Daech, aux sources de la terreur : Avec « Daech. L’histoire », Régis Le Sommier raconte comment, depuis quarante ans, l’Occident a créé les conditions d’émergence du mouvement islamiste.

Le drapeau noir de Daech

Le drapeau noir de Daech © Balkis Press / ABACA
Le 09 mars 2016
Interview Benjamin Locoge

chaosAvec « Daech. L’histoire », Régis Le Sommier raconte comment, depuis quarante ans, l’Occident a créé les conditions d’émergence du mouvement islamiste.

Paris Match. Comment en est-on arrivé là ?
Régis Le Sommier. Ce qui a tout déclenché, c’est l’invasion de l’Afghanistan par les Russes le 24 décembre 1979. A partir de là, le peuple afghan va réagir face à des communistes athées. Cela va surtout créer une cause à rallier dans le monde arabo-musulman. Et les Américains vont donner des armes aux Afghans, ce qui deviendra ensuite un ­véritable problème…

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Une figure émerge à cette période, celle d’Oussama Ben Laden.
Ben Laden est l’homme sans qui rien ne serait arrivé. Il va mettre son immense fortune personnelle au service du ­djihad. La base d’Al-Qaïda, c’est son carnet d’adresses. Ce qui va le plus choquer Ben Laden, c’est la position de ­l’Arabie saoudite pendant la première guerre du Golfe. Comment une terre sainte peut-elle accueillir des mécréants sur son sol ? C’est là qu’il décrète qu’il faut mener une guerre contre l’Occident. Très vite, les ­premiers attentats surviennent, contre les ambassades américaines de Dar es Salam et de Nairobi, puis l’attaque contre l’“USS Cole”. On ne prend pas alors la pleine mesure de la nuisance. Le 11 septembre sera l’élément déclencheur. Mais Bush, en envahissant l’Irak en 2003, tombera dans le piège dressé par Ben Laden.

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Quel rôle joue Zarkaoui dans la formation de Daech ?
Comme Ben Laden, son but est d’attirer l’Amérique dans un piège. Mais la manière sera différente. Il possède des ­fidèles venus de Syrie, d’Irak ou de Libye et comprend rapidement la nécessité de s’implanter sur des territoires. C’est lui qui, dès 2003, crée le futur Al-Qaïda en Irak, appelé d’abord Ansar al-Islam. ­Zarkaoui est un vrai chef de guerre qui défend le “takfirisme”, cet islam qui permet ­d’excommunier et autorise le meurtre d’autres musulmans, notamment les chiites. C’est un pragmatique, à l’origine de l’Etat islamique.

« 10 % des volontaires étrangers étaient responsables de 90 % des violences en Irak »

Vous dites que l’Occident et particulièrement les Américains sont responsables de la création de l’armée de l’Etat islamique.
L’Etat islamique est une organisation redoutable. Quand les Américains ont quitté l’Irak en 2010, ils ont voulu y laisser la démocratie. Mais, par les élections, ils ont donné le pouvoir aux chiites, majoritaires dans le pays. Conséquence, les sunnites ont été relégués comme citoyens de seconde zone. Ces anciens fidèles de Saddam Hussein ont donc constitué des groupes armés clandestins.

Régis Le Sommier nous explique les dangers de Daech en Libye

Comment une partie de la jeunesse ­occidentale peut-elle être tentée de ­rejoindre l’Etat islamique ?
La stratégie initiale de Zarkaoui était d’attirer des volontaires étrangers. Il a plus que réussi… Comment peut-on demander à un jeune garçon de porter une ceinture d’explosifs ou de prendre le volant d’une voiture piégée ? Pourtant, 10 % des volontaires étrangers étaient responsables de 90 % des violences en Irak. Rappelez-vous, par exemple, qu’en 2004 le frère de Mohamed Merah, Abdelkader, était déjà membre d’une filiale djihadiste destinée à combattre les Américains en Irak.

Quel rôle joue Bachar El-Assad dans l’histoire de Daech ?
Il joue un jeu ambigu. Il s’affirme comme le plus grand rempart contre les radicaux mais laisse transiter les djihadistes par son pays, notamment depuis Alep. Qui plus est, la guerre civile en Syrie a permis à l’Etat islamique de  profiter du chaos local pour mieux imposer sa devise : “S’implanter et croître”. Le monde occidental l’a découvert le 6 juin 2014, quand l’EI s’est emparé de Mossoul, puis de Tikrit, en Irak. Aujourd’hui, l’Etat islamique règne sur un pays grand comme l’Angleterre, avec 10 millions d’habitants.

« Daech. L’histoire », de Régis Le Sommier, éditions de La Martinière,

« Daech. L’histoire », de Régis Le Sommier, éditions de La Martinière, DR

Vous n’êtes pas très optimiste sur l’attitude des gouvernants face à la menace.
Non, effectivement. Certes, on constate une usure militaire de l’Etat islamique. On sent bien qu’ils sont acculés, les attentats à Paris, Ankara, Beyrouth ou Damas et Bagdad tout récemment en sont la preuve. Le recours aux kamikazes est l’arme du pauvre. Mais Daech a réussi à nous faire vivre dans l’effroi, dans un climat que nous n’avions plus connu depuis la guerre d’Algérie.

La réponse politique est-elle adaptée ?
Non. La diplomatie française n’existe plus au Moyen-Orient, de toute façon. Il faut que nos politiques lisent des livres, qu’ils sachent à qui nous avons ­affaire, qui sont nos alliés, pour ne pas se jeter impunément dans les bras de l’Arabie saoudite, du Qatar ou de la Turquie, par exemple. En temps de guerre, la meilleure des ­stratégies possible est de connaître son adversaire.

« Daech. L’histoire », de Régis Le Sommier, éditions de La Martinière, 182 pages, 15 euros.
Régis Le Sommier est directeur adjoint de la rédaction de Paris Match.