jeremy corbin

Ce 18 août, la raison pour laquelle l’establishment trouve Corbyn si dangereux s’est révélée dans toute sa clarté. Répondant à une question sur la défense, lors d’un débat contradictoire à la direction du Labour, il a refusé de justifier les actions de l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN), s’engageant en revanche à créer « un monde où il n’y ait pas besoin de faire la guerre ».

Pour des millions de citoyens de par le monde, c’est une excellente nouvelle. Mais pour ceux dont le seul but est de soutenir les pouvoirs en place et les industries si lucratives dont ils dépendent, les vues de Corbyn sont un vrai désastre.

Voulez-vous faire partie de notre gang ?

Dans le cours de ce débat, une question a été posée à Corbyn et à son collègue Owen Smith [L’autre candidat à la direction du Labour, NdT] à propos de la Russie :

–  Comment réagiriez-vous, en tant que Premier ministre, à une violation, par Vladimir Poutine, de la souveraineté d’un pays membre de l’OTAN ?

Corbyn a répondu :

On devrait d’abord faire en sorte qu’une telle chose n’arrive pas. C’est-à-dire qu’on devrait avoir au préalable établi une bonne base de dialogue avec les Russes, en leur demandant de respecter les frontières et en  respectant les leurs. La première chose que nous essayerions de faire, serait d’en arriver à une démilitarisation entre la Russie et l’Ukraine, et aux autres frontières entre la Russie et l’Europe de l’Est.

« Ce que nous ne pouvons pas permettre, c’est l’accroissement exponentiel de troupes des deux côtés de ces frontières, qui ne peut conduire qu’à des dangers de plus en plus grands. Dans l’état actuel des choses, tout cela ressemble furieusement à une politique de guerre froide. Il nous faut collaborer avec la Russie, nous engager à démilitariser cette région, de façon à éviter que de mortels dangers se concrétisent.

L’OTAN a été créée en 1949, dans le sillage de la Deuxième guerre mondiale. Elle a été créée, d’emblée, contre la Russie. Il s’agissait d’établir une alliance capable de défier « l’ours » rouge, partout où c’était jugé nécessaire. Mais, une fois le mur de Berlin tombé et l’Union Soviétique dissoute, les tensions avec la Russie ont diminué, et l’OTAN, décidée à justifier la permanence de son existence, est passée à d’autres objectifs. »

À présent, les tensions de la guerre froide sont de retour et, comme le dit Corbyn, il y a « un accroissement exponentiel de troupes » le long de la frontière russe. Le 10 février, par exemple, le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg annonçait que :

« Les ministres de la Défense de l’OTAN se sont mis d’accord sur une présence accrue dans la partie orientale de l’Alliance. »

Ceci est le jargon de l’OTAN pour désigner une augmentation massive de sa présence militaire dans six pays qui touchent directement le territoire de la Russie. Le Royaume Uni y participe avec cinq navires de guerre et un nombre considérable de militaires. Cette annonce faisait suite à celle du président US Barack Obama, décidant de quadrupler les dépenses militaires de la superpuissance en Europe à hauteur de 3,4 milliards de dollars.

À peu près à la même époque, le secrétaire US à la Défense, Ashton Carter expliquait que « l’environnement sécuritaire d’aujourd’hui » est « dramatiquement différent » de ce qu’il était au cours des deux décennies passées. Pendant les 25 dernières années, notait Carter, la défense US s’est surtout concentrée sur les « forces insurgées » comme les Taliban et certains groupes extrémistes. Mais maintenant, les États-Unis passent à la vitesse supérieure « en revenant à une compétition entre grandes puissances », avec des « ennemis haut de gamme » tels que la Russie et la Chine.

L’OTAN est à l’avant-garde de cette « compétition entre grandes puissances ».

Jouez selon nos règles ou sortez du jeu.

Comme la plupart des joueurs qui comptent des deux côtés de la « compétition » ont empilé de considérables stocks d’armes nucléaires, toute escalade des tensions aboutira en effet ce que « les mortels dangers [que nous courons] se concrétisent ». C’est la crainte que Vladimir Poutine lui-même a exprimée, lorsqu’il s’est adressé récemment à la presse étrangère :

« Vos populations n’ont pas l’air d’avoir conscience du danger pourtant imminent. C’est là ce qui m’inquiète ! Comment ne comprenez-vous pas que le monde est entraîné vers une catastrophe irréversible ? »

Corbyn a estimé que le « dialogue », la « démilitarisation » et la « collaboration » sont exactement les tâches auxquelles nous devons nous atteler, afin qu’aucune violation de souveraineté ne se produise pour commencer. Il prône la prévention des hostilités plutôt que des efforts pour y remédier une fois qu’elles ont éclaté.

Mais ce genre de tactiques ne semble pas vraiment faire partie des règles du jeu de l’OTAN. Au contraire, des mails récemment divulgués du commandant suprême en retraite de l’OTAN Philip Breedlove montrent qu’il a sciemment comploté autant qu’il le pouvait pour vaincre la répugnance du président Obama à faire grimper les tensions militaires en Ukraine.

Et Stoltenberg, dans son annonce au sujet de l’accroissement de troupes aux frontières de la Russie a tenu à mettre l’accent sur le principe de l’OTAN, selon lequel « une attaque contre un allié est une attaque contre tous les alliés », et que « l’Alliance toute entière y répondra »

C’est ce principe qui veut que tous les membres soient prêts à agir militairement si l’un d’entre eux se voit menacé qui a fait l’objet du débat à la direction du Labour. Et Smith a docilement répondu, en parfait accord avec la politique de l’OTAN :

« Nous porterions secours au pays membre de l’OTAN ; c’est la matière même des accords de l’OTAN. Ce serait le boulot de la Grande Bretagne, au cas où un pays membre serait envahi, c’est évident. Mais ce serait calamiteux et nous ne devrions jamais avoir à en arriver là.

Nous devons travailler diplomatiquement pour nous assurer que l’agression russe – et je pense qu’il s’est agi de rien moins que cela – que l’expansionnisme et l’agression militaire de ces dernières année par Poutine soit endiguée. »

Quel pourra être le succès de la « diplomatie », dès lors qu’on n’entend discuter que de « l’agression de la Russie » ? C’est une éventualité plutôt difficile à imaginer. Et si Smith croit vraiment que « nous ne devrions jamais avoir à en arriver là », il semble bien que la prévention soit le seul moyen d’y parvenir.

Une entreprise explosive

Réinterrogé avec insistance sur la question de savoir s’il est prêt à entreprendre une action militaire qui s’avérerait nécessaire, Corbyn, a conclu :

« Je n’ai pas envie de faire la guerre. Ce que je veux, c’est faire en sorte que dans le monde où nous vivons, il n’y ait pas besoin de faire la guerre, où cela ne soit pas nécessaire. Et y parvenir est possible. »

Après des décennies d’interventions militaires qui ont laissé la quasi-totalité du Moyen Orient en ruines, qui ont propulsé le terrorisme wahhabite sur la scène mondiale et qui ont érodé la confiance dans les communautés de tout l’hémisphère occidental, il ne faut pas s’étonner que l’assistance ait éclaté en applaudissements enthousiastes.

Mais les gens au pouvoir n’aiment pas ça du tout. Lord West, ex-ministre travailliste de la Sécurité et chef de la Royal Navy, a dit que les propos tenus par Corbyn étaient « absolument effrayants ». Le député travailliste Wes Streeting a, pour sa part, affirmé qu’il s’agissait d’« une grossière trahison de toutes les valeurs internationalistes du Labour ».

On pourrait pourtant estimer qu’il est justement du plus pur internationalisme de prôner une solution diplomatique à tous les conflits qui menacent non seulement les pays de l’OTAN mais tous les citoyens de tous les pays du monde, qui risquent d’en faire les frais. Mais ce n’est pas ainsi qu’on voit les choses dans les milieux que fréquente Streeting.

Certains pourraient même considérer qu’il est « absolument effrayant »  de ne pas essayer de convaincre l’OTAN – seule alliance militaire dont le Royaume Uni fasse partie – d’épuiser toutes les solutions pacifiques avant de se lancer dans des actions militaires.

Les médias de masse peuvent bien, s’ils veulent, donner libre cours à leur servilité légendaire en piaillant que Corbyn est « allé trop loin », et invoquer les mânes de Clement Atlee, fondateur de l’Alliance, dans leurs anathèmes.

Le monde d’aujourd’hui est un endroit très différent de celui où Atlee a négocié. Après les incessantes interventions des dernières années, il faut que nos furieuses démangeaisons militaires (et celles des autres) soient maîtrisées, si nous voulons qu’il y ait la moindre espérance de paix mondiale.

La vraie question géopolitique à l’ordre du jour n’est pas « qui va dominer le monde » mais « qui va le sauver ».

Impliquez-vous !

Agissez avec la Coalition Stop the War

Soutenez les Anciens Combattants pour la Paix, qui se battent maintenant pour que des solutions pacifiques soient trouvées aux problèmes du monde.

Carlyn Harvey – ICH – The Canary 20 août 2016

Carlyn Harvey écrit sous un pseudonyme. Son vrai nom est Tracy Keeling. Elle est anglaise et travaille depuis des années dans l’éducation et le théâtre. Elle a une certaine expérience en tant qu’écrivain de fiction et, à ce titre, elle a été frappée par la capacité créatrice dont les médias de masse font preuve dans leurs reportages. Tracy pense qu’il y a comme un consensus de masse aussi dans les fables qu’ils servent au public du Royaume Uni, et elle trouve que celui-ci a nettement besoin de voix alternatives. C’est à quoi s’efforce Le Canari (The Canary) et elle est ravie d’y participer.

Article original: http://www.informationclearinghouse.info/article45318.htm

Traduction : c.l. pour Les Grosses Orchades

Source: Les Grosses Orchadesl


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Débat Corbyn-Smith du 18 août pour la direction du parti travailliste