Pourquoi l’Iran soutient la Syrie
16 octobre 2015
14 octobre 2015
En répandant une fois de plus sa propagande, Washington fait circuler une intrigue selon laquelle l’Iran soutiendrait la Syrie dans l’unique but d’apaiser les traditionalistes radicaux de Téhéran. Mais la réalité est plutôt que les dirigeants iraniens sont d’accord pour dire qu’une victoire de l’Etat Islamique ou d’Al-Qaeda doit être empêchée, analyse Gareth Porter dans le Middle East Eye.
L’intervention du Président Hassan Rouhani et son discours la nuit précédente devant 150 Américains ont présenté le récent accord sur le nucléaire iranien comme étant un précédent diplomatique favorisant les relations avec les Etats-Unis. Toutefois, les deux discours ont également appelé Washington à changer sa politique concernant les conflits au Moyen-Orient.
Malgré des différences notables entre les deux présentations, le fond de l’argumentaire de Rouhani reste que l’Iran est prêt à appliquer aux conflits du Moyen-Orient le style diplomatique qui a permis des avancées sur le dossier nucléaire. Mais Rouhani a précisé qu’il n’accepterait pas une politique américaine qui mettrait en danger le régime Syrien.
Dans son discours à l’ONU, le président Rouhani a désigné le « Joint Comprehensive Plan of Action » (nom officiel de l’accord sur le nucléaire) comme « une victoire historique sur la guerre » mais il a aussi été très sévère à propos des politiques de déstabilisation US menées contre les alliés de l’Iran. Dans sa déclaration à l’audience américaine, à laquelle nous avons assisté, il a été plus précis sur ces deux points. Il a proposé d’appliquer un modèle de négociation « gagnant-gagnant » avec un accord de paix au Yemen qui impliquerait tous les groupes Yéménites en conflit actuellement. Il déclarait « Nous avons la volonté profonde d’aider à mettre en place des mesures concrètes pour maintenir la sécurité de chacun ».
Mais Rouhani a été très ferme en insistant sur le rôle des Etats-Unis : ils devraient se rallier aux actions communes pour arrêter la progression menaçante de Daesh avant de discuter du destin du régime de Bachar el-Assad. « La priorité » en Syrie, a-t-il déclaré, « est le devoir de collaborer contre le terrorisme », même si plus tard il ajoutait que « cela n’exclut pas la possibilité de réfléchir à une future forme de gouvernement à Damas ».
Par le passé, les responsables du gouvernement Obama et leurs conseillers des think tanks avaient expliqué que si Rouhani –et peut être même le chef suprême Ali Khamenei- soutenaient le régime Syrien contre l’EI, c’était avant tout pour apaiser le puissant corps des Gardiens de la Révolution Islamique dont ils soutiennent les opérations en Syrie et au Liban.
Mais cette interprétation politiquement correcte oublie une chose fondamentale, la stratégie de sécurité intérieure en Iran n’a toujours eu que deux objectifs principaux depuis que Khamenei est devenu le dirigeant du pays : intégrer l’économie iranienne dans le système financier et technologique international, et affaiblir la menace israélienne et américaine. Rouhani avait l’entière responsabilité de mener à bien ces objectifs.
Lorsqu’Akbar Hashemi Rafsanjani a succédé à Khamenei en tant que président en 1989, il a choisi Rouhani comme secrétaire du Conseil Suprême de Sécurité National (CSSN) tout juste créé. Rafsanjani était le dirigeant d’un mouvement politique qui avait favorisé une politique économique plus libérale en Iran. Il était déterminé à trouver un moyen d’en finir avec les hostilités entre l’Iran et les Etats Unis.
Il est de notoriété publique que Khamenei et Rafsanjani ont été des rivaux politiques pendant de longues années, avec chacun une vision différente de l’économie et de la société iranienne. Ce que l’on sait moins, c’est que c’est Rafsanjani lui-même qui a nommé Khamenei à la succession de l’Ayatollah Ruhollah Khomeini après sa mort en 1989. Après l’élection qui a amené Rafsanjani à la tête du gouvernement en 1989, les deux hommes politiques se sont accordés sur le fait que l’Iran devait tester la volonté de Washington d’entamer des discussions avec l’Iran.
Rouhani est resté secrétaire du CSSN jusqu’à 2005 – l’équivalent d’un conseiller en sécurité intérieure pendant ce seraient succédés trois gouvernements US de différents bords politique. La continuité remarquable de sa politique étrangère iranienne durant cette période de 16 ans était le reflet de la confiance que Khamanei avait placé en lui. La principale réussite de Rouhani était la manière astucieuse dont il avait géré la politique nucléaire iranienne lorsque l’administration Bush menaçait de traduire l’Iran au Conseil de Sécurité des Nations Unis entre 2003 et 2005.
Mais encore plus important que la confiance de Khamenei en Rouhani : le fait qu’il a mené une stratégie de dissuasion efficace lors de sa présidence. En matière de défense, l’unique approche iranienne résulte de sa relative faiblesse militaire et de la sérieuse menace d’attaque US ou israélienne qui pèse sur l’Iran depuis le début des années 90.
La diabolisation de l’Iran faite par le gouvernement Clinton, plaçant le pays comme un « Etat malveillant », en plus de l’accuser d’avoir des ambitions terroristes, ont laissé penser Téhéran qu’une attaque aérienne pouvait potentiellement survenir. Dans le même temps, les deux gouvernements israéliens, les Travaillistes et le Likud, ont menacé explicitement d’attaquer les programmes nucléaires Iraniens entre 1995 et 1997.
Etant donné que l’Iran manque d’une puissance aérienne, Rouhani et le CSSN ont adopté une stratégie de prévention peu habituelle. Dans le milieu des années 1990, l’Iran a commencé à développer des missiles à portée moyenne, qui pourraient frapper l’Irak. Ils pourraient même atteindre une cible Israélienne ou une base américaine de la région. Mais cela prendrait à l’armée des Gardiens de la Révolution islamique plusieurs années supplémentaires et c’était sujet à beaucoup d’incertitudes.
Pendant ce temps-là, les liens tissés entre l’Iran et le Hezbollah ont contribué à amener une capacité d’attaque plus immédiate. En 2000, l’Iran a fourni au Hezbollah des milliers de roquettes pour riposter contre le nord d’Israël en cas d’attaque israélienne ou américaine contre l’Iran.
Lorsqu’Israël a commencé à faire la guerre dans le sud du Liban en 2006, c’était pour détruire les éléments clefs du pouvoir de dissuasion iranien. Le général Moshen Rezai, chef des Gardiens de la Révolution Iranienne, commentait alors : « Israël et les Etats Unis savaient que tant que le Hezbollah et le Hamas étaient présents, attaquer l’Iran serait dangereux ».
La guerre menée par Israël pour désarmer le Hezbollah fut un échec majeur. L’Iran a ensuite approvisionné le groupe avec bien plus de missiles, plus précis et de portée plus large, en complément des quelques centaines de missiles iraniens capables d’atteindre des cibles Israéliennes.
Toutefois, le rôle du Hezbollah dans le processus de dissuasion Iranien dépendait de la capacité à se faire approvisionner en passant par le territoire syrien. Israël a tenté sans succès pendant des années d’exploiter cette faille potentielle en essayant de faire en sorte que les Etats-Unis renversent militairement le régime d’Assad. Aujourd’hui cependant, l’Etat Islamique et Al-Qaeda menacent d’accomplir ce qu’Israël a échoué.
C’est pourquoi l’engagement de l’Iran à défendre le régime Assad n’est pas simplement dû au pouvoir des Gardiens de la Révolution. Il s’agit d’une nécessité sur laquelle Rouhani et Khamenei sont en accord total. Le double message de Rouhani sur l’engagement politique de Washington et son insistance quant à la coopération contre « Daesh » reflètent finalement l’essentiel des intérêts de la sécurité nationale d’Iran.
Source originale : Middle East Eye
Traduit depuis l’anglais par T.F pour Investig’Action
Source : Investig’Action