Racisme, sexisme et… burkini
25 août 2016
Militante communiste, féministe et antiraciste, l’affaire du burkini – qui dans un premier temps m’avait abasourdie tellement elle suintait la manipulation politique grossière – me laisse aujourd’hui une impression glaçante.
Que quelques dizaines de femmes, à l’échelle d’un pays de 65 millions d’habitants, choisissent d’aller à la plage avec un vêtement qui leur couvre le corps, voilà de quoi créer une polémique nationale ! Dans les années 60-70, la polémique portait sur les femmes seins nus sur les plages. À cinquante ans de distance, quelques maires, Les Républicains comme socialistes, désignent à la vindicte populaire des femmes dont le crime est de vouloir profiter des plages sans s’exposer.
Dans notre société de consommation qui se prétend moderne, pour vendre un déodorant, du dentifrice, des cônes glacés, le principal vecteur publicitaire est… la femme la plus dénudée possible. Le message subliminal est tellement habituel qu’il ne choque plus personne. Tu as quoi que ce soit à vendre ? Basique : il faut filmer une femme à poil, taille mannequin, dans des poses suggestives. Elle peut aussi jouer la bonniche : pour nettoyer les chiottes, faire bouffer les mômes, laver le linge, faire briller la maison du sol au plafond, la putain endosse le costume de la fée du logis. C’est ça, la vision moderne de la femme en France en 2016.
Une société où les femmes gagnent en moyenne 27% de moins que leurs homologues masculins, où les conseils d’administration des grandes entreprises sont tous dirigés par des hommes, où le Sénat et l’Assemblée nationale connaissent un taux de femmes de respectivement 25 et 27%, une telle société a encore ses preuves à faire en matière d’égalité hommes-femmes, avant de se préoccuper du burkini !
On prétend que les arrêtés anti-burkini seraient un moyen de lutter contre l’oppression des femmes… par l’islam. Car comme chacun sait, seul l’islam est une religion sexiste. Le judaïsme et le christianisme sont, c’est bien connu, des religions qui respectent les femmes. Pas besoin de s’étendre sur le sujet.
En dehors même de ces considérations, ce qui est révoltant dans cette affaire, c’est le cynisme de la classe politique française. Car cette affaire est avant tout une question de politique intérieure. Pour Les Républicains, c’est la course à la primaire. Tous les candidats et leurs affidés veulent se positionner sur le registre sociétal. On connaît : la défense des valeurs les plus réactionnaires, car en période de crise, c’est bien connu, rien de mieux que de naviguer à vue dans les eaux de l’extrême droite. Ça va d’une Kosciusko-Morizet avec une proposition de loi pour rendre le salafisme illégal à Sarkozy, qui n’a plus qu’à se baisser pour ramasser la donne distribuée par les socialistes. Et que dire de Manuel Valls et de ces maires socialistes qui, courant après les maires LR, prennent à leur tout des arrêtés anti-burkini, y compris sur des plages où la présence de femmes portant un tel costume relève du fantasme le plus complet ?
On peut leur reprocher leur bêtise crasse. Oui, mais pas seulement. Ce n’est plus uniquement de la bêtise. C’est la désignation d’un bouc émissaire. Ce ne sont pas les femmes en burkini qui sont responsables des attentats. C’est la politique néo-coloniale de la France : pour rappel depuis 2007, la France est intervenue militairement en Libye, en Syrie, au Mali, en Centrafrique, en Afghanistan. Tant que notre pays participera à ce type d’aventures militaires, ne nous étonnons pas des répercussions en France.
En employant la stratégie du bouc émissaire, les élus, les journalistes, les essayistes, les pseudo-experts ne font ni plus ni moins que ce qui se faisait dans les années 30 vis-à-vis des juifs. Le nouvel antisémitisme, ce sont ces attaques fielleuses et constantes contre les musulmans de France. Il se fait, comme dans les années 30, sur une base de classe. Dans les années 30, ce sont les juifs polonais, roumains, tchèques, slovaques, etc. qui étaient vilipendés, sur une double base, religieuse et sociale. Et dans quoi nos politiciens se vautrent-ils aujourd’hui, si ce n’est dans les mêmes travers ? Il n’y a pas de polémique quand un dignitaire saoudien ou des émirats privatise une plage ou un grand magasin pour y dépenser des fortunes. On ne reproche pas, dans les grands hôtels parisiens ou de la côte d’Azur, leurs tenues aux femmes de l’aristocratie qui portent le voile. Quand on a de l’argent, ce type de différence s’estompe complètement.
Ce qu’on reproche aux musulmans de France, ce n’est pas tant l’islam que leur appartenance à des classes sociales populaires, leur marginalité économique et sociale, quand bien même elle est l’héritage d’une situation historique qu’ils n’ont pas créée : la colonisation, la décolonisation, le néo-colonialisme qui continue à siphonner les richesses des anciennes colonies, les politiques d’immigration des années 60-70 pour l’industrie française, des politiques sociales lamentables en matière d’éducation, de logement, de santé…
Quoi de mieux qu’un bouc émissaire quand toutes les politiques de relance depuis les années 70 échouent, quand le chômage ne cesse de grimper, quand les acquis sociaux sont démantelés consciencieusement, quand le code du travail est cassé, tout cela par le biais de l’Union européenne ?
Comment ne pas en vouloir terriblement à ces hommes et ces femmes politiques dont les objectifs à court terme sont leur réélection et qui, pour cela, n’hésitent pas à enfourcher les discours les plus racistes en travestissant la réalité et en reportant l’attention sur une minorité qui n’a pas les moyens de se défendre ? Fracturer la société entre d’un côté les bons, Français, modernes, anti-sexistes, etc. et de l’autre les mauvais, musulmans, rétrogrades, voire terroristes, c’est cela, porter une parole politique ? Non ! C’est jouer avec le feu comme les politiciens des années 30 l’ont fait. Pourquoi en juillet 1942 a-t-on pu arrêter si facilement des centaines d’hommes, de femmes, d’enfants et de vieillards au Vel d’Hiv, avant leur déportation ? Parce que l’opinion publique avait été façonnée avant-guerre.
Je ne peux pas croire qu’en 2016, personne ne soit capable de se rappeler des années 30. Ce qui est fait aujourd’hui est un scandale national, dont les effets risquent de nous dépasser. Notre pays est dirigé par des apprentis sorciers, et nous manquons cruellement d’une perspective de changement de société.
Caroline ANDREANI