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14 décembre 2024

Syrie : qui se cache derrière les rebelles ?


Syrie : qui se cache derrière les rebelles ?

Jeune combattant du Front al-Nosra, qui appartient à la catégorie des rebelles syriens - Alep

FIGAROVOX/ENTRETIEN – Alain Rodier analyse les multiples formes d’opposition en Syrie, et le soutien qu’une partie des rebelles a reçu des Etats-Unis et de l’Europe.


Spécialiste du terrorisme et de la criminalité organisée, ancien officier au sein des services de renseignement français, Alain Rodier est directeur de recherche au Centre Français de Recherche sur le Renseignement (CF2R).


LE FIGARO. – Le ministre de la Défense a répété sur Europe 1 ce 9 octobre que la Russie s’en prenait à «80-90%» à l’opposition syrienne et à consolider «la sécurité de Bachar al-Assad». Quels sont ceux qui composent cette opposition syrienne?

Alain RODIER. – Je déduis de ce que disent et répètent les autorités françaises que l’opposition intérieure est tout ce qui s’oppose au régime de Bachar el-Assad en dehors de Daech. De multiples coalitions remplissent ces conditions mais les plus puissantes sont composées de mouvements affiliés à Al-Qaida «canal historique» comme le Front al-Nosra ou qui dépendent plus ou moins secrètement de la nébuleuse comme le Ahrar al-Cham. Une de ces coalitions, l’«Armée de la conquête» menaçait directement Lattaquié et la côte méditerranéenne de la Syrie après s’être emparée de la province d’Idlib située au nord-ouest du pays (et frontalière à la Turquie, ce qui est pratique pour les ravitaillements en hommes et en matériels). Le régime syrien était menacé dans son existence même par cet état de faits. Le général Qassem Suleimani, le chef de la force Al-Qods des pasdarans qui dirige l’ «aide» iranienne à Damas s’est rendu à Moscou en juillet pour expliquer la situation qui a été confirmé par les services de renseignement russes, le SVR et le GRU.

Il est donc parfaitement vrai que Moscou dont le but est de préserver le pouvoir en place à Damas, a frappé beaucoup cette zone mais aussi Hama et Homs, deux villes situées plus au sud mais aussi particulièrement menacées. L’objectif de la Russie est donner de l’air aux forces syriennes pour qu’elles puissent reprendre du terrain avec l’appui au sol des pasdarans (la division «Sabrin» de la force Al-Qods des pasdaran aurait été déployée dans les régions de Hama et de Homs) et du Hezbollah libanais.

Il est donc tout à fait exact de dire que les Russes frappent à 80% des mouvements autres que Daech. Il faut uniquement rajouter que la plupart dépendent d’Al-Qaida, vous savez, cette organisation à la base des attentats du 11 septembre 2001, de 2014 à Madrid et de 2015 à Londres… Quand à l’ASL dans ces régions, elle est éparpillée suite à sa déconfiture causée par le Front Al-Nosra (certains de ses membres se trouvent encore dans la région d’Idlib et à Alep mais ils sont surtout présents dans le sud du pays où il ont conclu des alliances ponctuelles avec les salafistes-djihadistes). Moscou a demandé à Washington de lui désigner les rebelles «modérés». La réponse est en attente.

L’armée américaine a décidé, vendredi 9 octobre, de livrer désormais «des équipements et des armes» aux rebelles syriens. Contre qui ces derniers luttent-ils? Le régime de Bachar el-Assad, l’Etat islamique, le Front al-Nosra?

La première livraison de 50 tonnes de munitions serait destinée à une nouvelle coalition appelée les «Forces démocratiques syriennes» (FDS) qui regroupe les Unités de protection du peuple kurde (YPG/YPJ), le bras armé du parti de l’Union démocratique (PYD) proche du PKK, et des forces arabes et syriaques. Cette coalition n’est pas une nouveauté car ces mouvements se coordonnaient au sein d’un état-major commun (joint opération room) pour combattre Daech à Kobané puis à Tall Abyad, le poste frontière avec la Turquie qui contrôle une importante route rejoignant Raqqa, la «capitale» de État islamique. Je dois rappeler que ces forces ne se sont jamais opposées à celles de Bachar el-Assad, ce dernier ayant évacué les zones kurdes (le Rojava) en 2011 (pour être précis, il y a une unité kurde qui sert au sein du Front Islamique -FI-, une coalition sponsorisée officiellement par Riyad). Par contre, Ankara apprécie modérément cet appui américain, qui n’est pas le premier, aux Kurdes syriens proches du PKK… Pour moi, il est difficile de croire que cette coalition va s’engager plus au sud, hors du pays à majorité kurde. Par contre, elle peut jouer un rôle dans la région d’Alep dont certains quartiers sont à majorité kurde.

Comment expliquer la dislocation de l’Armée syrienne libre alors que celle-ci était soutenue et financée par les Etats-Unis et plusieurs pays européens dont la France? La France a-t-elle fait un pari risqué en misant sur la chute proche du régime d’Assad et en favorisant l’opposition syrienne à qui elle a livré des armes létales depuis 2012?

Tout les gouvernants, au premier rang desquels se trouvaient les Turcs, ont cru que le régime de Bachar el-Assad allait tomber en quelques mois à l’image de ce qui s’était passé en Egypte et en Tunisie. Ce fut une erreur d’analyse fondamentale puisque tel n’a pas été le cas. Ce ne sont pas tant les services de renseignement qui n’ont pas fait leur travail mais le fait de «conseillers» qui n’ont pas voulu les croire.

L’ASL était un peu comparable à l’armée irakienne – en pire. Corruption, inorganisation, manque d’expérience et surtout de motivation pour se battre. Elle n’a pas perdu contre l’armée régulière mais contre les islamistes radicaux qui eux sont tout l’inverse.

En résumé, nous sommes en face d’un problèmes à multiples inconnues où les intérêts des partenaires sont divergents. Par contre, la menace reste claire: les mouvements salafistes-djihadistes que sont Al-Qaida «canal historique» et le Front al-Nosra. Pourvu qu’ils ne se réconcilient pas

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