Géoidéologie. Esquisse du néopanafricanisme (I) : Le nouveau panafricanisme . Des idéologies du XXe siècle à la géopolitique du XXIe
1 mars 2018
LUC MICHEL’S GEOPOLITICAL DAILYsiècleMardi 27 février 2018 « La Géopolitique, je le dis, et c’est une affirmation personnelle, est la science majeure du 21e siècle ! Au XIXe siècle, la science majeure était l’Economie politique. L’Economie politique de Marx. L’économie politique de Friedrich List qui est le père du Nationalisme économique. La science également d’Adam Smith, le père du libéralisme. A l’époque, l’Economie politique expliquait le monde. Aujourd’hui, et vous pouvez faire le tour des laboratoires idéologiques, il n’y a que la Géopolitique qui explique le monde » Après deux éclipses – la première après les Années 60 et la seconde après la destruction de la Jamahiriya libyenne et la mort de Kadhafi (le père de l’UA) -, un nouveau Panafricanisme, le « Néopanafricanisme », a le vent en poupe (1). Considéré dans un Rapport de l’Etat-major français « en alliance avec la Russie et la Chine comme la menace majeure » pour les intérêts néo-coloniaux de Paris en Afrique, le Néopanafricanisme fait l’actualité avec le « Forum des leaders panadricains, organisé par la grande télevision panafricaine ‘Afrique Media’, à Ndjaména les 10-15 mars 2018. Ce Forum qui s’inscrit dans la suite des grandes conférences panafricaines d’avant 1960, démontre que le Néopanafricanisme est en train de se répandre partout en Afrique et est devenu un phénomène qui touche aussi bien les élites que les masses africaines. PARTIE I/ Définir le Néopanafricanisme appelle de répondre à de nombreuses questions : * Quel panafricanisme? I-1 – Pour en venir au sujet, le panafricanisme c’est quoi en fait ? Il y a eu le nationalisme évidemment. Il y a eu les idéologies de Libération nationale. Il y a eu le Marxisme-Léninisme. On se souvient du Grand George Padmore avec son livre « Communisme et Panafricanisme » dont la couverture a marqué tous ceux qui l’ont lu : une carte de l’Afrique au couleur du drapeau panafricain avec la faucille et le marteau. Il y a eu aussi des choses moins bonnes, non libératrices. Il y a au sein du courant que l’on appelle « afrocentriste » une orientation qui malheureusement reprend ce qu’il y avait de pire dans les idéologies européennes. C’est l’idéologie du repli identitaire. Qui fut aussi celle du Fascisme et du Nazisme. Il y a encore aujourd’hui des afrocentristes qui affirment l’idée d’une « supériorité raciale de l’Homme noir ». Cela n’est pas plus défendable que les théories qui avaient cours autour de Berlin à partir de 1933. Ce sont des impasses. Car si l’alliance avec le courant communiste a été positif, et il ne faut pas contester le rôle des Cubains ou des Soviétiques dans la libération des pays soumis aux empires coloniaux, notamment du Portugal. Positif aussi le soutien à Lumumba ou à Nasser, ces grands panafricanistes des Années ‘60. Mais ce même côté positif a aussi conduit le Panafricanisme et les hommes politiques panafricanistes dans la guerre froide. Une des grandes raisons pour laquelle le Panafricanisme a été laminé au cours des 60 dernières années, c’est parce qu’il a été pris dans l’affrontement Est-Ouest. Dans la naissance de la Françafrique de de Gaulle et de Foccart (2), si vous ne prenez pas l’anticommunisme comme fondement de cela, vous ne pouvez pas comprendre. Il n’y a pas seulement la volonté de voler aux Africains leurs indépendances. Il y a évidemment la question de l’anti-communisme. On voit d’ailleurs Foccart intervenir contre Lumumba au Congo. On voit les réseaux Foccart intervenir dans la césession du Katanga. Et il le font pourquoi ? Ils le font par anticommunisme pur ! MORT DES IDÉOLOGIES ET ÉCHECS DU PANAFRICANISME La fin des idéologies a marqué l’échec du Panafricanisme et a débouché sur l’impasse du Panafricanisme au début du XXIe siècle. Ce qui explique aussi pourquoi les questions posée par le panafricanisme d’hier restent de pleine actualité … On a vu donc malheureusement au cours de ce qu’appellent les historiens « le long XIXe siècle et le long XXe siècle », qui ne forment qu’une seule période, la lente dérive du Panafricanisme. Et on arrive à l’implosion du Bloc soviétique. Et c’est la fin des idéologies. On voit même cette idéologie marxiste-léniniste qui avait prétendu faire des idéologues « les ingénieurs des âmes » s’effondrer. On voit l’Orthodoxie qu’on avait chassé sous Staline prendre la place de l’idéologie marxiste-léniniste en Russie. Et l’Afrique est à ce moment-là devant un défi. Elle est dans une impasse ! L’O.U.A. ne fonctionne pas. Lors du « Coloque d’Abijan » (3), une brillante l’a très bien expliqué et a aussi expliqué ce « Panafricanisme qui détruit ». Je partage totalement son analyse. Lorsque Kadhafi intervient dans le processus panafricaniste, il est devant ce constat d’échec. Il tente de résoudre ce constat. Et il le fait à partir de ce moment-là avec quelque chose de nouveau qui est une vision géopolitique. Kadhafi, c’est à la fois une étape mais c’est aussi un échec. Un échec que j’expliquerai plus loin. Pourquoi ? Parce que la Jamahiriyah est détruite par l’agression occidentale de 2011. La plupart des choses que Kadhafi a proposé, on les propose aussi et à nouveau aux sommets de l’Union africaine depuis des années. Et la « mayonnaise ne prend pas ». Pourtant toutes les questions que pose le Panafricanisme restent des questions actuelles. La question de la recolonisation de l’Afrique que ce soit par Washington ou par Paris en première ligne. Et on voit même revenir dans ce cadre-là Berlin, qui fait son grand retour en Afrique et qui fut l’organisatrice de la fameuse Conférence de Berlin de 1885. I-2 – Il faut revenir aux fondamentaux de la Géopolitique, notion devenue à la mode et galvaudée, et la définir comme la science qu’elle doit être : * Pour une vision pragmatique de la géopolitique Kadhafi avait alors proposé, un peu de manière intuitive et sous l’influence de la « Géopolitique des grands espaces » grand-européenne (« L’Europe de Vladivostok à Reykjavik »), comme base au Panafricanisme non plus l’idéologie mais la Géopolitique. LA GÉOPOLITIQUE « SCIENCE MAJEURE DU XXIe SIÈCLE » La Géopolitique, je le dis, et c’est une affirmation personnelle, est la science majeure du 21e siècle ! La Géopolitique comme science, naît aux États-Unis avec des gens comme Mahan. Elle domine et elle n’a jamais cessé de dominer la politique internationale américaine jusqu’à Brzezinski. Et Brzezinski a encore été jusqu’à sa mort en 2017 le conseiller géopolitique d’Obama. Ce qui explique d’ailleurs que les Africains ont très mal appréhendé Obama, qui n’est pas un « président noir », qui est un président américain évidemment. La géopolitique s’est aussi développée en Allemagne. Et elle a eu comme problème d’être une des choses qui n’ont pas permis mais ont servi à justifier l’expansion du Deuxième Reich de Bismarck et Guillaume II, et surtout celle du Troisième Reich nazi. En 1945, c’est une science discréditée à cause de cette cohabitation contre laquelle la géopolitique n’y peut rien. Staline l’avait même interdite alors que lui-même la pratiquait en maître. La géopolitique ressurgit dans l’univers universitaire en France à la fin des années 70 avec des gens comme le géographe Lacoste et d’autres. Aujourd’hui, c’est quelque chose qui est accepté par tout le monde mais que la plupart ne comprennent pas. Je m’en explique. On met de la « géopolitique » partout. On confond avec elle les relations internationales, l’histoire diplomatique, la diplomatie secrète, les statistiques économiques. Tout devient « géopolitique ». La géopolitique, ce n’est pas ça. COMMENT DEFINIR LA GEOPOLITIQUE ALORS ? Tout d’abord, c’est une science qui vise à la viabilité des états en définissant les conditions de leur puissance. La géopolitique fournit une grille de lecture actuelle. Elle permet la prospective politique. C’est ce que l’on appelle la « géopolitique d’analyse prospective » (5). Elle permet aussi de comprendre le passé. Il y a des conflits géopolitiques classiques comme les guerres puniques entre Rome et Carthage il y a 2.400 ans. Il y a des schémas directeurs. Tout cela donne une vision claire à condition que l’on reste dans le cadre géopolitique stricto sensu. Evidemment, des journalistes qui veulent avoir l’air intelligent mettent la géopolitique à toutes les sauces. Et on en arrive à parler de « votes géopolitiques » à un concours comme l’Eurovision… ça n’a pas de sens. Ensuite, la géopolitique ne peut se comprendre qu’à partir d’un point de vue particulier (6). Elle est vue de Washington, elle est vu de Pékin ou elle est vue de Moscou. Mais le même problème vu de Washington, de Pékin ou de Moscou n’aura pas la même analyse et la même solution. Si vous perdez de vue cela, vous perdez toute compréhension de cette science. J’y reviendrai plus tard. Car c’est un des problèmes de l’Afrique. Il n’y a pas encore une « Géopolitique vue de l’Afrique » (à part des travaux pionniers, dont les miens). Donc, on adopte des points de vue, des analyses, des grilles de lecture qui sont celles de la Géopolitique anglo-saxonne, française ou parfois de la géopolitique russo-chinoise. On a donc par conséquence une vue qui est faussée. Car la géopolitique détermine une vision du monde. La géopolitique américaine a une vision du monde qui est d’appliquer à la planète entière « l’American way of life ». Et parlons franchement. La mondialisation, c’est quoi ? C’est la normativité mondiale selon l’économie et la politique américaine. Il y a une autre géopolitique à Moscou que l’on appelle le « néo-eurasisme » à laquelle j’ai contribué dans les années 80 (7). Là, c’est de faire une Grande-Eurasie indépendante avec les puissances anglo-saxonnes qui en soient chassées. On est dans un autre point de vue. Enfin, la dernière chose qu’il faut dire de la géopolitique et on peut la résumer dans une maxime utile pour l’Afrique et les Africains de la manière suivante : « la dimension, c’est la puissance ! La puissance, c’est la liberté ! » Tout ça – et évidemment vous faite le même constat que moi – n’existe pas en Afrique. En Afrique, on vient vous proposer des schémas qui ont fait faillite ailleurs. Le « parlementarisme de type bourgeois » par exemple, qui a échoué dans la plupart des pays européens. Un Français sur deux par exemple ne va plus voter. Il n’y a plus d’adhésion au Système. Mais on vient vous dire en Afrique, où les réalités sont toutes autres, que c’est la panacée universelle. I-3 – Quels étaient les axes de la pensée géopolitique de Kadhafi : * La géopolitique des « grands espaces » et l’unification du continent africain Il y a un homme, il y a 20 ans maintenant, qui a réfléchi à tout cela. C’est Kadhafi ! L’alliance Atlantique est un harnais entre les mains des Etats-Unis, qui tiennent sous contrôle tout le processus européen. Kadhafi pensait que les Européens pouvaient s’en affranchir. Il a notamment été l’un des grands soutiens de l’Euro. Et lorsqu’il y a eu la grande crise des banques mondiales, il a soutenu les banques européennes en 2008 en Italie, en Allemagne, en France, en Belgique, en Espagne. Je pense d’ailleurs que c’est une des raisons pour lequel il a été abattu car ces pays ne pouvaient plus le rembourser. Il y a d’autres raisons mais c’est une des raisons qui ont provoqué cette tragédie libyenne. COMMENT KADHAFI VOYAIT-IL L’AFRIQUE ? Il voulait des Etats-Unis d’Afrique. Lui parlait plus précisément « d’Etat continental fédéral africain ». Il voulait une articulation, une synergie, entre le mouvement d’unification de l’Europe et celui d’Afrique. Une Méditerranée qui soit redevenue la « Mare nostrum ». La vieille idée de la « Mare nostrum » romaine, qui ne soit plus une frontière et où la Libye serait un pont (9). C’est la raison pour laquelle le fossé entre lui et les dirigeants de l’Union européenne s’est agrandi. Car pour les dirigeants de l’Union européenne, le « processus de Barcelone » concevait la Méditerranée comme la frontière extérieure de l’Union Européenne, de la « forteresse Europe » (qui s’inspire honteusement de la « Festung Europa » des nazis) et non comme une opportunité de symbiose. Pour eux, il fallait que cette frontière soit infranchissable. C’est la grande panique du non-contrôle des flux migratoires. Kadhafi le leur avait pourtant annoncé en mars 2011. Il leur avait dit « après moi, vous aurez al-Qaïda, vous aurez l’immigration sauvage » ! On a tout ça maintenant et les drames qui vont avec. C’était la vision de Kadhafi. Il y a donc une opposition idéologique qui s’est développée à partir de 2007-2009 entre lui et les dirigeants de l’UE. LES TROIS CONDITIONS D’UNE AFRIQUE INDEPENDANTE Kadhafi posait ce qui restent encore aujourd’hui les trois conditions d’une Afrique indépendante : – Première condition : un Etat autour d’un Bloc continental. Un « Bloc continental » qu’est-ce que c’est ? Cela suppose une économie intégrée. J’y reviendrai. Ca suppose une intégration politique et militaire. Ca suppose la libre circulation des biens et des personnes. – Deuxième condition : Cet Etat doit avoir la charge des fonctions régaliennes : battre la monnaie pour contrôler son économie. Kadhafi a proposé la Banque africaine de développement. Il a proposé une monnaie africaine, qu’il voulait l’appeler le « Dinar or ». On parle aujourd’hui d’Afro. Et ainsi de suite. Vous retiendrez déjà que dans le Panafricanisme qui a surgi des ruines de la destruction de la Jamahiriya, la question de la monnaie est une des batailles centrales ; que ce soit la question du franc CFA ou que ce soit la question d’une monnaie africaine. – Troisième condition : battre monnaie c’est bien, mais si vous ne savez pas protéger votre monnaie, votre modèle économique, cela ne sert à rien. Il faut une Armée panafricaine. Là, il faut suivre la démarche de kadhafi. Allez voir pourquoi l’Europe est devant un échec politique. L’Union Européenne est devant un échec, parce qu’elle a été incapable de passer de l’intégration économique, de la monnaie unique à justement un Etat supranational et à l’Armée européenne. Dans le Traité de Maastricht il est contenu directement une disposition qui explique l’échec annoncé de l’Union Européenne, que vous voyez tous les jours. Cette disposition confie la défense de l’Europe à l’OTAN. A partir de ce moment-là, c’est une terrible leçon pour l’Afrique. Ne rêvez pas d’une monnaie africaine, si vous n’avez pas une armée africaine pour la protéger. LA DEMARCHE INTELLECTUELLE DE KADHAFI (QUI EST LA MIENNE) : IL FAUT SORTIR LES AFRICAINS DE TOUS LES COMPLEXES ! Voilà ce que voyait Kadhafi. Il avait surtout une démarche intellectuelle qui est la mienne. Il faut sortir les Africains de tous les complexes ! Du complexe d’infériorité qui vient de l’esclavage, qui vient de la traite négrière, qui vient des années du colonialisme. Mais aussi du complexe inversé opposé qui fait que l’Africain par lui-même serait capable de tout. C’est un discours que l’on rencontre chez certains afrocentristes et qui ne conduira à rien. Il faut des Africains décomplexés qui aillent voir ailleurs comment cela se passe. Qu’on le veuille ou non, nous sommes dans un monde globalisé. La globalisation, ce n’est pas seulement l’économie. Elle a commencé avec le « Village Global » de la communication de Mc Luhan. On ne sortira plus de cela. # NOTES ET RENVOIS (1) Le lecteur s’intéressera au parcours politique qui m’a conduit, depuis les Années ’80 via la Jamahiriyah, à devenir un des grands acteurs du Néopanafricanisme (*) : * Voir LUC MICHEL : MA VRAIE BIOGRAPHIE … POURQUOI WIKIPEDIA – LIBE – RTBF – MONDE AFRIQUE – LA PRESSE.CA – IWACU – PRESSTITUTES DE L’OTAN ET CIE MENTENT !? ** Videos et photos sur : Conférence internationale « Hands off Libya » : (2) Cfr. EODE THINK-TANK & EODE-BOOKS/ GEOPOLITIQUE ET POLITIQUE AFRICAINE/ FRANCAFRIQUE ET RESEAUX FOCCART : LA FABRIQUE DES BARBOUZES (PARTIE 1) (3) Cfr. sur PANAFRICOM/ DE QUOI PARLERA LUC MICHEL AU COLLOQUE D’ABIDJAN (7-8 AVRIL 2016) ‘REPENSER LE PANAFRICANISME POUR UNE GRANDE GÉNÉRATION AFRICAINE’ ? (4) Voir sur EODE-TV/ (5) Cfr. sur LUCMICHEL.NET/ (6) EODE THINK TANK / LA GEOPOLITIQUE VUE DES USA (7) Cfr. PCN-TIMELINE / IDEOLOGIE / 1984 : LE PCN REINVENTE L’‘EURASISME’ MODERNE (8) Cfr. Kornel Sawinsky (Université de Silésie, Pologne) : « La Libye dans les concepts géopolitiques du PCN », in ZNACZENIE LIBII W GEOPOLITYCZNYCH KONCEPCJACH NACJONAL-EUROPEJSKIEJ PARTII KOMUNITARNEJ (PCN), Intervention au 3e Congrès des Géopoliticiens polonais – III Zjazd Geopolityków Polskich –,Wroclaw (Pologne, 21 et 22 octobre 2010), (9) Voir la géopolitique de Kadhafi sur : (Sources : ELAC Website – EODE Think-Tank – EODE-Books – Panafricom) Photos : LUC MICHEL (ЛЮК МИШЕЛЬ) & EODE * Avec le Géopoliticien de l’Axe Eurasie-Afrique : Géopolitique – Géoéconomie – Géoidéologie – Néoeurasisme – Néopanafricanisme (Vu de Moscou et Malabo) : PAGE SPECIALE Luc MICHEL’s Geopolitical Daily * Luc MICHEL (Люк МИШЕЛЬ) :
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