Enjeux et alliances de l’élection du patron de la commission de l’Union Africaine
29 janvier 2017
ITRI : Institut Tunisien des Relations Internationales
Safwene Grira: Enjeux et alliances de l’élection du patron de la commission de l’Union Africaine
Publié par Candide le 29 janvier 2017 dans Chroniques
Commission de l’UA: Au-delà du duel Bathily-Faki Mahamat (Analyse)
– Derrière cette élection inédite, des alliances de dernière minute, la confrontation indirecte de puissances régionales, les défis de la réintégration marocaine de l’UA et les risques de blocage paralysant l’institution africaine
Mohamed Safwene Grira Tunisia
AA/ Tunis/ Safwene Grira
De la COP 22 à Marrakech, au sommet Afrique-France à Bamako, en passant par le sommet international de Lomé sur la Sécurité maritime, les enjeux de l’élection d’un nouveau patron de la Commission de l’Union africaine (UA) n’ont jamais été absents.
A l’occasion de chacun de ces sommets internationaux en terre africaine, en effet, comme lors de quelques autres rencontres de moindre envergure, des discussions se tissent, dans les couloirs ou les hôtels, des alliances se font et se défont, des tons montent et des promesses fusent. On est presque loin des enjeux environnementaux, de coopération internationale ou de sécurité servant d’intitulé à ces rencontres, tant l’enjeu du scrutin de fin janvier est grand.
Jamais, depuis la mise en place des premières institutions de l’UA en juillet 2003, sous la présidence du Sud-Africain Thebo Mbeki, l’élection d’un patron de la Commission n’a été entourée d’autant d’enjeux. Jamais, cette élection n’a été également aussi problématique.
Aujourd’hui, c’est également une Sud-Africaine qui passe le relais (de la Commission, cette fois), après un mandat unique. Il s’agit du deuxième mandat unique de suite, après celui de Jean Ping (2008-2012), alors que les deux quadriennats semblaient s’ériger en règle, même sous l’Organisation de l’Unité africaine (OUA), ancêtre de l’UA.
Derrière cette passation inédite, des alliances de dernière minute, la confrontation indirecte de puissances régionales, les défis de la réintégration marocaine de l’UA et les risques de blocage, voire de fracture, paralysant l’institution africaine.
Deux nouveaux candidats après l’échec du sommet de Kigali
Un blocage du groupe des Etats d’Afrique de l’Ouest, lors du dernier sommet de l’UA à Kigali, en juillet dernier, a fait obstacle à l’élection d’un successeur à Nkosazana Dlamini-Zuma. La présentation par ce groupe, ensuite, d’un candidat sénégalais, le diplomate onusien Abdoulaye Bathily, a provoqué la candidature du ministre tchadien des Affaires étrangères Moussa Faki Mahamat.
La cheffe de la diplomatie kényane, Amina Mohamed Jibril, fait office d’outsider, ne serait-ce que par sa position intransigeante en faveur de la République arabe sahraouie démocratique (RASD), alors qu’un courant d’Etats africains anti-RASD s’est formé, sous l’influence du Maroc qui prépare sa réintégration au sein de l’organisation.
La circonstance, ensuite, que le nom de Jibril a été récemment cité, au Kenya, dans un scandale financier; que la vice-présidence de la Commission a échu, depuis 2008 au Kenyan Erastus Mwencha, n’est pas pour favoriser la candidate. Celle-ci bénéfice, tout de même, d’un certain nombre de soutiens importants qui font qu’elle reste dans la course.
Les chances des candidats du Botswana et de la Guinée équatoriale, quant à elles, sont très faibles. Si le scrutin qui démarre le 30 janvier se fera sans surprise par blocs régionaux, chacune des sous-régions africaines soutenant son candidat, un deuxième voire un troisième tour pourrait laisser place à des redistributions de cartes pour trancher le duel ultime qui s’annonce entre le Sénégalais et le Tchadien.
Un retrait de la Guinée équatoriale en faveur du Tchad ?
Dans les centres de décision de la plupart des pays de la CEEAC (Communauté économique des Etats d’Afrique centrale), on ne cache plus sa circonspection face à cette « anomalie », ce facteur de division, avec deux candidats pour représenter une seule région.
Ainsi, malgré ses faibles chances de remporter le scrutin, le fait pour le candidat de la Guinée équatoriale de rester dans la course ne peut que favoriser la position du Sénégal ou même de la Kényane Amina Mohamed.
Par contre, un retrait de ce petit pays pétrolier, en faveur de la candidature tchadienne, appartenant à la même aire géographique de l’Afrique centrale, renforcera considérablement la position de N’Djamena.
Si Agapito Mba Mokuy a été maintenu dans la course pour des raisons de « fierté nationale équato-guinéenne », il est « très probable » qu’il se retire au dernier moment en faveur du candidat tchadien, espère-t-on à N’djamena.
Mais l’élection du patron de l’exécutif africain dépasse, par ses enjeux, le cadre des blocs régionaux, vu les rivalités entre l’Algérie et le Maroc et les divisions qui se révèlent à l’intérieur même de ces groupes régionaux.
Rivalités entre l’Algérie et le Maroc
L’un des enjeux sous-jacent à cette élection concerne l’adhésion du Maroc à l’UA. Sous Hassan II, le royaume chérifien a quitté l’OUA en 1984 pour protester contre l’admission de la République arabe sahraouie démocratique (RASD) en son sein.
Son fils et successeur, Mohamed VI, a choisi, quant à lui, une autre approche pour obtenir l’exclusion de la RASD. Pendant ces dernières années, le Maroc a multiplié les offensives diplomatiques, principalement en Afrique de l’Ouest, noué de solides partenariats économiques, jusqu’en Afrique centrale et Afrique de l’Est, avant de décider de « réintégrer sa famille africaine ».
Même si le Maroc n’a pas conditionné son retour par l’exclusion de la RASD, on ne se doute pas, à Addis-Abeba, que c’est vers cet objectif que tendra Rabat, aidé ainsi, qu’il l’espère, par un président de la Commission « acquis à sa cause ».
La prononciation, en novembre dernier, par le souverain chérifien de son traditionnel discours du trône depuis la capitale sénégalaise, Dakar, regorge d’une très forte symbolique. Elle indique à quel point l’emprise marocaine en Afrique de l’Ouest est désormais acquise. Éminent intellectuel, diplomate onusien chevronné, Bathily est pourtant considéré à Alger comme « l’homme de l’agenda marocain » en Afrique subsaharienne. Cet agenda impliquera à terme, pense-t-on à Alger, de donner satisfaction à la trentaine d’Etats africains qui demandent déjà la suspension de la RASD.
Si la sortante Nkosazana Dlamini-Zuma s’est prononcée pour le retour du Maroc dans le giron africain, elle a tiré la sonnette d’alarme sur le risque d’une fracture qui pourrait frapper l’UA. Cette grave crise serait pire que celle qu’a connue l’OUA en 1984, à la suite de l’adhésion de la RASD.
« Au moment où la planète vit des changements politiques tumultueux, nous les Africains, nous devons revitaliser et renforcer l’esprit du panafricanisme et de l’unité. Nous ne devons pas nous permettre d’être divisés », a déclaré Zuma, mercredi devant les délégués du Conseil Exécutif de l’UA, dans son dernier discours en tant que présidente de la Commission.
Si le Tchadien Moussa Mahamat Faki n’est pas soutenu par le Maroc, il serait loin du « dogmatisme » d’une Amina Mohamed Djibril, présentée comme « la candidate d’Alger » et intraitable sur la question de la RASD, pense-t-on dans les sphères de décision à Rabat.
Dès lors, Moussa pourrait incarner, à terme, un consensus accepté par Rabat et des pays ouest-africains prenant fait et cause pour le royaume. Encore faut-il que les velléités de leadership d’autres puissances régionales le permettent.
Comment l’élection du vice-président de la Commission, du commissaire à la paix et la sécurité influeront sur le scrutin du président de la Commission
Le risque de fracture auquel faisait allusion Dlamini-Zuma est d’autant plus réel que l’élection du président de la Commission africaine ne se résume pas à un affrontement entre deux puissances régionales. Le tableau se complique davantage puisque ce scrutin se trouve influencé par les prétentions d’autres puissances régionales. L’enjeu consiste dans deux autres postes-clés: la vice-présidence de la Commission et le commissariat à la paix et la sécurité.
Ces prétentions sont exclusives l’une de l’autre dans la mesure où une coutume régissant les institutions africaines attribue la présidence de la Commission, la vice-présidence et le poste de commissaire à la paix et la sécurité, à trois régions différentes.
Présenté comme une chasse gardée algérienne, le poste très stratégique de commissaire à la paix et la sécurité se trouve, cette année, convoité par le Nigéria.
Abuja a fait la sourde oreilles devant les différentes sollicitations algériennes. Récemment, une délégation diplomatique algérienne a même fait le déplacement pour convaincre, en vain, les Nigérians de retirer leur candidat au profit d’Ismaïl Chergui, qui brigue un deuxième mandat.
Le chef de la diplomatie nigériane Geoffrey Onyeama a d’ailleurs parcouru le continent de long en large à la recherche de compromis assurant à son pays de remporter ce poste. Des sources au sein de la diplomatie nigériane ont même fait part d’une possibilité de soutien à Amina Mohamed Jibril, en échange du soutien de ce pays à la candidature nigériane.
Même en dehors d’un compromis avec les Kényans, d’ailleurs, Abuja aurait tout intérêt à ne pas apporter son soutien au Sénégal au-delà du premier tour qui reste un vote de solidarité régionale, ouest-africaine en l’occurrence. Une victoire sénégalaise emportera, en effet, ipso facto, l’exclusion de la région ouest-africaine du Département de Paix et de Sécurité (DPS) que convoite Abuja.
Le même raisonnement est adopté par le Ghana qui lorgne la vice-présidence de la Commission, convoitée également par la Libye. Accra ne soutiendra vraisemblablement pas Bathily, au-delà du premier tour, puisqu’une victoire sénégalaise aura pour conséquence de priver le Ghana, pays ouest-africain, de la vice-présidence.
La victoire de Bathily augmentera, par contre, les chances libyennes de briguer la vice-présidence (le Ghana se trouvant exclu) ce qui aura également pour conséquence d’exclure l’Algérie du DPS.
Pour limiter ainsi ce qui est décrit comme « l’hégémonie diplomatique algérienne », « les amis du Maroc » se trouvent tentés de soutenir pour le poste de vice-président de la Commission l’ancien directeur administratif et financier de l’UA, le Libyen Abdelhakim el Ouaer.
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