Par MaxKo. Le 04.12.2018. Sur Entre La Plume et L’Enclume.
N’en déplaise aux idéalistes, le mouvement des « gilets jaunes » n’est que le fruit, la réaction organique des masses affectées par la vie chère, le niveau des taxes et la destruction organisée par le pouvoir en place depuis des décennies – et parachevées de manière encore plus brutale sous le règne de M. MACRON – des services publics.
La cause racine de ce mouvement de masse est la nécessité ; nécessité qui fait loi organique. De même qu’un arbre qui trouverait son sous-sol brutalement asséché par des conditions climatiques subitement nouvelles, verrait alors ses racines plonger, creuser et progresser sous terre jusqu’à pouvoir trouver de l’eau, ou dépérir, de même le prolétariat français s’est mit en mouvement, instantanément, alors qu’il est asséché par des conditions économiques qui, tout aussi subitement– même s’il s’agit du résultat d’un processus lent de délitement des conditions d’existences et de sa paupérisation -, ne permettent plus à sa masse, de satisfaire ses besoins immédiats de survie.
La goutte de diesel a fait déborder le vase qui contenait jusqu’alors le prolétariat dans sa misère sociale. Et ce mouvement n’échappe pas à la dialectique de la nature.
La nature est en mouvement. On le sait – sauf les idéalistes et les mystiques/religieux -, elle évolue par bonds, et pas autrement. Ces bonds sont quantitatifs, jusqu’à ce qu’ils atteignent un point de rupture, révolutionnaire, qui donne lieu à un bond d’une autre nature, un bon qualitatif.
Ainsi, de même que l’eau que l’on chauffe voit sa température augmenter plus ou moins vite (par une succession de bonds quantitatifs) en fonction de la quantité d’énergie affectée à son réchauffement, sans que ne change son état/structure fondamentale, mais de même que la même eau passe subitement d’un état/structure liquide à un état gazeux lorsqu’elle atteint 100°C, le prolétariat français, dans toute sa masse, se met aujourd’hui à bouillir de toute part, sur tout le territoire, parce qu’il est affecté par des conditions économiques qui à force de se dégrader continuellement, viennent de franchir un seuil qualitatif. Les conditions économiques dans lesquelles vit le prolétariat ne lui permettent désormais plus, subitement, de tenir, c’est-à-dire d’assurer sa survie.
Alors le voilà qui change d’état ; de l’état léthargique auquel le pouvoir (notamment sa branche médiatique vecteur de toute l’idéologie dominante) l’assigne en permanence (consomme si tu peux, regarde la télé sinon, mais surtout sois sage et tais-toi), le prolétariat passe à l’action.
Il faut bien comprendre que ce changement d’état ne procède que du bond qualitatif de ses conditions d’existence même. Un bond en arrière, bien sûr. Les masses ne peuvent tout simplement plus survivre désormais, subitement, parce le seuil de leur souffrance est franchi : les besoins vitaux du prolétariat sont désormais affectés par les prélèvements (dans toutes leurs formes, baisse des revenus, hausse des taxes, suppression des services publics gratuits…) que le capital lui inflige pour assurer son rendement (et lutter contre le dépérissement inéluctable de son taux de profit, ce qui est l’essence même de sa crise ontologique).
C’est ce bond qualitatif, en arrière (ou plutôt négatif, comme lorsque l’eau passe de l’état liquide à l’état solide (glace) lorsque sa température atteint 0°C), qui a mis en mouvement la masse du prolétariat, dans une forme originale, revêtue de gilets jaunes. Ainsi parce que le prolétariat ne peut plus tenir sans dépérir, il change d’état et se meut, dans un mouvement qui est assurément d’essence révolutionnaire.
Mais désormais que le mouvement est lancé, comment peut-il aboutir, non pas seulement à un recul du pouvoir en place qui lâcherait un peu de lest comme la cuisinière baisse le feu sous la casserole pour arrêter l’eau d’y déborder, mais pour obtenir un changement concret, pérenne, de ses conditions d’existence. Et là il s’agit de comprendre que ce changement n’est pas celui de l’État lui-même, ce qui tiendrait d’une projection idéaliste (on a jamais vu historiquement un État devenir, par enchantement, du jour au lendemain, égalitaire ou socialiste ou d’une forme nouvelle et utopique de laquelle s’obtiendrait une redistribution idéale des richesses), mais un changement réaliste des rapports de force à l’intérieur de l’État, qui ferait à l’avenir de la masse du prolétariat en gilets jaunes, rouges ou sans gilet, une classe digne de celle des sans-culottes qui a fait la révolution française, et qui serait capable de s’opposer à la classe des « 1% » qui monopolise les richesses et les moyens de les produire.
La nécessité a déclenché le mouvement, le mouvement nécessite désormais une organisation.
L’histoire est alors aidante pour comprendre et choisir la forme d’organisation que doit revêtir le mouvement. Les sans-culottes ont fait des doléances en 1789. On sait qu’il en sera fait litière, parce leurs représentants n’étaient tout simplement pas de leur classe. La Convention n’a été qu’une assemblée regroupant des bourgeois, représentant dès lors les seuls intérêts bourgeois (sauf exception comme Robespierre, mais avait-il saisi l’affrontement de classes qui se tramait alors ?), c’est pourquoi la révolution française restera une révolution bourgeoise, la forme d’organisation du prolétariat sans-culotte ne permettant pas davantage. (Mais surtout le niveau de développement des moyens de production et des forces productives ne permettaient pas autre chose que l’amorce accélérée du développement industriel et commercial capitaliste. NDLR).
En revanche, en octobre 1905, en Russie, un mouvement de masse donna lieu à une grève générale d’ampleur, de laquelle naquirent des assemblées spontanées d’ouvriers qui élurent leurs délégués, eux-mêmes rassemblés en assemblées de délégués coordonnant les assemblées de base, les unes aux autres. Il s’agissait des soviets de députés ouvriers. (Faux, les ouvriers étaient 3 millions et les moujiks illettrés 135 millions ployant sous le joug féodal – les soviets paysans créeront le capitalisme industriel d’État. NDLR)
Les masses y étaient organisées en une forme révolutionnaire de pouvoir politique dont la clé de voute ne tenait pas de l’élection de représentants investis ratione personae pour une durée déterminée, comme le sont les députés de l’assemblée nationale (qui une fois élus, sont libres de plaider et voter des textes de loi sans compte à rendre, jusqu’à la prochaine élection). Cette forme nouvelle révolutionnaire d’organisation était basée sur un mode particulier de désignation (par votation démocratique) de délégués. Ces délégués étaient en effet concrètement mandatés (et non pas personnellement investis d’un pouvoir de représentation) pour faire valoir les revendications, les points de vue, les décisions et les motions de leur assemblée. Le délégué portait ainsi concrètement, ratione materiae, les délibérations prises par la masse des membres composant chaque assemblée. (l’idée est intéressante mais elle ne donnera que ce que les assemblées paysannes peuvent imaginées en terme de nouveau mode de production… d’où les bolcheviques réquisitionneront le pouvoir. NDLR).
Bien entendu, ces délégués étaient désignés après un vote, à la majorité simple ou renforcée, il n’importe, et il revenait à chaque assemblée de choisir le mode de scrutin qui convenait. Mais en revanche, l’élection des délégués ne leur conférait pas de mandat de représentation, mais leur assignait une mission précise, une obligation de faire, en l’occurrence faire entendre et valoir les propositions de l’assemblée d’ouvriers (sic) dont ils émanaient. A défaut, les délégués étaient révocables et cette révocabilité immédiate, à tout instant et ad nutuum, par leur assemblée mandante.
Un tel mandat de délégué révocable, est la seule forme efficiente, efficace d’organisation, en même temps que réellement démocratique.
Cette forme révolutionnaire d’organisation a fait ses preuves. C’est elle qui a permis, après la grève d’octobre 1905, d’aboutir à la révolution d’octobre 1917.
Durant douze ans, les assemblées d’ouvriers ainsi structurés en soviets,ne cesseront de nourrir une intense activité politique et une intense lutte, jusqu’à précisément devenir un contre-pouvoir aux doumas (assemblées législatives et municipales de Russie) en place, pour finir par prendre « tout le pouvoir ». Qu’il nous soit permis ici de souligner qu’il ne s’agit pas, par ce plongeon dans l’histoire, de convaincre ou tenter de convaincre le lecteur des bienfaits ou avantages de la révolution soviétique qu’il s’agirait d’imiter/copier. Il ne s’agit pas plus de tenter de convaincre des mérites de la révolution russe, des bolcheviks ou de l’URSS, mais seulement de faire le constat simple suivant : la forme d’organisation spontanément adopté par le prolétariat russe a permis de concrétiser son mouvement de masse de manière effective. (faux puisque quelques années plus tard l’URSS sera devenue l’une des puissances impérialistes donc une superstructure organisationnelle ne peut donner davantage que ce que l’infrastructure archaique peut donner. En France en 2018, l’infrastructure de production est toute autre. NDLR)
Les soviets d’ouvriers (notamment le plus important, celui de Pétrograd) n’étaient alors que des assemblées générales d’ouvriers en grève ; il s’agissait ainsi d’organisations sans direction politique autre que les ouvriers eux-mêmes, sans intervention partisane (sic). Il est intéressant à cet égard, de relire la brochure de Lénine, publiée à l’époque en 1905, intitulée « Nos tâches et le soviet des ouvriers de Pétrograd ». Il y exposa que la « question – très importante – est (…) de savoir comment partager et comment coordonner les tâches du Soviet et celles du Parti ouvrier social-démocrate de Russie » et d’ajouter qu’il « me semble que le Soviet aurait tort de se joindre sans réserve à un parti quelconque.Cette opinion ne manquera pas probablement d’étonner le lecteur » mais, expliquera-t-il alors, le « Soviet des députés ouvriers est né de la grève générale, à l’occasion de la grève, au nom des objectifs de la grève. Qui a conduit et fait aboutir la grève ? Tout le prolétariat au sein duquel il existe aussi, heureusement en minorité, des non-social-démocrates. Quels buts poursuivait la grève ? Économiques et politiques, tout ensemble. Les buts économiques concernaient tout le prolétariat, tous les ouvriers et en partie même tous les travailleurs, et pas seulement les ouvriers salariés. Les buts politiques concernaient tout le peuple, plutôt tous les peuples de la Russie. Les buts politiques consistaient à libérer tous les peuples de Russie du joug de l’autocratie, du servage, de l’arbitraire et des abus de la police ». (C’est ce que nous disions précédemment – les peuples de Russie 135 millions de serfs vis-à-vis 3 millions d’ouvriers – avaient besoin d’être libérer du servage pour devenir esclaves salariés de l’État soviétique. Aujourd’hui les ouvriers russes doivent faire la révolution prolétarienne, NDLR).
On sait que les gilets jaunes, désabusés, se revendiquent apolitiques, abhorrent même les partis, rejettent les syndicats, mais reprennent des revendications non seulement économiques (baisse des taxes, hausse du pouvoir d’achat, revalorisation des salaires, regain des services publics, etc.), mais aussi politiques (plan d’isolation des logements, 25 élèves maximum par classe, non remboursement de la dette, aide aux migrants, etc.) qui intéressent ainsi non seulement tous les travailleurs, mais au-delà tout le peuple. (Ces dernières revendications sont tout aussi économique que les précédentes camarades MaxKo. NDLR)
S’organiser en assemblées partout est désormais une nécessité du mouvement.
La nécessité, c’est de s’organiser partout, c’est-à-dire non pas en fonction de circonscriptions géographiques objectives et discriminantes, mais partout où se forme une masse de gilets jaunes, rouges et sans gilets mobilisés ensemble, partout où émergent des groupes militants unis dans l’action.
Chaque groupement doit s’auto-instituer en comité autonome, organisé via des délégués, chacun sur la base des revendications de ses membres. Chaque comité doit ensuite se coordonner avec les autres, de manière à faire émerger une ligne commune, un programme ainsi qu’une stratégie et une tactique pour l’atteindre, et ce encore via leurs délégués.
Ce n’est qu’ainsi que le prolétariat en gilets jaunes, rouges ou sans gilet mais réuni, pourra peser, non pas temporairement, le temps d’obtenir quelques satisfactions (reculs) du pouvoir en place, mais durablement, comme le firent les ouvriers russes de 1905 à 1917 (et au-delà…), en devenant une force politique autonome, une force de lutte organisée et permanente, pour la satisfaction des masses, contre la domination de la classe possédante, avec comme but ultime, lui reprendre le pouvoir à terme.
Sinon le mouvement des gilets jaunes pourrait connaître le même sort que celui de mai 68. N’être qu’un épisode d’agitation, jusqu’au prochain mouvement de masse qui surviendrait alors, inéluctablement encore, lorsque le pouvoir en place aura repris ce qu’il n’aurait lâché que temporairement.
Le 2 décembre 2018
Par MaxKo