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3 novembre 2024

Le malheur des migrants


 

 

 

Coincés en Libye

  • 8 juil. 2019
La Libye est devenue une des étapes obligées, le pays de transit, pour les migrants qui cherchent à aller en Europe ; mais pour la majorité des personnes, ce n’est pas qu’un pays de transit… Les gens y restent coincés. Témoignages de quatre Soudanais actuellement coincés dans des camps en Libye.

 

    Beaucoup de pratiques illégales se sont développées avec cette immigration : enlèvements de migrants, extorsion, vol et racket, détention dans des centres de détention aux conditions inhumaines, vente d’hommes sur des « marchés aux esclaves »… Des détenus ont lancé un appel de détresse après le bombardement d’un centre de détention à Tajoura, en banlieue de Tripoli, lors duquel une centaine de personnes a été tuée et blessée. Nous avons parlé au téléphone, via messenger et whatsapp, avec quatre Soudanais actuellement coincés dans des trois camps différents en Libye.

Nous voulons partager leurs témoignages pour alerter une fois de plus sur les conditions dans lesquelles vivent les personnes coincées en Libye, au moment où la Libye est plus que jamais divisée et sa capitale Tripoli est en proie à une violente guerre civile, et l’Union Européenne traite le « problème des migrants en Libye » du seul point de vue sécuritaire et ne se soucie pas de son aspect humanitaire. En Libye, le réfugié est la première victime de cette guerre désertée de tous.

Huit ans après la chute du régime de Kadhafi, le chaos politique s’est instauré et le pays, devenu centre de l’immigration africaine, est géré par des milices qui passent à tabac, violent, et commettent toutes sortes de mauvais traitements sur les migrants.

Khatab est originaire du Darfour, il est arrivé en Libye en 2016 à l’âge de 18 ans, après avoir fui sa région d’origine et avec l’objectif d’atteindre l’Europe. Les autorités libyennes ont intercepté Khatab quatre fois alors qu’il se trouvait en mer Méditerranée pour se rendre en Italie.

« La dernière fois qu’on a été interceptés, on était sur un bateau en plastique avec d’autres migrants, raconte Khatab, et quand nous sommes arrivés au milieu de la mer, le matin du troisième jour de la traversée, un navire des autorités italiennes nous a ordonné de monter à bord d’un navire marchand libyen qui était à proximité, et ils nous ont dit que ce navire allait vers l’Italie. Mais on a été très surpris quand on a compris qu’ils nous avaient menti et que ce bateau nous ramenait en fait en Libye. Arrivés au port de Misrata en Libye, on a refusé de descendre du bateau et on a passé deux jours à l’intérieur, en grève de la faim. On refusait de descendre. Le troisième jour, des dizaines de militaires sont arrivés avec des armes à feu. Ils ont battu, frappé tout le monde et nous ont jeté du bateau. Lorsqu’ils nous ont traîné en dehors du bateau, ils nous ont accusé d’être pirates et d’avoir menacé le capitaine du navire marchand, et nous ont emmené dans un centre de détention. On a été emmenés de prison en prison, de centre de détention en centre de détention. On ne savait pas quand on allait être libérés. »

« Pour être emprisonné en Libye, pas besoin d’être intercepté en mer, explique Radwan, un autre Soudanais coincé en Libye. « Moi je n’ai jamais été près de la mer, mais j’ai été arrêté trois fois, mis en prison et battu, forcé à payer des grosses sommes d’argent en échange de ma libération. »

Khatab et Radwan expliquent que les migrants sont souvent arrêtés lors de leurs déplacements d’une ville à une autre en Libye. Les gens sont arrêtés pendant leurs heures de travail, dans la vie quotidienne, sur le marché et dans les lieux publics. « Les migrants en Libye n’ont aucune liberté de mouvement », dit Radwan. Il raconte que le mois dernier, en juin, une vingtaine de Soudanais ont été kidnappés dans la ville frontalière d’Umm Al-Arban, au Sud du pays.

Selon Rashid, huit personnes ont aussi été enlevées il y a plusieurs mois dans la région de Syrte, à l’est de Tripoli, et déportées dans la prison de Mahitika, à l’intérieur de Tripoli. La liste de ces personnes lui est connue, mais nous ne transmettons pas leurs noms pour des raisons de sécurité.

Rashid continue : « beaucoup de personnes ont perdu contact avec eux. Ils disparaissent souvent dans des circonstances mystérieuses pendant les heures de travail ou lors de leurs déplacements. Par exemple, mon ami Rami, arrivé en Libye en 2017 à la recherche de travail et lors d’un voyage entre les villes de Zawia et Benghazi, a disparu. On n’a pas réussi à entrer en contact avec lui ou à retrouver sa trace depuis deux ans. On est aussi nombreux dans les centres de détention à avoir perdu des amis, des proches, qui se trouvaient dans d’autres villes ou voyageaient entre plusieurs villes en Libye. »

Amin témoigne à propos des très mauvaises conditions de vie dans les camps mis en place par les Nations Unies et l’Union européenne : « en Libye, il n’y a pas de différence entre les camps de migrants des Nations Unies et les prisons des milices. On ne peut pas en sortir, on souffre de gros problèmes de santé on n’a aucun accès aux soins, on manque de nourriture, et les camps manquent de services et de personnel. On est soumis aux mêmes traitements, avec des coups, des insultes, et surtout le travail forcé dans des fermes. On nous oblige à faire un travail qui n’est pas rémunéré, surtout quand le propriétaire de la ferme est aussi le directeur de la prison ou membre de la milice. Franchement, la réinstallation en Europe dont certains parlent, on ne la voit pas. Depuis mon arrivée en avril 2018, je n’ai jamais entendu parlé d’une personne ayant été réinstallée en Europe, parmi toutes les personnes qui se trouvent avec nous dans le centre de détention. »

Les enfants migrants subissent les mêmes traitements, et font face aux mêmes risques que les détenus adultes. Selon les témoignages, beaucoup d’enfants, y compris des nouveau-nés, sont détenus dans les centres de détention d’Ain Zara, Tajura et Misurat. Ces enfants et leurs mères n’ont accès ni à de la nourriture adaptée, ni aux soins. Il n’y a aucun espace de jeu, aucun accès à de la scolarité, et les femmes sont violées à répétition, contraintes d’accoucher dans des conditions horribles, battues même enceintes, comme leurs enfants.

En tant que personnes présentes en France, on aimerait rappeler dans ce cadre que l’Union Européenne intensifie ses efforts depuis 2016 pour empêcher les bateaux de quitter la Libye ; les décideurs politiques justifient cela par la nécessité politique de « renforcer le contrôle des frontières extérieures de l’Europe » et « briser le modèle économique des passeurs », et la nécessité soi-disant humanitaire d’empêcher les personnes de se noyer à bord de « bateaux dangereux ». En réalité, c’est une manière pour l’Europe d’éviter complètement ses responsabilités résultant de l’arrivée des migrants, en particulier la prise en compte de demandes de protection et de demandes d’asile, en donnant à des pays extérieurs le soin de « s’occuper du problème ».

Les institutions de l’UE ont ainsi consacré des millions d’euros à des programmes visant à renforcer les capacités du gouvernement dit de « réconciliations nationale » basé à Tripoli, qui est partie prenante dans le conflit actuel et dont l’autorité découle en grande partie d’alliances instables avec les milices paramilitaires. L’Italie a joué un rôle de premier plan dans la fourniture d’assistance matérielle et technique aux garde-côtes libyens, et Khatab a expliqué ce qui se passe lorsque les personnes sont « reconduites » en Libye. Les opérations de sauvetage en mer sont, elles, de plus en plus limitées et empêchées, et les capitaines des bateaux de sauvetage arrêtés, conséquence directe de la politique italienne actuelle, et de l’arrivée au pouvoir du gouvernement de Salvini.

Article écrit par Hamad Gamal (Lyon).

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