Brève histoire de l’Otan de 1991 à nos jours. Huitième partie.

 

 

La stratégie USA/Otan consiste à démolir les Etats qui sont totalement ou en grande partie hors du contrôle des Etats-Unis et des plus grandes puissances européennes, surtout ceux situés dans les aires riches en pétrole et/ou avec une importante position géostratégique. On privilégie, dans la liste des démolitions, les Etats qui n’ont pas une force militaire pouvant mettre en danger, par des représailles, celle des démolisseurs.

L’opération commence en plantant des coins dans les fissures internes, qu’on trouve dans tout Etat. Dans la Fédération Yougoslave, dans les années 90, vont être fomentées les tendances sécessionnistes, en soutenant et armant les secteurs ethniques et politiques qui s’opposent au gouvernement de Belgrade. Cette opération va être mise en acte en prenant appui sur les nouveaux groupes de pouvoir, souvent formés de politiciens passés à l’opposition pour s’accaparer dollars et postes de pouvoir.

Simultanément on mène une martelante campagne médiatique pour présenter la guerre comme nécessaire pour défendre les civils, menacés d’extermination par un féroce dictateur.

On demande ensuite l’autorisation au Conseil de sécurité de l’ONU, en motivant l’intervention par la nécessité de destituer le dictateur qui massacre des civils désarmés. Il suffit d’un tampon où est écrit « on autorise toutes les mesures nécessaires» mais, s’il n’est pas donné (comme dans le cas de la Yougoslavie), on continue quand même. La machine de guerre USA/Otan, déjà préparée, entre en action avec une massive attaque aéronavale et des opérations terrestres à l’intérieur du pays, autour duquel le vide a été fait par un embargo très sévère.

Cette stratégie, après avoir été opérée contre la Fédération Yougoslave, va être adoptée contre la Libye en 2011.

D’abord on va être financer et armer les secteurs tribaux hostiles au gouvernement de Tripoli et aussi des groupes islamistes définis comme terroristes jusque quelques mois auparavant. En même temps sont infiltrées en Libye des forces spéciales, dont des milliers de commandos qataris facilement camouflables. Toute l’opération est dirigée par les Etats-Unis, d’abord via le Commandement Africa, puis via l’Otan sous commandement étasunien.

Le 19 mars 2011 commence le bombardement aéronaval de la Libye. En sept mois, l’aviation USA/Otan effecteur 30 mille missions, dont 10 mille d’attaque, avec utilisation de plus de 40 mille bombes et missiles. A cette guerre participe l’Italie avec ses bases et forces militaires, en foulant le Traité d’amitié, partenariat et coopération entre les deux pays.

Pour la guerre contre la Libye l’Italie met à disposition des forces USA/Otan 7 bases aériennes (Trapani, Gioia del Colle, Sigonella, Decimomannu, Aviano, Amendola et Pantelleria), assurant assistance technique et approvisionnements. L’Aéronautique italienne participe à la guerre en effectuant 1182 missions, avec des chasseurs-bombardiers Tornado, F-16 Falcon, Eurofighter 2000, AMX, drones Predator B et ravitailleurs KC-767 e KC130J. La Marine militaire italienne est engagée dans la guerre sur plusieurs fronts : des opérations d’embargo naval aux activités de patrouille et approvisionnement.

Avec la guerre USA/Otan de 2011, l’Etat libyen est démoli et Kadhafi assassiné ; l’entreprise est attribuée à une « révolution inspiratrice » que les USA se disent fiers de soutenir, en créant « une alliance sans égal contre la tyrannie et pour la liberté ». Ainsi est démoli cet Etat qui, sur la rive sud de la Méditerranée face à l’Italie, garantissait « de hauts niveaux de croissance économique » (comme le documentait en 2010 la Banque Mondiale) avec une augmentation moyenne du PIB de 7,5% annuelle, et enregistrait de « hauts indicateurs de développement humain » dont l’accès universel à l’instruction primaire et secondaire et, pour 46%, à celle de niveau universitaire. Malgré les disparités, le niveau de vie de la population libyenne était notablement plus élevé que celui des autres pays africains. En témoignait le fait que plus de deux millions d’immigrés, en majorité africains, trouvaient du travail en Libye.

La guerre, donc, va aussi toucher les immigrés venant d’Afrique sub-saharienne qui, persécutés sous l’accusation d’avoir collaboré avec Kadhafi, sont emprisonnés ou obligés de fuir. Nombre d’entre eux, poussés par le désespoir, tentant la traversée de la Méditerranée vers l’Europe. Ceux qui y perdent la vie sont eux aussi des victimes de la guerre par laquelle l’Otan a démoli l’État libyen.

LES VRAIES RAISONS DE LA GUERRE CONTRE LA LIBYE

De multiples facteurs rendent la Libye importante aux yeux des Etats-Unis et des puissances européennes. Les réserves pétrolifères -les plus grandes d’Afrique, précieuses par leur haute qualité et leur faible coût d’extraction- et celles de gaz naturel.

Après que Washington a aboli en 2003 les sanctions en échange de l’engagement de Kadhafi de ne pas produire d’armes de destruction de masse, les grandes compagnies pétrolières étasuniennes et européennes affluent en Libye avec des grandes expectatives, qui seront cependant déçues. Le gouvernement libyen concède les licences d’exploitation aux compagnies étrangères qui laissent à la compagnie nationale libyenne (National Oil Corporation of Libya, Noc) le plus haut pourcentage du pétrole extrait : étant donnée la forte compétition, celle-ci atteint environ 90%. De plus la Noc demande, dans les contrats, que les compagnies étrangères embauchent du personnel libyen y compris dans des postes dirigeants. En abattant l’Etat libyen, les Etats-Unis et les puissances européennes visent de fait à s’emparer de sa richesse énergétique.

En plus de l’or noir, ils visent l’or blanc libyen : l’immense réserve d’eau fossile de la nappe nubienne (estimée à 150 mille km3), qui s’étend sous Libye, Soudan et Tchad. Les possibilités de développement qu’elle offre ont été démontrées par le gouvernement libyen, qui a construit un réseau d’aqueducs long de 4 mille km pour transporter l’eau, extraite en profondeur par 1300 puits dans le désert, jusqu’aux villes côtières et à l’oasis de Khufrah, en rendant fertiles des terres désertiques. Ces réserves hydriques, qui ont une perspective plus précieuse que celles pétrolifères, sont convoitées – à travers les privatisations promues par le FMI- par les multinationales de l’eau, qui contrôlent presque la moitié du marché mondial de l’eau privatisée.

Dans le viseur USA/Otan se trouvent aussi les fonds souverains, les capitaux que l’Etat libyen a investi à l’étranger. Les fonds souverains gérés par la Libyan Investment Authority (Lia) sont estimés à environ 70 milliards de dollars, qui montent à plus de 150 si on inclut les investissements étrangers de la Banque centrale et d’autres organismes. Depuis sa construction en 2006, la Lia effectue en cinq années des investissements dans plus de cent sociétés nord-africaines, asiatiques, européennes, nord-américaines et sud-américaines : holding, banques, immobilières, industries, compagnies pétrolières et autres. Ces fonds sont « congelés », c’est-à-dire séquestrés, par les Etats-Unis et par les plus grandes puissances européennes.

L’assaut sur les fonds souverains libyens a un impact particulièrement fort en Afrique. C’est là que la Libyan Arab African Investment Company avait effectué des investissements dans plus de 25 pays, dont 22 en Afrique sub-saharienne, en programmant de les accroître surtout dans les secteurs minéralier, manufacturier, touristique et dans celui des télécommunications. Les investissements libyens avaient été décisifs dans la réalisation du premier satellite de télécommunications de la Rascom (Regional African Satellite Communications Organization) qui, entré en orbite en août 2010, permettait aux pays africains de commencer à se rendre indépendants des réseaux satellitaires étasuniens et européens, avec une épargne annuelle de centaines de millions de dollars.

Plus importants encore avaient été les investissements libyens dans la réalisation des trois organismes financiers lancés par l’Union africaine : la Banque africaine d’investissement, avec siège à Tripoli ; le Fonds monétaire africain, avec siège à Yaoundé (Cameroun) ; la Banque centrale africaine, avec siège à Abuja (Nigéria). Le développement de ces organismes aurait pu permettre aux pays africains de se soustraire en partie au moins au contrôle de la Banque mondiale et du Fonds monétaire international, instruments de domination néo-coloniale, en affaiblissant le dollar et le franc Cfa (monnaie que sont obligés d’utiliser 14 pays africains, ex-colonies françaises). Le gel des fonds libyens assène un coup mortel à tout le projet.

Les emails de Hillary Clinton (secrétaire d’état de l’administration Obama en 2011), révélés ensuite en 2016, confirment quel a été le véritable but de la guerre : bloquer le plan de Kadhafi d’utiliser les fonds souverains libyens pour créer des organismes financiers autonomes de l’Union africaine et une monnaie africaine alternative au dollar et au franc CFA.

Pour les USA et l’Otan, c’est la position géographique même de la Libye qui est importante, à l’intersection entre Méditerranée, Afrique et Moyen-Orient. On se souviendra que le Roi Idriss, en 1953, avait concédé aux Anglais l’utilisation de bases aériennes, navales et terrestres en Cyrénaïque et Tripolitaine. Un accord analogue avait été conclu en 1954 avec les Etats-Unis, qui avaient obtenu l’utilisation de la base aérienne de Wheelus Field aux portes de Tripoli. Après l’abolition de la monarchie, la République arabe libyenne avait obligé en 1970 les forces étasuniennes et britanniques à évacuer les bases militaires et, l’année suivante, avait nationalisé les propriétés de British Petroleum et obligé les autres compagnies à verser à l’Etat libyen des pourcentages beaucoup plus élevés de leurs profits.

Manlio Dinucci

Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio

A suivre