Par Gilles Munier (en collaboration avec Hamed Ghashghavi à Téhéran)
La bousculade meurtrière de La Mecque, le 24 septembre dernier, lors du rituel de la lapidation du Diable à Mina, était-elle accidentelle, ou a-t-elle été provoquée pour enlever, interroger, et tuer d’éminents diplomates iraniens et des officiers supérieurs des Gardiens de la révolution accomplissant le pèlerinage ?
Un kidnapping organisé par le Mossad ?
Le nombre d’Iraniens morts ou « disparus » ce jour-là est de 464, avec parmi ces derniers Ghazanfar Roknabadi, ancien ambassadeur au Liban. Il m’avait reçu en septembre 2014 au ministère des Affaires étrangères iranien, en compagnie de participants à la conférence «New Horizon».
Ghazanfar Roknabadi, 49 ans, en poste au Liban entre 2010 et 2014, était considéré par le GIP – General Intelligence Presidency, le service secret saoudien – et le Mossad comme un des cerveaux de la politique iranienne au Liban et en Syrie, donc un ennemi à éliminer. En novembre 2013, un double attentat suicide contre l’ambassade d’Iran à Beyrouth, revendiqué par les Brigades Abudullah Azam, liées à Al-Qaïda, l’avait raté de peu, mais fait une vingtaine de morts et plus de 160 blessés. Majed al-Majed, le principal suspect arrêté, aurait avoué être un agent du GIP avant de mourir quelques jours plus tard dans un hôpital militaire.
Interpellé par les autorités iraniennes sur ce qu’est devenu l’ancien ambassadeur, le régime saoudien a d’abord nié sa présence en Arabie, puis déclaré que son nom n’était pas sur la liste des pèlerins, qu’il était sans doute entré sous un faux nom.
Non seulement Ghazanfar Roknabadi était à La Mecque – des photos le prouvent -, mais le ministère iranien des Affaires étrangères a publié la photocopie de son passeport avec son visa d’entrée… Présent lors de la bousculade, un des membres de sa délégation a vu des individus le transporter, vivant, dans une ambulance partie ensuite vers une destination inconnue.
Il va de soi qu’un tel kidnapping n’a pu être improvisé à la va-vite en profitant du chaos. De là à penser qu’il a été enlevé par le GIP, et livré au Mossad, il n’y a qu’un pas facile à franchir… d’autant qu’on sait que la sécurité du pèlerinage est assurée par Al-Majal G4S, filiale d’une société brito-israélienne.
7 000 musulmans morts à Mina ?
Pour couper court aux rumeurs sur l’origine de la bousculade et sur la « disparition » de plusieurs officiels iraniens, il suffisait qu’une commission d’enquête indépendante visionne les enregistrements des caméras de surveillance situées le long du parcours, mais le roi Salman les a fait mettre sous scellés. Que veut-il cacher ?
Selon le quotidien libanais pro-syrien al-Diyar, le drame aurait été provoqué par la fermeture brusque d’une des voies par laquelle s’écoulait la foule, pour laisser passer le convoi automobile du prince Mohammad Ben Salman – escorté par des véhicules militaires et de police – se rendant à grande vitesse à Mina.
Le ministre saoudien de la Santé a d’abord accusé des « pèlerins africains indisciplinés » d’être responsables du chaos et publié un communiqué faisant état de la mort de 4 173 pèlerins à Mina. Le communiqué a vite été retiré du site du ministère qui ne reconnait depuis un mois et demi que… 769 tués.
Le chiffre de 2 000 victimes avancé alors par l’Iran semblait exagéré, il est aujourd’hui dépassé. L’ayatollah Ali Khamenei, guide suprême de la Révolution iranienne, parle maintenant d’un bilan dépassant 7 000 musulmans morts à Mina, car on ne connaît ni le nombre les pèlerins inhumés dans des fosses communes, ni celui des blessés graves séjournant dans les hôpitaux du royaume. Trois mille corps d’inconnus, entassés dans des camions frigorifiques, ne sont pas encore identifiés.
Après cette énième tragédie à La Mecque, aux musulmans de dire si la famille Saoud est toujours digne de la garde des lieux saints de La Mecque et de Médine, une charge attribuée à Ibn Saoud par les Britanniques. Nombreux sont ceux qui pensent – à commencer parmi les sunnites – que profiter du hajj pour éliminer des ennemis relève du sacrilège.
Interviewé le 11 novembre dernier par la chaîne de télévision arabe Al-Mayadeen – grande concurrente d’Al-Jazeera -, Hossein Amir Abdollahian, vice-ministre iranien des Affaires étrangères, a affirmé que, selon ses informations, Ghazanfar Roknabadi est toujours vivant. Il a demandé à la Saoudie de « renvoyer » l’ancien ambassadeur en Iran… « vivant ».
Photo : Ghazanfar Roknabadi
Entretien avec Ghazanfar Roknabadi au ministère iranien des Affaires étrangères (Téhéran, septembre 2014)