Chronique
Pour notre chroniqueur, en déstabilisant la Libye en 2011, les deux dirigeants ont fait le jeu des terroristes islamistes sur le continent.
Le Centre régional pour les armes légères en Afrique de l’Est et du Centre, basé à Nairobi au Kenya, est formel : il y a bel et bien actuellement des armes libyennes entre les mains des milices somaliennes chabab.
Selon une enquête de cette institution, réputée pour son sérieux, présentée le 11 janvier à Abidjan à l’occasion du premier Forum sur la résilience en Afrique organisé par la Banque africaine de développement (BAD), des armes et autres munitions parties de Libye, après la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, ont transité par le Soudan avant de tomber dans les mains des Chabab.
Lire aussi : Face à la menace terroriste, le Tchad ferme sa frontière terrestre avec la Libye
Les extrémistes somaliens en ont profité pour se renforcer et porter la mort et la désolation au cœur de Mogadiscio, la capitale somalienne. Ils tiennent désormais tête à la force africaine de paix en Somalie, l’Amisom, sans doute continuellement approvisionnés à partir du « supermarché » libyen.
Un marché ouvert pour les djihadistes
Avant l’enquête révélée dans la capitale ivoirienne, on avait eu, en juillet 2016, la confirmation de la présence d’armes libyennes aux mains de la nébuleuse nigériane Boko Haram par l’ambassadeur de Libye à Paris, Alshiabani Mansour Abuhamoud. La puissance de feu des partisans d’Abubakar Shekau et leur victoire militaire sur des armées régulières avaient alimenté nombre d’hypothèses sur la provenance de leur équipement sophistiqué. Sans entrer dans les détails du circuit précis emprunté par ces armes, M. Mansour Abuhamoud avait affirmé sans ambages que Boko Haram avait profité du stock libyen pour devenir le mouvement terroriste le plus meurtrier au monde.
Lire aussi : Qui sont les terroristes de « haute valeur » que la France traque au Sahel ?
C’est pourtant en Afrique de l’Ouest, particulièrement au Sahel, que la faillite de l’Etat central libyen, après la chute de Kadhafi, a provoqué les dégâts les plus importants. On est certes bien loin de l’occupation territoriale du nord du Mali en 2012 par Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI), Ansar Eddine et le Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (Mujao), mais la menace terroriste, elle, est toujours bien présente. En attestent les attentats de Ouagadougou, au Burkina Faso, le 15 janvier 2016, de Grand-Bassam, en Côte d’Ivoire, le 13 mars de la même année et celui perpétré, mercredi 18 janvier, à Gao, au Mali.
Pour les pays du Sahel, la Libye n’est pas seulement une sorte de marché ouvert pour les djihadistes qui viennent s’y approvisionner en armes, munitions et autres engins de mort à volonté. C’est aussi leur sanctuaire, la base arrière d’où sont planifiées les attaques terroristes. Les services de renseignement occidentaux sont aujourd’hui persuadés que des figures emblématiques du terrorisme au Sahel, dont l’Algérien Mokhtar Belmokhtar et le Malien Iyad Ag-Ghali, ont trouvé refuge dans le Sud libyen.
Tableau inquiétant
S’y ajoute désormais le risque que les combattants de l’organisation Etat islamique (EI), chassés récemment de la région de Syrte, en Libye, s’infiltrent dans les pays voisins. Cité par nos confrères du Canard enchaîné paru mercredi, le ministre français de la défense, Jean-Yves Le Drian, aurait laissé entendre que des combattants de l’EI, vaincus en Libye, se sont dispersés en direction de la Tunisie, du Niger et du Tchad.
Lire aussi : En Libye, des combats à proximité du Croissant pétrolier
A regarder de près ce tableau inquiétant de la menace terroriste en Afrique, on en arrive à imputer au moins une partie de la responsabilité de ce désastre aux défenseurs les plus acharnés de l’intervention militaire étrangère de 2011 en Libye que furent le Britannique David Cameron, le Français Nicolas Sarkozy et l’Organisation du traité de l’Atlantique nord (OTAN). Leur niveau de responsabilité est d’autant plus légitime à rechercher qu’ils n’ont pas scrupuleusement respecté la lettre et l’esprit de la résolution 1970 votée en février 2011 par le Conseil de sécurité des Nations unies.
En effet, le texte précise en son paragraphe 4 qu’il « autorise les Etats membres qui ont adressé au secrétaire général une notification à cet effet, et agissent à titre national ou d’arrangements internationaux et en coopération avec le secrétaire, à prendre toutes mesures nécessaires (…) pour protéger les populations et les zones civiles menacées d’attaques en Jamahiriya arabe libyenne, y compris Benghazi ».
Le chaos libyen
On connaît la suite : David Cameron, Nicolas Sarkozy et l’OTAN se sont affranchis de la partie du texte qui exclut « le déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen ». Ils ont alors parachuté des armes à certaines milices qui combattaient Kadhafi dont la chute ne pouvait que délivrer le peuple libyen de quarante-deux années de dictature. Mais ils ont aussi, faute d’avoir articulé leur intervention militaire à un volet politique, plongé la Libye dans le chaos qui profite aujourd’hui à des groupes djihadistes africains (Chabab, Boko Haram, AQMI, Mujao).
Lire aussi : Libye : l’Etat islamique vaincu à Syrte, après six mois de combats
MM. Cameron et Sarkozy ainsi que l’OTAN ont donc une responsabilité involontaire dans la persistance de la menace terroriste en Afrique orientale, centrale et au Sahel. En droit, ils sont justiciables. Encore faut-il trouver la juridiction, le procureur et les juges qui peuvent leur demander des comptes.
Seidik Abba est journaliste et écrivain. Il est l’auteur de Rébellion touarègue au Niger. Qui a tué le rebelle Mano Dayak ? (éd. L’Harmattan, 2010).