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Manuel Valls présente en mai 2016 un plan de lutte contre la radicalisation © AFP / Eric Feferberg


Nommer les événements, c’est-à-dire identifier et les définir, constitue l’une des principales tâches du discours d’information ; en prenant en charge ce travail de catégorisation, il intervient activement dans notre perception non seulement de l’actualité mais plus largement du réel.

Tout d’abord, le terme « radicalisation » n’est pas approprié et ne correspond pas à la réalité de la situation. Il s’agit plus exactement, d’endoctrinement et d’emprise mentale par les prédicateurs d’une idéologie sectaire : le Wahhabisme.

Utilisant les mêmes schémas, tant dans le fonctionnement, que dans les techniques de manipulations mentales –  à l’exception faite du rapport à l’argent, à savoir l’extorsion de fonds. Les jeunes endoctrinés, pour rejoindre Al-Nosra ou Daesh, sont exonérés de paiement.

Lorsqu’un discours d’apparence religieuse conduit l’individu à la rupture – sociale, sociétale, familiale… –, allant jusqu’à le priver de ses droits les plus fondamentaux, on parle d’effet sectaire. Le mot « secte » a pour origine les verbes latins secare « couper » ; suivant  un maître hérétique ; sequi, secutus « suivre » alors que le mot « religion » vient de religare (relier).

La particularité de ces sectes wahhabites se caractérise, dans un contexte globalisé, par l’utilisation d’internet comme moyen de communication. Un décryptage, non exhaustif, du processus d’endoctrinement est le préalable nécessaire à la compréhension du phénomène de manipulation de « masse » des jeunes Français.

Leur subtilité et leur force consistent à persuader musulmans et non-musulmans qu’ils ne font que revenir à l’islam originel. Ils se présentent comme de simples littéralistes, prônant la lecture et l’application à la lettre du texte coranique.

La technique de ces prêcheurs consiste à utiliser des éléments liés à l’histoire de l’islam, de les extraire de leurs contextes et de les vider de leur sens afin de servir leur « cause » idéologico-politique.

L’opinion publique, influencée par les medias, les assimile quant à elle à des musulmans orthodoxes. Ils ont redéfini l’islam et imposé leur vision du monde totalitaire avec la bénédiction de certaines associations des droits de l’Homme et de « lien social », alors qu’ils conduisent de nombreux jeunes à la rupture socio-familiale en détournant la conscience des plus fragiles.

Sans rentrer dans des débats théologiques, il s’agira là, d’évaluer l’effet du discours sur l’individu, et notamment sur un jeune mineur en construction :

Le principe de leur discours consiste à remplacer la raison par la répétition et le mimétisme. Pour être identiques, les jeunes doivent avoir une même pensée générale et absolue. La mise en veilleuse des facultés intellectuelles individuelles facilite l’exaltation de groupe. Tout individu incorporé à un tel groupe subit des modifications psychiques. On attend de lui qu’il ne réfléchisse pas, qu’il se contente de reproduire de manière automatique les faits et gestes que le groupe lui demande de faire. Ce fonctionnement permet d’empêcher la construction d’avis contradictoires et tout questionnement qui remettrait en doute le discours.

98% de leur discours sectaire utilise Internet comme véhicule qui apparaît comme un moyen de communication permettant de dépasser les contraintes de temps et d’espace, pour proposer aux jeunes de rejoindre une communauté de substitution virtuelle vers un espace bien réel, en Syrie et en Irak.

Un piège redoutable puisqu’il s’agit, en réalité, d’une reprogrammation mentale utilisant des moyens technologiques très élaborés : images subliminales, vidéos, codes visuels, etc…Tout cela, accessible depuis n’importe quel ordinateur, smartphone, tablette, et cela se fait à domicile, dans le foyer protecteur familial. Le jeune, ne se rendant pas compte du danger, est confortablement assis dans sa chambre, ingurgitant des vidéos les unes après les autres.

Il faut bien comprendre qu’au début du processus, il ne s’agit jamais de religion, encore moins de djihad. Le processus complet serait trop long à développer ici en quelques lignes, néanmoins, en voici quelques éléments :

Le processus est pervers, puisqu’il arrive à inverser les sentiments et les motivations initiales du jeune. Il a le sentiment de ne s’être jamais senti rattaché au monde, de n’avoir jamais été compris par les autres, et se perçoit comme étant différent. Les jeunes touchés par ce discours se vivent comme des individus hors sol, appartement à un village mondial virtuel, mais ne se sentent partie intégrante d’aucune culture, d’aucune religion, et d’aucun espace politique national concret.

L’emprise mentale fonctionne plus facilement sur des jeunes sensibles, qui se posent des questions sur le sens de leur vie, leur place et leur rôle dans la société, sur la spiritualité, les valeurs humaines, la destruction des familles, la fracture générationnelle, la transmission, les traditions perdues. Ces jeunes en perte de repères, sont les orphelins d’une société en perte de valeurs.

Au départ, certains jeunes, épris d’un idéal de justice et voulant faire de l’humanitaire, seront détournés vers d’autres projets et serviront de chair à canon (pour les garçons) et d’esclaves sexuelles (pour les filles).

Cela fonctionne comme dans n’importe quelle secte. C’est l’organisation externe qui régule le mal être interne. Les angoisses individuelles sont alors portées par l’organisation du groupe. L’angoisse devient structurée et régulée par le « gourou », ce qui procure un sentiment de soulagement et de sérénité pour le jeune endoctriné qui voit son fardeau porté par d’autres.

La fusion doit être totale, afin qu’il soit intégré définitivement au groupe. Le jeune se sent alors compris, rassuré. Très habilement, ils arrivent à le convaincre qu’il a été élu. Son mal-être, devient le signe de sa pureté ; et la notion de  pureté est primordiale pour unifier les  adeptes. Cela leur permet de mettre en opposition « les impurs ». Pour préserver la force du groupe, l’unité, la purification interne constitue leur priorité et la force de leur discours. Rester « pur » et ne pas se mélanger aux autres.

Qu’est-ce qui a rendu possible la transformation de jeunes, quelques fois en très peu de temps, en criminels commettant les pires cruautés ?

Au départ, il n’est pas question, ici, d’usage de drogues, ni de quelconques modificateurs comportementaux chimiques, et encore moins de basculement dans une forme de folie psychotique passagère, ou totale.

Non, la réalité est bien plus effrayante du fait de sa banalité, puisqu’il s’agit de jeunes qui se sont auto-endoctrinés sur internet, au contact de réseaux habiles, avec la bénédiction des réseaux sociaux : Google, Youtube, Facebook etc. et des autorités  de régulations.

Dès 2014, les vidéos de propagande qui ont conduit de nombreux départs, proviennent principalement d’Al-Nosra, visant essentiellement un jeune public de France et de Belgique. Ces vidéos d’Al-Nosra, comme « 19HH », accessible gratuitement sur Youtube, amènent le jeune à se retrouver dans un univers familier lui permettant d’adhérer plus facilement au discours proposé. Par exemple, ci-dessous, ils tentent de reproduire le code visuel du jeu vidéo Assassin’s Creed IV Black Flag (Drapeau Noir) sortie en 2013.  Nous retrouverons de nombreuses similitudes entre ce jeu, et le contenu des discours dans les  vidéos de propagande.

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Image tirée de la vidéo du 19HH

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Photo du DVD – Studio de production OMS’FIRDAWS d’EL NOSRA

L’émotion est le moyen de sensibilisation le plus efficace. Ces vidéos sont destinées à un jeune public francophone, habitué aux images de jeux vidéo et aux web séries. Elles ont un format court, pédagogique et éducatif : elles les plongent dans un univers familier, dont ils maîtrisent les codes. Il est à noter que ces vidéos sont toujours accessibles et continuent à faire basculer de nombreux jeunes.

– Contrairement à ce que l’on pourrait croire, les vidéos de propagande de Daesh, sont beaucoup moins élaborées que celle d’Al-Nosra. Il s’agit surtout de vidéos de propagande post-production, mettant en  scène leurs exécutions.

Les discours terroristes ont affiné leurs techniques d’endoctrinement par la maîtrise de l’outil internet, à tel point qu’ils arrivent à proposer des offres sur mesure, avec une « personnalisation de l’offre » en fonction des profils, ils peuvent parler à des jeunes aux profils tout à fait différents. Les techniques d’hameçonnages sont très sophistiquées, par elles ils arrivent à détecter leurs cibles sur les réseaux sociaux : FB, Twitter etc.

Ils arrivent à faire basculer des jeunes qui n’ont participé à aucune prière. Certains sont partis, ou voulaient partir en Syrie sans qu’aucune pratique religieuse ne soit décelée la veille (alimentation habituelle comprenant du porc pour les convertis). Ce phénomène touchent toutes les classes sociales et peut faire basculer un jeune scolarisé dans une grande école.

L’absence de références en matière de religion musulmane (voire de véritable réflexion personnelle un tant soit peu poussée sur ces thèmes, du religieux et/ou du spirituel), facilite l’endoctrinement.

Le phénomène touche des jeunes de toutes confessions, avec une majorité d’athées, des catholiques (pas, ou très peu pratiquants) et des musulmans (peu ou non pratiquants), de toutes classes sociales, et depuis peu, dans les classes moyennes. Parents : professeurs, médecins, directeurs d’école.

La rupture scolaire/professionnelle n’est pas une étape obligatoire pour le départ en Syrie. Certains jeunes sont partis directement rejoindre les groupes terroristes ou prévoyaient de le faire alors qu’ils étaient encore scolarisés, et sans que leurs résultats scolaires n’aient chutés.

Tous les prétextes sont utilisés pour placer le jeune en situation d’auto-exclusion, y compris vis-à-vis de sa famille. L’objectif est de le « couper » de sa famille qui reste le dernier rempart à faire tomber. Ces groupuscules ont détourné une notion musulmane, la « taqiyya » (la dissimulation), pour permettre aux jeunes endoctrinés de mentir à leurs proches. Mais percevoir la « taqiyya » comme une doctrine de l’islam orthodoxe reviendrait à tomber dans la confusion que les terroristes recherchent.

On retrouvera aussi des vidéos de recrutement qui peuvent être de durée variable et de style très hétéroclites : un teaser de quelques dizaines de secondes ou un prêche wahhabite alarmiste et anxiogène sur les risques d’aller en enfer, ou au contraire, un clip musical excessivement mélodramatique sur les bienfaits de la conversion à l’islam. Les vidéos peuvent aussi prendre la forme d’une longue série en ligne qui reprend les méthodes de déstabilisation psychique des sectes traditionnelles, en y rajoutant l’impact visuel d’une bande-annonce d’un film à gros budget hollywoodien. Accompagnées de musiques grandioses et guerrières, ou au contraire très mélodramatiques et touchantes, un savant mélange structuré et progressif se présente, intercalant des séquences réconfortantes et mystiques, avec d’autres effrayantes et psychédéliques.
Régulièrement commentées tel un documentaire TV professionnel, ces vidéos sont entrecoupées d’écriteaux mentionnant un verset du Coran ou des messages alarmistes, qui finissent par devenir hypnotiques et envoûtants.

Ces jeunes ne connaissant pas l’islam, et encore moins la réalité et la complexité de la situation géopolitique en Syrie, ils prennent pour argent comptant tout ce qu’ils voient sur internet.

En juin 2016, la propagande d’Al-Nosra passe sur France Télévision. Chacun pourra regarder et apprécier le contenu de ce documentaire de pure propagande. C’est sous l’angle du camp de vacances pour jeunes que sera présenté Al-Nosra : Natation, barbecue, feu de camp, mangeant des glaces au bord de l’eau. Très Loin de la réalité de ce groupe terroriste. Ce documentaire est régulièrement rediffusé, comme une piqûre de rappel au cas où.

Le journaliste Romain Boutilly a retrouvé la trace de celui qui était considéré comme l’un des principaux recruteurs du jihad français, pour un documentaire diffusé jeudi 2 juin 2016 dans « Complément d’enquête ». L’intégralité du documentaire est accessible sur internet. Voir un extrait ci-dessous (*).

Par Katy Ba | 24 octobre 2016

L’auteur est un expert en Systèmes d’Informations Réseaux & Medias. Chercheur, Analyste discours propagande terroriste.

Source : Arrêt sur info