Un seul monde ?
1 septembre 2016
: 31 Août 2016 Robert Charvin Avocat, Professeur de Droit, Nice. Les mondialisateurs qui font régner la loi du dollar ou de l’euro, qui imposent leur conception de la « démocratie » (exclusivement électorale), de leur mode de vie, c’est-à-dire de leurs objets et marchandises, de leurs croyances (catholique, évangélique, etc.), de leur paix (celle des Israéliens et pas des Palestiniens, par exemple), proclament qu’il y a un seul monde ! Mais cette unité du monde proclamée n’est pour l’heure qu’une fiction qui reste à réaliser. Ce n’est que le faux monde du capitalisme déchaîné et des pays les plus riches. Il n’est constitué que de petits bourgeois blancs « civilisés » à l’occidentale, « modèle » prétendument indépassable exigeant des Autres, c’est-à-dire la grande majorité, de s’aligner ou de se « faire discrets ». La majorité de l’Humanité est ainsi rejetée dans un « autre » monde dévalué, dont il convient de se séparer par des normes, des contrôles, par le mépris, voire la guerre et la mort. Dans ce monde « unique » privilégié, il « faut » des gens du même monde ! Les « étrangers » par le niveau de vie, la langue, le costume (y compris de bain!), la religion, l’éducation n’y ont pas leur place (sauf, à la rigueur sur les chantiers difficiles). De surcroît, ces gens « différents » doivent aimer ce monde : « Si les étrangers veulent rester en France, qu’ils aiment la France sinon qu’ils s’en aillent », disait Sarkozy. Lors de la conquête de l’Algérie, les métropolitains s’étonnaient déjà : « comment peut-on être arabe ? », tout comme Montesquieu ironisait sur ceux qui ne concevaient pas que l’on puisse être Persan ! Les Français de « souche » d’aujourd’hui (surtout les « bons » chrétiens, peu à l’écoute de leur nouveau Pape) s’exclament « Comment peut-on être musulman ? » : ils ont peur de s’affirmer ce qu’ils sont, c’est-à-dire des racistes, comme les colons d’hier ! L’Islam, méconnu de la plupart des « blancs », incultes en la matière malgré des décennies de colonisation, est invoqué comme une couverture plus élégante que la haine raciale élémentaire. Les mosquées ne s’inscriraient pas convenablement dans le paysage, bien qu’il faille protéger par les armes les Églises d’Orient ! On veut imposer en France un Islam gallicanisé, sans rien exiger des religions fidèles au Vatican ou à Israël ! Des élus préoccupés de leur réélection, par-delà tous les principes, vont jusqu’à placer la laïcité dans les culottes de bain, à défaut de promouvoir l’École publique et de réclamer l’abrogation du Concordat de l’est de la France ! L’antisémitisme, qui a duré des siècles à l’instigation du christianisme, ayant perdu avec le nazisme toute légitimité, a cédé la place au rejet de « l’arabe » ! La xénophobie anti-russe et anti-chinoise vient compléter la panoplie des États européens, tous les jours plus xénophobes parce que toujours plus impuissants à régler les problèmes sociaux. Toute l’Europe en crise est balayée par ces nouveaux boucs-émissaires, préfabriqués par la férocité primitive d’une droite au seul service d’elle-même et du monde des affaires, et par une social-démocratie affectée d’un crétinisme électoraliste avancé et prête à toutes les compromissions. L’élection n’est ainsi plus « un espace de choix réel, mais quelque chose qui enregistre, comme une sismographie passive des dispositions qui sont tout à fait étrangères au vouloir éclairé » (A. Badiou). Le suffrage universel, conquête extraordinaire des mouvements révolutionnaires du passé, est devenu un outil contre la démocratie authentique (ce sont des majorités qui ont imposé Hitler, Pétain, la guerre d’Algérie, l’attaque contre l’Irak, le rejet des réfugiés, etc.) et un instrument pervers pour la maintenance de l’ordre établi. Que reste-t-il contre les avancées de ce racisme, de la violence, de la confessionnalisation des luttes, contre cette pseudo-libre concurrence source de paupérisation absolue, contre la bêtise politicienne électoraliste ? Affirmer, à notre tour, l’unité du monde mais sans exiger que pour y vivre, il faille être « comme tous les autres ! ». Le monde unique est au contraire le lieu où existe « l’infinité des différences », source d’un irremplaçable échange d’expériences utiles pour chacun ! Et avec Badiou, l’urgence est d’avoir pour morale (provisoire), par ces gros temps difficiles, du « courage », cette « vertu qui se manifeste par l’endurance dans l’impossible »1. Ce n’est pas pour rien si Lénine a dansé sur la neige quand le pouvoir insurrectionnel en Russie a duré un jour de plus que la Commune de Paris. A. 1. Badiou. De quoi Sarkozy est-il le nom ? Edition Lignes. 2007. S Source: Investig’Action » En savoir plus sur l’ identification sur Facebook . |