Sauvetage des migrants en mer : lettre ouverte à Emmanuel Macron sur le rôle des ONG
1 août 2018
CARE France
Le collectif d’ONG, Coordination SUD, dont CARE fait partie, exprime sa consternation suite à la récente déclaration d’Emmanuel Macron montrant du doigt les ONG qui feraient « le jeu des passeurs ». Dans une lettre ouverte, CARE et 66 autres associations de solidarité internationale et de défense des droits humains s’adressent au président de la république.
Monsieur le Président,
Le 26 juin, vous avez notamment déclaré, à propos des ONG qui sauvent en mer des migrants, qu’elles « font le jeu des passeurs ». Nos organisations, et l’ensemble de la communauté des ONG françaises, nos 250 000 militants bénévoles, salariés et volontaires, et les millions de citoyens qui soutiennent nos actions, ont été heurtés par vos propos.
Monsieur le Président, le premier rôle d’une ONG humanitaire est de sauver toute vie lorsque celle-ci est en péril, sans aucune distinction et cela ne peut se négocier. La solidarité ne se divise pas. Elle ne peut sélectionner les personnes auxquelles elle se doit de porter secours. Ou alors, ce n’est plus de la solidarité.
C’est en revanche le rôle des États d’assurer des voies légales et sûres pour la migration et l’accueil des personnes en danger. C’est le rôle de notre pays que de continuer à porter une parole courageuse en faveur des réfugiés. C’est le rôle de notre pays enfin que de porter une voix généreuse et solidaire.
Et nul ne peut faire porter sur les ONG la responsabilité des échecs tragiques de la communauté internationale à rétablir la paix au Moyen Orient ou en Afrique. Nul ne peut faire porter aux ONG la responsabilité de la pauvreté endémique qui continue de miner des territoires entiers en Afrique subsaharienne ou l’accroissement abyssal des inégalités partout dans le monde y compris dans nos territoires. Les ONG ne sont pas responsables du volume scandaleux de l’évasion fiscale qui mine le développement de nombre de pays. Elles ne sont pas plus responsables de l’accroissement du réchauffement climatique qui met sur les routes de l’exil forcé nombre d’hommes et de femmes dont les territoires de vie deviennent proprement invivables.
Monsieur le Président, nos organisations militent et agissent au quotidien et dans des conditions de plus en plus difficiles, pour apporter assistance aux personnes en danger, pour tisser des liens de solidarité et de coopération entre nos territoires et des territoires du monde. Elles portent et appellent sans cesse la responsabilité collective pour réduire les inégalités et la pauvreté, engager les transitions écologiques et démocratiques nécessaires et investir dans le dialogue entre les peuples. Ces actions permettent le plus souvent de réduire les fractures, d’apaiser les tensions, de faire renaître l’espoir et de contribuer à la paix au moment où les discours de haine, de peur et de défiance envahissent les relations internationales.
Nous sommes entrés depuis quelques années dans un contexte européen et mondial qui voit, mois après mois, le basculement de pays lointains et bien plus proches vers des régimes de plus en plus autoritaires et liberticides. Dans un nombre croissant de pays, tous les jours des lois sont votées, des directives données pour réduire la liberté de parole de la société civile, pour restreindre le droit d’association, voire pour criminaliser tout engagement associatif. Ainsi le recul des droits humains s’accentue et celui de la capacité à s’en indigner régresse tout autant. Chaque pouce perdu sur ce terrain est un revers pour tout ce qui a fait notre histoire et pour les valeurs qui fondent nos propres institutions.
C’est une lame de fond qui nous alerte au plus haut point, et oblige tous les démocrates convaincus que l’heure désormais doit être à la résistance et à la fermeté sur le terrain des droits humains et de l’aide humanitaire parce que c’est un impératif consubstantiel de ce que sont nos sociétés. La France peut et doit porter cette voix dans le monde, et éviter d’ajouter par des déclarations intempestives, de la confusion à la confusion. Faute de quoi, cette tendance risque également de nous emporter.
Monsieur le Président, nos causes sont justes et attendent de vous un soutien sans ambiguïté, plein et entier.
Liste des signataires
Acting For Life Bertrand Lebel, directeur, Action Contre la Faim Thomas Ribémont, président, Action Contre la Faim Véronique Andrieux, directrice générale, Action Santé Mondiale Patrick Bertrand, directeur, Action-Aid France Birthe Pedersen, présidente ,ADTTF Abdoulaye Bah, président ,Agrisud International Yvonnick Huet, directeur ,Agronomes et Vétérinaires sans Frontières – AVSF Frédéric Apollin, directeur ,Aide et Action France-Europe Charles-Emmanuel Ballanger, directeur ,AIDES Aurélien Beaucamp, président, ASAH Yves Knipper,directeur, ,Asmae-Association sœur Emmanuelle Alain Barrau, président, Asti Christian Bulot, bénévole, Avocats Sans Frontières France Vincent Fillola, co-président, C4D Sophie Nick, directrice, CARE France Philippe Lévêque, directeur, cartONG Charlotte Pierrat, présidente, CCFD-Terre Solidaire Benoît Faucheux, délégué général, CIEDEL Catherine Delhaye, directrice, CNAJEP François Mandil, président, Collectif des associations citoyennes (CAC) Jean Claude Boual, président, Comede Didier Fassin, président, Comité d’Accueil 72 Amélie Polachowska, membre, Comité Français pour la Solidarité Internationale Yves Le Bars, président, Commerce Equitable France Julie Stoll, déléguée générale, Coordination Humanitaire et Développement Xavier Boutin et Thierry Mauricet, co-présidents, Coordination SUD Philippe Jahshan, président, CRID Emmanuel Poilane, président, ECPAT France Emilie Vallat, directrice, Electriciens sans frontières Hervé Gouyet, président, Entraide Médicale Internationale,, EMI Alain Roussel, président délégué, Etudiants et Développement Vincent Pradier, délégué général, Fédération Artisans du Monde Anne Chassaing et Daniel Beauchêne, coprésident-e-s, Fondation Danielle Mitterrand France Libertés Emmanuel Poilane, directeur général, Fondation GoodPlanet Henri Landes, directeur général, Forim Thierno Camara, président, Frères des Hommes Bernard Cabut, membre du Conseil d’administration, Frères des Hommes Luc Michelon, président, GERES (Groupe Energie Renouvelable Environnement et Solidarité) Laurence Tommasino, déléguée générale, Gevalor Jean-Michel Royer, président, Grandir dignement Hélène Muller, directrice, GREF Agnès Riffonneau, présidente, Gret – Professionnels du développement solidaire Olivier Bruyeron, directeur, Groupe initiatives Pierre Jacquemot, président, Habitat-Cité Annabella Orange, directrice, Handicap international/humanité et inclusion Manuel Patrouillard, directeur général, IECD Tobias Hartig, directeur, Ingénieurs sans frontières Sébastien Gondron, président, La Chaîne de l’Espoir Jean-Roch Serra, directeur général, Ligue des droits de l’Homme Malik Salemkour, président, Maison des Citoyens du Monde de Loire-Atlantique Jean-Clair Michel, président, Medair France Annick Balocco, directrice, Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples –, MRAP Jean-François Quantin, co-président, OXFAM France Cécile Duflot, directrice, Partage Nicolas Lenssens, directeur général, Peuples Solidaires – Action Aid (groupe Le mans-la Suze) Patrick Brossard, président, Plateforme d’Associations Franco-Haitïennes Jimitry Annexile, chargé de missions, Première Urgence Internationale Thierry Mauricet, directeur général, RITIMO Danielle Moreau, co-présidente, Secours Islamique France Rachid Lahlou, président, Sherpa Sandra Cossart, directrice, Sidaction Florence Thune, directrice générale, Solidarité Laïque Roland Biache, délégué général, Solidarités International Alexandre Giraud, directeur général, SOLTHIS Louis Pizarro, directeur général, SOS Villages d’Enfants France Isabelle Moret, directrice générale, Vision du Monde Camille des Boscs, directrice générale
CARE France est membre de Coordination SUD – Solidarité Urgence Développement – coordination nationale des ONG françaises de solidarité internationale. Elle rassemble aujourd’hui 164 ONG, adhérents directs ou au travers de six collectifs (Clong-Volontariat, Cnajep, Coordination humanitaire et développement, Crid, Forim, Groupe Initiatives), qui mènent des actions humanitaires d’urgence, d’aide au développement, de protection de l’environnement, de défense des droits humains auprès des populations défavorisées mais aussi des actions d’éducation à la solidarité internationale et de plaidoyer.