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23 novembre 2024

Le Sahel est-il une zone de non-droit ?


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Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak, au Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique. Traduction d’articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne, enquêtes et informations exclusives.

Le Sahel est-il une zone de non-droit ?

Publié par Gilles Munier sur 7 Octobre 2018,

Catégories : #CIA, #Algérie, #Niger, #Libye, #Mali, #Africom, #Macron, #Trump

Par Leslie Varenne (revue de presse : IVERIS – 6/10/18)*

La CIA a posé ses valises dans la bande sahélo-saharienne. Le New-York Times l’a annoncé, le 9 septembre dernier. Le quotidien US, a révélé l’existence d’une base de drones secrète non loin de la commune de Dirkou, dans le nord-est du Niger. Cette localité, enclavée, la première grande ville la plus proche est Agadez située à 570 km, est le terrain de tir parfait. Elle est éloignée de tous les regards, y compris des autres forces armées étrangères : France, Allemagne, Italie, présentes sur le sol nigérien. Selon un responsable américain anonyme interrogé par ce journal, les drones déployés à Dirkou n’avaient « pas encore été utilisés dans des missions meurtrières, mais qu’ils le seraient certainement dans un proche avenir, compte tenu de la menace croissante qui pèse sur le sud de la Libye. » Or, d’après les renseignements recueillis par l’IVERIS, ces assertions sont fausses, la CIA a déjà mené des opérations à partir de cette base. Ces informations apportent un nouvel éclairage et expliquent le refus catégorique et systématique de l’administration américaine de placer la force conjointe du G5 Sahel (Tchad, Mauritanie, Burkina-Faso, Niger, Mali) sous le chapitre VII de la charte des Nations Unies.

Opérations illégales dans la bande sahélo-saharienne

L’installation d’une base de drones n’est pas une bonne nouvelle pour les peuples du Sahel, et plus largement de l’Afrique de l’Ouest, qui pourraient connaître les mêmes malheurs que les Afghans et les Pakistanais confrontés à la guerre des drones avec sa cohorte de victimes civiles, appelées pudiquement « dégâts collatéraux ».

D’après le journaliste du NYT, qui s’est rendu sur place, les drones présents à Dirkou ressembleraient à des Predator, des aéronefs d’ancienne génération qui ont un rayon d’action de 1250 km. Il serait assez étonnant que l’agence de Langley soit équipée de vieux modèles alors que l’US Air Force dispose à Niamey et bientôt à Agadez des derniers modèles MQ-9 Reaper, qui, eux, volent sur une distance de 1850 km. A partir de cette base, la CIA dispose donc d’un terrain de tir étendu qui va de la Libye, au sud de l’Algérie, en passant par le Tchad, jusqu’au centre du Mali, au Nord du Burkina et du Nigéria…

Selon deux sources militaires de pays d’Afrique de l’Ouest, ces drones ont déjà réalisé des frappes à partir de la base de Dirkou. Ces bombardements ont eu lieu en Libye. Il paraît important de préciser que le chaos existant dans ce pays depuis la guerre de 2011, ne rend pas ces frappes plus légales. Par ailleurs, ces mêmes sources suspectent la CIA d’utiliser Dirkou comme une prison secrète « si des drones peuvent se poser des avions aussi. Rien ne les empêche de transporter des terroristes de Libye exfiltrés. Dirkou un Guantanamo bis ? »

En outre, il n’est pas impossible que ces drones tueurs aient été en action dans d’autres Etats limitrophes. Qui peut le savoir ? « Cette base est irrégulière, illégale, la CIA peut faire absolument tout ce qu’elle veut là-bas » rapporte un officier. De plus, comment faire la différence entre un MQ-9 Reaper de la CIA ou encore un de l’US Air Force, qui, elle, a obtenu l’autorisation d’armer ses drones (1). Encore que…

En novembre 2017, le président Mahamadou Issoufou a autorisé les drones de l’US Air Force basés à Niamey, à frapper leurs cibles sur le territoire nigérien (2). Mais pour que cet agrément soit légal, il aurait fallu qu’il soit présenté devant le parlement, ce qui n’a pas été le cas. Même s’il l’avait été, d’une part, il le serait seulement pour l’armée US et pas pour la CIA, d’autre part, il ne serait valable que sur le sol nigérien et pas sur les territoires des pays voisins…

Pour rappel, cette autorisation a été accordée à peine un mois après les événements de Tongo Tongo, où neuf militaires avaient été tués, cinq soldats nigériens et quatre américains. Cette autorisation est souvent présentée comme la conséquence de cette attaque. Or, les pourparlers ont eu lieu bien avant. En effet, l’AFRICOM a planifié la construction de la base de drone d’Agadez, la seconde la plus importante de l’US Air Force en Afrique après Djibouti, dès 2016, sous le mandat de Barack Obama. Une nouvelle preuve que la politique africaine du Pentagone n’a pas changée avec l’arrivée de Donald Trump (3-4-5).

Les USA seuls maîtres à bord dans le Sahel

Dès lors, le veto catégorique des Etats-Unis de placer la force G5 Sahel sous chapitre VII se comprend mieux. Il s’agit de mener une guerre non-officielle sans mandat international des Nations-Unies et sans se soucier du droit international. Ce n’était donc pas utile qu’Emmanuel Macron, fer de lance du G5, force qui aurait permis à l’opération Barkhane de sortir du bourbier dans lequel elle se trouve, plaide à de nombreuses reprises cette cause auprès de Donald Trump. Tous les présidents du G5 Sahel s’y sont essayés également, en vain. Ils ont fini par comprendre, quatre chefs d’Etats ont boudé la dernière Assemblée générale des Nations Unies. Seul, le Président malien, Ibrahim Boubacar Keïta, est monté à la tribune pour réitérer la demande de mise sous chapitre VII, unique solution pour que cette force obtienne un financement pérenne. Alors qu’en décembre 2017, Emmanuel Macron y croyait encore dur comme fer et exigeait des victoires au premier semestre 2018, faute de budget, le G5 Sahel n’est toujours pas opérationnel ! (6-7) Néanmoins, la Chine a promis de le soutenir financièrement. Magnanime, le secrétaire d’Etat à la défense, Jim Mattis a lui assuré à son homologue, Florence Parly, que les Etats-Unis apporteraient à la force conjointe une aide très significativement augmentée. Mais toujours pas de chapitre VII en vue… Ainsi, l’administration Trump joue coup double. Non seulement elle ne s’embarrasse pas avec le Conseil de Sécurité et le droit international mais sous couvert de lutte antiterroriste, elle incruste ses bottes dans ce qui est, (ce qui fut ?), la zone d’influence française.

Far West

Cerise sur le gâteau, en aout dernier le patron de l’AFRICOM, le général Thomas D. Waldhauser, a annoncé une réduction drastique de ses troupes en Afrique (9). Les sociétés militaires privées, dont celle d’Erik Prince, anciennement Blackwater, ont bien compris le message et sont dans les starting-blocks prêtes à s’installer au Sahel (10).

Leslie Varenne, chercheuse spécialiste de l’Afrique, est directrice de l’Institut de Veille et d’Etude des Relations Internationales et Stratégiques (IVERIS). Elle est l’auteur, notamment, de « Abobo la guerre«  où elle dévoile les coulisses de la guerre de 2011 en Côte d’Ivoire.

(1)La force Barkhane dispose, elle-aussi de MQ-9 Reaper, mais ils ne sont pas armés, ils ne sont utilisés que pour des missions de surveillance. Jusqu’à quand ?

(2) https://nigerdiaspora.net/index.php/societe/2519-les-drones-americains-autorises-a-frapper-en-territoire-nigerien

(3) https://theintercept.com/2016/09/29/u-s-military-is-building-a-100-million-drone-base-in-africa/
(4) Le budget de celle-ci était de 100 millions de dollars au départ, mais il atteindra les 280 millions de dollars en 2024. Voir l’enquête de The Intercept : https://theintercept.com/2018/08/21/us-drone-base-niger-africa/. Dès lors, il paraissait évident que l’armée US n’allouait pas autant de moyens pour se contenter de missions de surveillance aérienne.
(5) https://www.iveris.eu/list/notes_danalyse/290-le_pivot_africain
(6) https://www.liberation.fr/planete/2017/12/13/sahel-macron-veut-des-victoires-rapides-contre-les-jihadistes_1616511
(7) Les chiffres ont beaucoup variés. Au départ le budget prévisionnel s’élevait au départ à 463 millions d’euros. Lors de la dernière conférence à Bruxelles en février 2018, 414 millions d’euros avaient été promis se répartissant ainsi : Arabie saoudite 100 millions, Emirats arabes unis, 30, les Etats du G5, 50, France 8 millions, en matériel matériel, Etats-Unis 48,8 millions d’euros d’aide bilatérale. Aujourd’hui le flou demeure et il est difficile de savoir si les pays qui ont fait des promesses de dons ont réellement apporté leur contribution et si oui, combien.
https://fr.reuters.com/article/topNews/idFRKCN1MC1R0-OFRTP
(8)http://www.opex360.com/2018/10/02/les-etats-unis-vont-tres-significativement-augmenter-leur-contribution-a-la-force-anti-jihadiste-du-g5-sahel/
(9) https://www.nytimes.com/2018/08/01/world/africa/us-withdraw-troops-africa.html
(10) https://www.lopinion.fr/edition/international/face-terrorisme-limites-l-action-europeenne-sahel-163580

 

*Source : IVERIS

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