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28 mars 2024

Algérie : la chute tragique du vieux soldat FLN ?


France-Irak Actualité : actualités sur l’Irak, le Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique

Analyses, informations et revue de presse sur la situation en Irak, au Proche-Orient, du Golfe à l’Atlantique. Traduction d’articles parus dans la presse arabe ou anglo-saxonne, enquêtes et informations exclusives.

Publié par Gilles Munier sur 30 Novembre 2018,

Catégories : #Algérie, #Bouteflika, #Maroc, #Tunisie

L’ex-parti unique qui devait bâtir une nouvelle Algérie post-indépendance est devenu l’otage des calculs politiciens et du fait du prince

Par Adlène Meddi (revue de presse : Middle East Eye – 26/11/18)*

Connaissez-vous la « maison de l’obéissance » ? C’est une règle inspirée du droit romain et transposée dans certains pays musulmans permettant à l’époux de ramener sa femme, de force, au foyer conjugal après une dispute.

Retenons le caractère coercitif de la chose.

En Algérie, l’expression « maison de l’obéissance » a été maintes fois employée par des éditorialistes pour décrire la relation entre le pouvoir et l’ex-parti unique, le Front de libération national (FLN). C’est aussi, et surtout, une formule employée par le défunt Abdelhamid Mehri, ex-secrétaire général du vieux parti. On y reviendra.

Récemment, ce parti s’est retrouvé dans une drôle de situation : deux patrons sont désormais à sa tête. Le secrétaire général Djamel Ould Abbes, « démissionné » par une source officielle d’après l’agence d’information gouvernementale. Il avait démenti avoir quitté son poste avant d’accepter le fait accompli. Et le nouveau président du Parlement, Moad Bouchareb, qui assure l’intérim à la tête du FLN, toujours selon cette source officielle.

Moad Bouchareb, qui a remplacé Saïd Bouhadja, l’ancien président de la chambre basse suite à un coup de force qualifié de « putsch », assume cette fonction d’intérim en dehors du règlement intérieur du parti.

Ces soubresauts et petits « putschs » entre amis ne sont pas une incongruité dans le long parcours de l’ancien parti-État. Le FLN est le trésor de guerre politique des tenants du pouvoir, qu’ils défendent jalousement, parfois brutalement.

Le FLN est d’abord une assise électorale du pays « réelle », celle qui englobe la clientèle du système, fidèle à l’ancien parti unique par intérêt (redistribution de la rente et des postes). Ou par attachement historique inhérent à la guerre de libération et ses symboles. Ou, enfin, par défaut : « Mieux vaut quelqu’un qu’on connaît qu’un inconnu », dit-on en Algérie, selon une antique sagesse populaire.

Au fin fond du pays, dans les villages les plus reculés du grand Sahara, on peut ne pas trouver de bureau de poste ou de mairie, mais on trouvera toujours une école, de l’électricité… et une annexe locale du FLN.

Le FLN était aussi une structure de l’État plus qu’un parti : longtemps il a fourni au système ses hommes et son idéologie. Quand, en 1989, une nouvelle Constitution instaure le multipartisme, mettant fin au système du parti unique, les analystes parlent déjà de démultiplications du FLN.

Le parti, sérieusement ébranlé par la période de la fin des années 1980, la chute de l’idéal socialiste et la contestation de sa légitimité, a su quand même réagir.

Sous la direction de Abdelhamid Mehri, proche du président Chadli Bendjedid et ancien militant nationaliste, le FLN traverse la période 1988-1996 avec une nouvelle vision. Il devient un parti, une formation politique qui s’autonomise peu à peu d’un pouvoir central en butte à l’insurrection islamiste armée.

Il sort de la « maison de l’obéissance ». Et il le paiera.

La guillotine politique à plein régime

En janvier 1995, le patron du FLN, Mehri, participe aux côtés des partis de l’opposition et de représentants du Front islamique du Salut (FIS, dissous en 1992) à une rencontre à Rome, parrainée par la communauté catholique de Sant’Egidio. La rencontre, inédite, débouche sur la signature d’une plateforme censée proposer une solution politique à la crise algérienne.

Discuter à l’étranger d’une question interne ? Entrer en contact avec ceux qui revendiquent des attentats ? Évoquer une solution politique au-delà de l’agenda du pouvoir ? Un triple crime pour le système et une partie de l’opinion publique.

Un an après, en 1996, Mehri est emporté par un « coup d’État scientifique » préparé par des cadres du parti, avec à leur tête, un apparatchik ancien ministre de Boumediène, Boualem Benhamouda, qui deviendra le nouveau patron du FLN. Ce dernier sera débarqué à son tour en 2000 au profit du chef du gouvernement de Bouteflika, Ali Benflis, lui-même cible du cercle présidentiel dès 2003 pour avoir osé s’imaginer présidentiable et « trahi » ainsi Bouteflika.

Justice mobilisée pour déclarer illégal un congrès du parti, intimidations administratives, pressions fiscales sur les soutiens parmi les patrons, agressions physiques, etc : ce dernier épisode de 2003 est intéressant par la violence des attaques de l’appareil d’État contre le FLN qui sortait de la « maison d’obéissance ». Coercitif, disais-je.

À l’époque, même le très réservé ex-patron du FLN, Boualem Benhamouda, sort de son silence : « L’attaque lancée par le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, depuis mars 2003 contre le parti du FLN est acharnée, enragée, insensée, illégale, inconstitutionnelle, sa raison principale est le refus du FLN de cautionner encore une fois sa candidature pour un second mandat présidentiel qui serait plus catastrophique que le premier » !

« La crise du FLN est la conséquence de pratiques extérieures dictées par des cercles qui refusent un véritable multipartisme et les changements qu’il implique dans le rapport du FLN au pouvoir. Les tentatives de ramener le FLN à la ‘‘maison de l’obéissance’’ n’ont pas cessé depuis le passage formel au pluralisme partisan », commentait à l’époque Abdelhamid Mehri.

Mis au pas, le parti réintègre son orbite à proximité des décideurs du moment. Un « fidèle » du chef de l’État, Abdelaziz Belkhadem, reprend les rênes du vieux parti avant d’être destitué en 2013 par un semblant de dissidence. Là aussi, les ambitions de Belkhadem, ou la perception dont en avait la présidence de la République lui ont été fatales.

Amar Saadani, fin connaisseur des arcanes du FLN et redoutable tacticien, remplace Belkhadem pour une durée de trois ans, avant de « démissionner » pour « raison de santé », comme son successeur Djamel Ould Abbes cette semaine. Son installation, par un coup de force et son éviction expresse n’ont pas dérogées à la règle.

Les partis : de simples appareils

Avec son successeur, le douzième secrétaire général du FLN, Djamel Ould Abbes, Saadani partage une spécificité : ils sont devenus les porte-voix du président Bouteflika, aussi président d’honneur du parti depuis 2005, en raison de l’absence d’apparitions publiques et de discours directs du chef de l’État depuis la détérioration de sa santé en 2013.

Des porte-voix qui, souvent, « outrepassent leur rôle, surinterprètent les messages des décideurs, en profitent aussi pour s’imposer face aux autres cadres du parti », observe un proche de la présidence. Le FLN, parti-État, parti unique, est devenu un mégaphone.

En 2005, Abdelhamid Mehri s’inquiétait déjà : « Ce qui fait véritablement peur, c’est que le FLN soit empêché d’être le continuateur des principes du 1er novembre 1954. Ça risque malheureusement bel et bien d’advenir puisqu’il me semble que certains acteurs centraux de cette crise donnent l’air de ne pas être conscients des enjeux auxquels ils sont confrontés ».

Lors d’un entretien, le sociologue algérien Nacer Djabi décèle l’autre mal profond de la politique algérienne : « Le système n’a jamais reconnu les partis comme des institutions de gestion politique. Voyez comment le président de la République nomme des ministres de souveraineté sans faire appel aux militants de partis majoritaires. Le parti qui gagne des élections ne forme pas de gouvernement et n’applique pas son programme, et le parti perdant ne rejoint même pas l’opposition ! ». 

Cloîtré dans la « maison de l’obéissance », réduit à un rôle de courroie de transmission, alternative, des orientations de Zéralda, résidence médicalisée du président Bouteflika, l’ex-parti unique vieillit très mal et laisse pendre ses faits de gloire durant la guerre de libération comme des médailles poussiéreuses sur la poitrine d’un vétéran amoindri.

Adlène Meddi est un écrivain algérien et journaliste pour Middle East Eye. Ex-rédacteur en chef d’El Watan Week-end à Alger, la version hebdomadaire du quotidien francophone algérien le plus influent, collaborateur pour le magazine français Le Point, il a co-écrit Jours Tranquilles à Alger (Riveneuve, 2016) avec Mélanie Matarese et signé trois thrillers politiques sur l’Algérie, dont le dernier, 1994 (Rivages, sorti le 5 septembre). Il est également spécialiste des questions de politique interne et des services secrets algériens.

Source : Middle East Eye (en français)

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