Aller à…
RSS Feed

20 avril 2024

Mezri Haddad : Interview exclusive « La Talibanisation de la Tunisie est en marche »


ITRI : INSTITUT TUNISIEN DES RELATONS INTERNATIONALES

Mezri Haddad : Interview exclusive « La Talibanisation de la Tunisie est en marche »

Paris – Voici la suite de l’interview exclusive pour Tunis Tribune de M.Mezri Haddad, ancien ambassadeur de Tunisie à l’Unesco qui avait démissionné le lendemain de son interview sur BFM TV. Il s’inquiète aujourd’hui de l’évolution que vit le pays au profit des islamistes d’Ennahda et des courants extrémistes salafistes.

Tunis Tribune : Beaucoup de Tunisiens vous ont découvert en janvier 2011, à travers vos déclarations sur les chaînes de télévisions françaises. D’où cette opinion négative que l’on se fait de vous. La première question que je souhaite donc vous poser est la suivante : qui est Mezri Haddad ?

Mezri Haddad : Ce n’est pas moi qu’ils ont découvert en janvier 2011, mais la politique en général.  Ils n’y sont pour rien, ils ne pouvaient pas me connaître. Je n’étais ni facebookeur, ni blogueur, ni rappeur, ni footballeur. Je ne partageais pas avec eux les mêmes centres d’intérêt. Qui suis-je ? D’abord un philosophe, qui considérait la politique comme un domaine de réflexion. Je suis un libre penseur qui n’a jamais adhéré à un parti politique. Toute ma vie, j’ai été guidé par deux impératifs majeurs : le patriotisme et la réflexion. J’ai quitté la Tunisie lors des événements sanglants de janvier 1984. J’étais alors un jeune journaliste. Je vivais en France lorsque Ben Ali a remplace Bourguiba en 1987. Dès fin 1988, sentant que le culte de la personnalité était de retour, j’ai été critique à l’égard du nouveau régime. Lorsque la persécution des islamistes a commencé en 1990, je me suis radicalisé et, à l’inverse des gauchistes et des « progressistes » qui soutenaient le régime, j’ai publiquement pris position pour le respect des droits de l’homme en Tunisie. C’est ainsi que je suis devenu l’un des tout premier opposant, ensuite réfugié politique. Mon exil a duré près de onze années. A cette époque, j’ai été l’un des rares intellectuels tunisiens, sinon le seul à dénoncer dans les plus grands quotidiens français la dérive autoritaire du régime. En Avril 2000, j’ai décidé de rompre cet exil pour des raisons multiples, notamment l’alliance entre l’opposition dite laïque ou de gauche et les islamistes. Par anti-islamisme, j’ai référé me rallier à l’Etat tunisien, contribuer à sa réforme de l’intérieur, plutôt que de me fourvoyer dans un marché de dupe entre les théocrates et les démocrates. J’ai rompu l’exil, mais je suis resté en France où j’ai continué à plaider pour une réconciliation nationale, pour une amnistie générale, pour la liberté d’expression et la relève démocratique. Fin 2009, à l’indignation des rcédistes, des islamistes et des gauchistes, j’ai été nommé ambassadeur de la Tunisie auprès de l’UNESCO. J’y suis resté jusqu’à ma démission le soir du 13 janvier 2011.

 

Beji Caïd Essebsi a joué un rôle important dans l’arrivée au pouvoir des islamistes, ces derniers lui ayant fait miroiter la présidence après la mascarade électorale du 23 octobre. Le moins qu’il pouvait faire c’est l’application stricte de la loi sur le financement des partis. Il a fermé les yeux laissant les pétrodollars Qataris couler à flot dans les caisses d’Ennahda.

Durant la révolution, on vous reproche d’avoir défendu Ben Ali et, surtout d’avoir qualifié les manifestants de « hordes fanatisées ». Le regrettez-vous ?

Pourquoi le regretterais-je ? Je ne l’ai pas fait au moment de mon lynchage médiatique, à plus forte raison aujourd’hui que l’histoire m’a donné raison. Vous ne pouvez pas vous imaginez le nombre de lettres et de messages de soutien que je reçois depuis que j’ai une page facebook. Des anonymes, des jeunes et des moins jeunes qui m’écrivent pour s’excuser. D’abord, ce que vous appelez encore aujourd’hui une révolution n’était pour moi que des émeutes à revendications sociales qui ont été suivies d’un coup d’Etat militaire ordonné par les Etats-Unis d’Amérique. Des médias peu scrupuleux et une chaîne de télévision carrément réactionnaire et intégriste, Al-Jazeera, ont fait croire à un peuple en transe qu’il était entrain de faire la plus grande révolution que l’humanité n’a jamais connue. J’ai résisté à cette hystérie collective et j’ai vu ce que très peu de gens pouvaient voir à l’époque : une nation en danger d’implosion, un Etat menacé d’écroulement, une canaille intégriste qui tiraient discrètement les ficelles. Les Tunisiens patriotes et intelligents ont d’ailleurs parfaitement compris  que par cette expression, je désignais les fanatiques qui ont pris les précautions de ne pas s’afficher avec leurs barbes et leurs voiles, ainsi que les voyous, les casseurs et les incendiaires qui s’en prenaient aux lieux publics et privés. J’étais persuadé que la Tunisie était victime d’un complot, et que la colère légitime d’un peuple a été exploitée à des fins machiavéliques en vue de servir un dessein géopolitique néocolonialiste, qui dépasse de loin les enjeux tuniso-tunisiens. Je ne pensais pas que l’histoire allait rapidement me donner raison. La horde a manifesté. La horde a voté. La horde est au pouvoir.

Al-Jazeera, ont fait croire à un peuple en transe qu’il était entrain de faire la plus grande révolution que l’humanité n’a jamais connue !

En exclusivité l'interview de Mezri Haddad

En exclusivité l’interview de Mezri Haddad

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur l’actualité tunisienne, plus d’un an et demie après la chute de Ben Ali ?

Un regard affligeant sur une réalité tragique. Notre économie est sinistrée. Notre société est gravement malade et divisée. Notre élite intellectuelle déclassée et remplacée par des ignorants qui se font passer pour des journalistes ou des analystes politiques. Notre histoire travestie. Notre religion subvertie par une idéologie théocratique et totalitaire. Notre image dans le monde ternie. La Talibanisation de la Tunisie est en marche et plus rien ne l’arrêtera. Nous sommes tombés très bas et nous ne sommes qu’au début d’un long processus de dégradation morale, politique, sociale et culturelle inexorable.

Comment jugez-vous le rendement des partis gagnants des élections du 23 octobre dernier ?

Cette mascarade électorale du 23 octobre est pour moi un second coup-d’Etat, c’est une imposture dans laquelle le gouvernement et ses multiples instances pseudo-révolutionnaires assument une responsabilité écrasante. Il y a un seul parti gagnant dans cette affaire : Ennahda. Les deux autres partis, Ettakatol et le CPR lui servent de vitrine. Contrairement à la majorité des observateurs tunisiens ou étrangers, la victoire des islamistes ne m’a pas du tout surpris. Je l’avais d’ailleurs annoncé dans mon livre La face cachée de la révolution tunisienne, un mois avant cette mascarade électorale supervisée par des ONG américaines et dans laquelle le Qatar a joué un rôle déterminant, comme d’ailleurs dans la déstabilisation de la Tunisie en décembre 2010 et janvier 2011. Pour répondre directement à votre question, le rendement de ces partis est chaotique à tout point de vue.

En Tant qu’ancien diplomate, quelle évaluation faites-vous de l’actuelle diplomatie tunisienne ?

Franchement, je ne l’observe plus car cela me donne de la nausée. Il m’arrive parfois d’avoir honte d’être tunisien malgré mon attachement charnel à ce pays. Expulsion de l’ambassadeur de Syrie à Tunis. Ignoble marchandage autour de l’extradition de l’ancien premier ministre libyen. Soumission à un émirat bédouin, née au début des années 1970, lorsque la Tunisie rayonnait par sa diplomatie, par le prestige de son Etat et par le charisme de son leader, Bourguiba, dont certains traitres ou mercenaires salissent sa mémoire aujourd’hui.

Estimez-vous que l’actuel ministre des Affaires étrangères est à la hauteur de ses responsabilités ?

Bien évidemment que non. Pas plus d’ailleurs que l’ensemble des autres ministres, dont une partie a été nommée par le Qatar, d’autres par les Etats-Unis ou la Grande Bretagne. C’est un gouvernement d’indigents et d’incompétents qui a bradé la souveraineté tunisienne à vil prix. Ce Rafik Bouchlaka, ancien fonctionnaire de cheikh Hamad au sein d’Al-Jazeera et gendre du guide suprême de la future république islamique, n’a ni culture, ni connaissance des subtilités diplomatiques, ni même le moindre sens patriotique. C’est un islamiste pasteurisé, sorti des laboratoires du wahabisme qatari.

Rafiq Abdessalem Bouchelaka serrant la main du président tout en étant assis

Rafiq Abdessalem Bouchelaka serrant la main du président tout en étant assis *

Cette photo fait polémique de ce ministre serrant la main du président tout en étant assis. En tant qu’ancien diplomate, quel est votre commentaire ?

Lire suite de l’interview

Cette interview a été accordée au Journal électronique Tunis Tribune qui a subie une attaque malveillante la nuit du 07 Juin 2012, des ennemis de la liberté d’expression et de la démocratie en Tunisie

Suivez-nous sur Facebook et Twitter

Partager

Plus d’histoires deLibye