Or donc les Russes bombardent les terroristes islamistes syriens depuis le début du mois. Tollé immédiat dans les médias atlantistes aux ordres. De quoi se mêlent donc ces Russes qui viennent bousculer nos ennemis sans nous demander la permission! Durant les premiers jours, on a donc vu fleurir les reportages sur les prétendues victimes civiles, les supposées pannes de guidage (des missiles seraient tombés sur l’Iran) et autres bavures russes.

Manque de chance: au même moment où les avions américains de l’OTAN tiraient sur un hôpital de Médecins sans frontières en Afghanistan et y tuaient une vingtaine de patients. Puis on a essayé les éditoriaux alarmistes sur les risques d’une nouvelle guerre mondiale à cause de deux brèves incursions d’avions russes sur le territoire turc et d’un frôlement avec des F-15 de la coalition américaine, immédiatement relayés par le gouvernement ukrainien et les Pays baltes, alarmés à l’idée qu’on ne parle plus de la menace russe contre eux pendant quelques jours.

Et enfin, constatant que la partie était perdue et que chaque pseudo-révélation revenait à faire la promotion de l’efficacité de l’intervention russe sur le terrain, les médias dépités ont décidé de regarder ailleurs: il était devenu urgent de parler de la «troisième intifada» et d’oublier la Syrie. Un silence assourdissant accompagne donc l’intervention russe depuis dix jours. Les gouvernements et les médias occidentaux en sont réduits à prier pour qu’un accident spectaculaire, de type MH17, ou un revers de fortune cuisant, fassent remonter leur cote auprès d’une opinion publique de plus en plus désorientée et de plus en plus suspicieuse sur la légitimité de leur politique au Moyen-Orient.

Je veux bien que les Russes ne soient pas des enfants de chœur et que leur opération militaire ne relève pas de la charité désintéressée. Mais comment justifier l’indécent retournement auquel nous ont invité les médias anglo-saxons, aussitôt suivis par les médias européens inféodés à l’OTAN? N’ont-ils pas essayé de nous convaincre que l’intervention russe était malfaisante parce qu’elle s’en prenait aux «bons» terroristes de l’inexistante Armée syrienne libre et du front Al-Nosra, filiale revendiquée d’Al-Qaida en Syrie, alors qu’elle aurait dû bombarder exclusivement les «méchants» terroristes de l’Etat islamique, qui se financent en trafiquant du pétrole avec l’allié turc et qui n’ont cessé de s’étendre depuis qu’ils sont bombardés par la coalition américaine?

Comment faire accepter par l’opinion publique que les représentants d’Al-Qaida et les héritiers de Ben Laden, pourtant vomis par les Etats-Unis depuis le 11 septembre 2001, sont désormais des alliés à ménager parce qu’ils combattraient le tyran Bachar el-Assad? Et qu’il faudrait se contenter de bombarder l’Etat islamique, mais pas trop parce que ça nuirait au commerce local de pétrole et aux intérêts des Anglo-Saxons qui perdraient ainsi leurs moyens de pression sur les gouvernements irakien et syrien et les bases de leur influence dans la région?

Et comment ne pas rire de ce gouvernement français qui fait afficher les photos d’un transfuge syrien pour dénoncer les atrocités du régime et porte plainte contre lui pour crime contre l’humanité alors qu’une semaine plus tard il se précipite chez les coupeurs de tête saoudiens dans l’espoir de leur vendre quelques Rafale?Il y a des moments où la politique occidentale, avec tous ses beaux discours moralisants sur la démocratie, les droits de l’Homme et la liberté, atteint de tels sommets de manipulation, d’indécence et de cynisme qu’on ne peut que s’indigner. Et que du coup, elle nous fait quasiment passer la politique de Poutine et de Xi Ji Ping pour des modèles de cohérence, de franchise et d’honnêteté!

Guy Mettan | 27 octobre 2015
Directeur exécutif du Club suisse de la presse