partie des zones résidentielles palestiniennes en Cisjordanie – définies par les accords d‘Oslo en tant que « zones A » – a été très apprécié de ces milices de colons et de leurs partis au pouvoir. Toutefois, comme l’ont fait remarquer très rapidement les organes israéliens de l’armée et des renseignements, un déploiement militaire massif en Zone A n’est ni dans l’intérêt des colons ni dans celui du reste de l’establishment politique israélien. Tous ont un but commun : expulser le plus grand nombre possible de Palestiniens de Jérusalem et du reste de la Cisjordanie et les confiner dans les bantoustans emmurés spécialement créés pour eux. Le meilleur moyen d’y arriver est de concentrer la pression à l’extérieur de ces bantoustans.

Des quatre brigades militaires supplémentaires envoyées en Cisjordanie, il n’y en a aucune dans les principales villes palestiniennes. Contrairement à la première Intifada, durant laquelle l’armée avait recouru à une violence extrême et avait effectué en permanence des patrouilles dans les villes palestiniennes afin d’en conserver le contrôle, ou, lors de la seconde Intifada, contrairement à la ré-invasion israélienne de la Cisjordanie dans le but de détruire les infrastructures de l’Autorité palestinienne, cette fois, la Zone A n’est pas la cible des opérations.

Suivant la même logique que celles des massacres de la population palestinienne àGaza, Israël attaque à partir de la périphérie. Les ghettos restent sous contrôle palestinien alors qu’Israël rend la vie insupportable dans les 60 pour 100 restants de la Cisjordanie, grâce à la construction du mur de l’apartheid, aux démolitions de maisons, à la menace immédiate de destruction de 89 communautés, au refus de l’accès à l’eau, aux check-points, aux confiscations de terres et aux attaques par les colons.

Les jeunes ont surmonté leurs craintes

Cette politique a un impact sur la résistance palestinienne. Les Palestiniens sous menace directe d’épuration ethnique sont aux avant-postes des protestations. Les jeunes Palestiniens de Jérusalem poursuivent leur mission consistant à « secouer » le joug de l’oppression israélienne sur leur économie, leurs écoles et leurs maisons. Rien ne les intimide : ni les exécutions à bout portant ni les nouvelles lois punissant les jets de pierres de peines allant jusqu’à 20 années d’emprisonnement.

S’il est une raison pour laquelle les jeunes Palestiniens de Jérusalem sont plus souvent les auteurs des actuelles agressions au couteau, c’est bien la répression qui ne cesse de se durcir. Depuis l’homicide par le feu de Mohammed Abu Khdeir, l’Intifada à Jérusalem n’a plus cessé. Dans le reste de la Cisjordanie, des vagues périodiques de protestations vont et viennent, mais selon un tempo de plus en plus rapide. La semaine dernière, sept jeunes ont été tués et près de 800 Palestiniens ont été blessés. Les Palestiniens à l’intérieur de la Ligne verte, qui sont confrontés à un racisme virulent, à un apartheid institutionnel et à des mesures d’épuration ethnique, ont organisé des protestations dans leurs villes et municipalités.

Les Palestiniens qui résident dans les zones A de la Cisjordanie, exception faite des camps de réfugiés, se sont pour une bonne part tenus à l’écart de la mobilisation, jusqu’à présent. Pour nombre d’entre eux, l’absence complète de direction politique pèse toujours trop lourd pour qu’ils engagent. Ni l’Autorité nationale palestinienne (ANP) ni les partis politiques palestiniens ne sont capables de proposer des directions stratégiques face au rejet par Israël d’un État palestinien. Ils ne peuvent répondre aux demandes palestiniennes en faveur de l’autodétermination – y compris le droit au retour et la fin de l’apartheid pour les citoyens palestiniens d’Israël. Ils ont été incapables de créer des structures pour dépendre leur peuple.

Révolte contre Israël et contre l’AP

L’actuelle explosion de protestations ne vise pas uniquement Israël. C’est également une manifestation de la frustration des gens confrontés au choc de l’agression israélienne en Cisjordanie. Leurs protestations expriment un désir général d’en finir avec une représentation inefficiente et inepte.

L’AP est consciente de cette colère. Le récent discours de Mahmoud Abbas auxNations unies, mettant en garde contre le danger de voir les mesures israéliennes « saper les structures de l’Autorité nationale palestinienne, voire mettre un terme à l’existence de cette dernière », n’était rien d’autre qu’un appel à Israël et à ses partisans à ne pas éroder complètement la capacité de l’AP d’exercer son contrôle dans les bantoustans de la Zone A. L’actuelle vague de protestations peut même servir à souligner son point de vue, selon lequel l’ANP est une pièce centrale dans le plan israélien d’épuration ethnique et de bantoustanisation de la Cisjordanie à court terme.

Enfin, l’actuel partage de pouvoir entre l’occupation israélienne et l’AP en tant que garante de la stabilité dans les bantoustans de la Zone A ne durera pas. Afin que l’AP puisse conserver un minimum de crédibilité face à son peuple, elle doit se faire passer pour un mouvement national de libération en mettant fin à la coordination sécuritaire avec Israël, en rompant ses accords économiques avec Israël, en appelant aux boycott, désinvestissement et sanctions complets en vue d’isoler le régime colonial et d’apartheid israélien et de protéger son peuple. Si l’ANP agit de la sorte, Israël va l’écraser. Et si elle n’assure pas ce programme minimum, le peuple palestinien va se révolter.

Le contexte politique, social et économique tout entier prépare la population palestinienne à cette insurrection. Les partisans de la solution à deux États ont perdu espoir en un État palestinien. La situation économique continue à se détériorer rapidement, même en Zone A. Le chômage monte en flèche pour atteindre des chiffres désespérants. Les gens cherchent la dignité et un avenir pour eux-mêmes, ils cherchent la liberté et l’indépendance pour leur nation et ils ont l’intention d’en payer le prix. Les jeunes sont les protagonistes de cette rébellion. Via chaque vague de protestations, ils bâtissent de nouvelles structures populaires de résistance.

Il faudrait quand même voir si Israël et l’AP sont capables de contrôler la recrudescence actuelle de la rébellion. Il y a deux jours, les institutions de sécurité israélo-palestiniennes se sont mises d’accord pour calmer la situation, Netanyahuet Abbas ont fait des déclarations appelant à mettre un terme aux confrontations. Aujourd’hui, pourtant, la vague de protestations est plus forte que jamais dans toute la Cisjordanie et à l’intérieur de la Ligne verte, alors que les colons sont une fois de plus de sortie dans les rues pour s’en prendre aux Palestiniens.

Le véritable question n’est pas de savoir si une troisième Intifada va avoir lieu, mais plutôt de savoir quand elle sera assez forte pour durer. Le facteur décisif, c’est le projet israélien d’implantation coloniale. Même en l’absence d’une direction palestinienne efficiente, si les colons et leur État continuent à attaquer le peuple palestinien, nous assisterons tôt ou tard à l’émergence d’une Intifada totale s’appuyant sur une organisation émanant de la base.

Jamal Juma | 10 octobre 2015

Jamal Juma est né à Jérusalem et il a étudié à l’Université de Birzeit, où il est devenu actif au niveau politique. 

Article original: Middle East Eye.

Traduction : Jean-Marie Flémal.

Source: http://www.pourlapalestine.be/la-prochaine-intifada-une-lutte-contre-les-bantoustans/