Entretien avec le professeur Christophe Oberlin, par Cherif Abdedaïm (revue de presse : La Nouvelle République – Algérie – 26/11/15)*
La Nouvelle République: Vous avez effectué depuis 2001 près d’une quarantaine de séjours à Ghaza, pouvez-vous nous décrire brièvement la situation humanitaire de ses habitants ?
La situation est globalement très défavorable, essentiellement depuis le coup d’Etat en Egypte qui a coupé les ressources de l’administration pour payer les fonctionnaires (par l’intermédiaire des taxes sur les importations d’Egypte) et détruit l’emploi privé. Néanmoins aujourd’hui 40% des salaires des fonctionnaires sont versés régulièrement. Et une très légère autorisation d’Israël de faire entrer des matériaux de construction a permis de créer 70 000 emplois. Le taux de chômage a ainsi très légèrement diminué passant de 43 à 40%. Les problèmes de santé demeurent énormes, notamment avec la détérioration continue de la qualité de l’eau et la pénurie en certains médicaments et comme les produits anti-cancéreux.
La Nouvelle République: Israël utilise des armes prohibées par le droit international humanitaire ; plusieurs rapports évoquent leurs graves séquelles notamment chez les enfants, les nouveau-nés, etc. Lors de vos nombreuses missions humanitaires avez-vous été témoins de ce genre de cas ?
Il est très difficile devant une malformation congénitale de faire le lien avec telle ou telle cause. Par contre une étude très solide a été faite par le Dr Khamis Elessy, qui a montré une augmentation significative des malformations neuf mois après la guerre de l’hiver 2008-2009. Cette augmentation est allée jusqu’à 20% dans certains quartiers de Gaza.
« Le nouvel Etat palestinien n’a déposé AUCUNE plainte à la CPI »
La Nouvelle République: Les crimes israéliens s’enchaînent, la « communauté internationale » fait la sourde oreille, comment expliquer ce « laxisme » de la CPI ?
Je ne suis pas tout à fait d’accord. Il y a plusieurs dossiers qui avancent au niveau de la CPI, et c’est la première fois qu’un Etat occidental est menacé par la CPI. Le dossier le plus avancé est celui de l’affaire du Mavi Marmara, affaire pour laquelle viennent d’ailleurs d’être délivrés des mandats d’arrêt… par la justice espagnole ! L’Espagne a en effet la « compétence universelle », c’est-à-dire que des crimes de guerre peuvent être poursuivis en droit espagnol. A la CPI il va ya avoir un jugement dans les mois qui viennent concernant la même affaire. Bien entendu l’affaire du Mavi Marmara est une « petite » affaire par rapport aux crimes commis à Ghaza, mais à la décharge de la procureure de la CPI il faut savoir qu’à l’heure qu’il est le nouvel Etat palestinien n’a déposé AUCUNE plainte à la CPI !
La Nouvelle République: Dans votre ouvrage « Le chemin de la cour, les dirigeants israéliens devant la Cour Pénale Internationale », vous parlez de la responsabilité du gouvernement français dans la destruction et le massacre provoqués par l’opération militaire israélienne de juillet/août 2014 à Ghaza. Pouvez-vous nous en dire davantage afin d’éclairer nos lecteurs ?
La responsabilité française s’exerce à tous les niveaux, vis à vis d’un Etat qui commet quotidiennement des crimes de guerre : soutien militaire, diplomatique, économique. En ce qui concerne la guerre de l’été 2014 le président français, alors que les frappes aériennes sur Ghaza avaient débuté, a déclaré qu’Israël devait utiliser « tous les moyens pour assurer sa sécurité » ce qui a constitué un véritable feu vert diplomatique pour lancer l’offensive terrestre. Une autre question est celle de la double nationalité franco israélienne avec des citoyens français qui combattent dans une armée étrangère et sont susceptibles de commettre des crimes de guerre.
« Les terribles attentats de Paris équivalent pratiquement
à la mortalité quotidienne que les guerres occidentales
provoquent au Proche-Orient »
La Nouvelle République: George Orwell disait : « Dire la vérité est un acte révolutionnaire». Aujourd’hui, dire la vérité sur les exactions israéliennes suscite les foudres du lobby pro-israélien en France. Une expérience que vous avez vécu vous-même rien qu’en posant une simple question de droit humanitaire à vos étudiants. Comment expliquez-vous le fait que l’Ordre des médecins qui, au lieu d’être le gardien de la moralité professionnelle, verse dans l’action partisane et carrément pro-sioniste ?
Ceci pose effectivement une énorme question qui est celle de l’instrumentalisation par les sionistes de structures ou de responsables qui ne devraient pas être concernés. A cet égard la chambre disciplinaire du Conseil de l’Ordre s’est ridiculisée. Mais j’ai fait appel, et cette affaire est loin d’être terminée. D’ailleurs le Défenseur des droits avait débouté le Conseil de l’ordre qui n’en a pas tenu compte.
La Nouvelle République : Depuis les derniers attentats de Paris, le monde a fait preuve d’une solidarité sans précédent à l’égard de la France. Chose tout à fait naturelle dans la mesure où ce sont des civils qui ont été assassinées froidement. Dans le même temps les civils Palestiniens sont tués quotidiennement par l’armée israélienne. Comment expliquer cette politique des deux poids deux mesures adoptée par la « communauté internationale »?
Il est vrai que les terribles attentats de Paris équivalent pratiquement à la mortalité quotidienne que les guerres occidentales provoquent au Proche-Orient. Ceci correspond à un état mental dans les pays occidentaux qui reste celui du début du vingtième siècle, nos dirigeants conservent une mentalité de type colonial : ils considèrent que c’est à eux de choisir les dirigeants des pays qu’ils estiment « inférieurs ». Ils sont restés à l’époque de Jules Ferry. L’armée française n’a rien à faire en Syrie, elle n’a pas d’accord de coopération militaire avec ce pays, et l’assassinat de citoyens français en Syrie est un crime de guerre. Malheureusement le gouvernement français semble persister et on peut alors craindre d’autres attentats sur le sol français.
Christophe Oberlin est professeur de médecine à l’Université Paris VII, chirurgien à l’hôpital Bichat. Il est un des meilleures spécialistes humanitaires de la question palestinienne.
Photo : Christophe Oberlin
Source : La Nouvelle République