Visas : l’Afrique en marche (ou pas) vers la libre circulation des populations ?
7 décembre 2018
Visas : l’Afrique en marche (ou pas) vers la libre circulation des populations ?
Parallèlement à la logique d’intégration économique, le continent travaille à plus de facilités dans la mobilité intra-africaine de ses populations. Toutes les régions ne sont cependant pas logées à la même enseigne.
Les mésaventures liées aux déplacements sur le continent ne seront-elles bientôt qu’un lointain souvenir ? Le sujet, d’ampleur, était en tout cas en bonne place sur la liste des préoccupations de la Conférence économique africaine (CEA) qui s’est tenue du 3 au 5 décembre. À Kigali, les universitaires, représentants gouvernementaux et membres de hautes institutions se sont donc penchés sur « l’intégration régionale et continentale au service du développement de l’Afrique ». Le thème de cette 13e édition est un des piliers de développement établis par l’Union africaine (UA) et la Banque africaine de développement (BAD).
Car les atouts économiques conséquents d’une plus grande circulation intracontinentale sont nombreux. Elle permet, par exemple, de combler un déficit de compétences sur le marché du travail d’un pays, de renforcer la compétitivité ou encore d’ouvrir de nouvelles perspectives pour le tourisme et les investissements intra-africains. Des axes de développement qui pourraient toucher, si l’intégration régionale se concrétise, près d’un milliard de personnes.
La libre circulation plus facile qu’avant
Pour y parvenir, les pays africains sont appelés à reconsidérer leurs pratiques en termes de circulation. Ces procédés ont été étudiés à la loupe par les auteurs de « l’indice d’ouverture sur les visas » rendu public par la BAD lors de cette conférence. Le rapport examine ainsi les documents exigés par un État africain aux citoyens d’un autre pays, par exemple l’éventualité qu’un visiteur puisse séjourner sur le territoire sans visa en l’obtenant à son arrivée ou avant son voyage. Et les résultats sont encourageants.
Les données répertoriées montrent qu’en moyenne les pays sont de plus en plus ouverts les uns aux autres. Les 20 premiers pays du classement établi par la BAD – aucun n’est issu d’Afrique centrale – ont tous amélioré leur moyenne, ce qui traduit une politique plus libérale en matière de visas. Et la stratégie est payante : d’après l’indice, tous les pays du top 20 sont des États où progressent le tourisme, le PIB et les investissements.
Au total, dans ce classement, 37 pays ont ouvert leurs conditions pour l’obtention d’un visa, six les ont maintenues et onze les ont restreintes. Pour la BAD, le constat est globalement prometteur. L’institution affirme ainsi que « la libéralisation des politiques de visa doit se poursuivre » pour que le développement d’infrastructures et d’investissements puisse s’intensifier et se poursuivre en Afrique. Ses préconisations : la généralisation du passeport africain, l’exemption de visas pour les pays d’un même bloc régional et une plus grande distribution de visas à l’arrivée, notamment.
Le Bénin en tête
Mais la plus belle progression en matière de libéralisation du fameux sésame revient au Bénin. Le pays passe en effet de la 27e place du classement en 2017 à la première cette année. Un bond de géant important du fait qu’il est le seul, avec les Seychelles, qui permet aux Africains de venir sur son sol sans visa. L’initiative a été « inspirée par l’expérience du Rwanda, avait alors déclaré le président Patrice Talon, qui avait ajouté que « cette coopération sud-sud peut devenir une réalité ». Désormais, le visa n’est par exemple plus obligatoire pour les Africains entrant au Bénin pour moins de 90 jours.
Et, à partir du mois de mars, les non-Africains souhaitant y séjourner moins d’une semaine pourront demander, sur place, un visa touristique spécial. Il leur faudra seulement présenter un passeport en cours de validité, et un certificat médical attestant du vaccin contre la fièvre jaune. Enfin, à partir du mois d’avril, les visiteurs du monde entier auront la possibilité d’obtenir en ligne un eVisa pour le pays. Ce procédé intervient dans le cadre du programme national Smart Gouv visant à simplifier les processus de visa d’entrée et de court séjour.
Le Zimbabwe aussi
Autre progression en la matière à souligner, celle du Zimbabwe. Le pays intègre le top 20 du classement grâce à la mise en place d’une politique simplifiée concernant l’obtention de visas pour les membres de la Communauté de développement d’Afrique australe (SADC). Le but : promouvoir des investissements plus importants et développer le tourisme. Car le secteur est porteur. En 2017, il a représenté 7,1 % du PIB du pays, et devrait augmenter de 2,1 % cette année, d’après un rapport de l’organisation World Travel & Tourism Council. Pour poursuivre ses objectifs dans le secteur, le gouvernement a d’ailleurs développé son système de visas électroniques. Une initiative suivie également en Éthiopie, où les autorités ont automatisé leur système de demande de visas. En mai dernier, le Premier ministre Abiy Ahmed tout comme le président namibien Hage Geingob ont également annoncé vouloir libéraliser les visas pour les voyageurs africains.
Le Rwanda précurseur
Des procédés engagés aussi par le Rwanda, qui « passe de la parole aux actes et continue de donner le ton », selon Ahunna Eziakonwa, administratrice adjointe du PNUD et directrice du Bureau régional pour l’Afrique. En début d’année, les autorités ont annoncé la délivrance de visas d’entrée à l’arrivée sur son territoire pour tous les voyageurs en provenance d’Afrique. Elles ont également simplifié les voyages de ses voisins en leur permettant de circuler seulement avec une carte d’identité nationale et un passe-frontières mis en place pour les ressortissants rwandais, kenyans et ougandais. Et, en janvier 2018, le gouvernement a mis en place la possibilité pour tous les voyageurs du monde de se rendre dans le pays et d’y obtenir, sur place dès leur arrivée, un visa de 30 jours.
Un engagement salué par les partenaires de la conférence, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD) et la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (Uneca), qui ont souligné pendant la conférence le besoin urgent de poursuivre cette dynamique « au service d’une intégration inclusive et équitable ». Une vision partagée par le président de la Commission de l’UA, Moussa Faki Mahamat, pour qui « l’intégration économique répond non seulement aux aspirations nées du panafricanisme, mais également à un impératif pratique lié à la viabilité économique du continent ». Et d’ajouter : « Nos peuples, notre communauté d’affaires et nos jeunes, en particulier, ne peuvent plus attendre de voir la levée des barrières qui divisent notre continent. »
Par Marlène Panara
Le Point Afrique