Par Leslie Varenne (revue de presse : IVERIS – 17/12/19)*
Alors qu’Emmanuel Macron s’est engagé sur le plan national dans une séquence hautement inflammable, il a également inscrit à son agenda deux rendez-vous internationaux potentiellement explosifs. Le premier aura lieu en Côte d’Ivoire du 20 au 22 décembre, le second est le sommet avec les chefs d’Etat du G5 Sahel, initialement prévu le 16 décembre à Pau et reporté au 13 janvier. Dans le climat actuel où la présence française en Afrique de l’Ouest est fortement contestée par les opinions publiques, ces événements sont plus que périlleux. Chaque mot, chaque expression, chaque geste du chef de l’Etat français sera scruté à la loupe et le moindre dérapage pourrait jeter encore de l’huile sur le feu.
Si l’Elysée semble l’avoir découvert récemment, le climat de contestation de la politique africaine de la France, particulièrement en Afrique de l’Ouest, n’est pas un phénomène nouveau, même s’il prend chaque jour de l’ampleur. Depuis quelques années, les ambassadeurs en poste dans les pays d’Afrique francophone alertent, en vain. Rien n’a été entrepris pour essayer de juguler ce mouvement, pas de cellule de veille, ni de crise pour tenter de répondre aux multiples fausses informations qui circulent ; pas non plus de modification de la politique menée. En revanche, s’il y a bien eu un changement, il est dû à la personnalité d’Emmanuel Macron, à son ton impérieux et à sa manière bien peu diplomatique de s’adresser à ses pairs.
« On pense qu’en ce moment le président français devrait avoir bien d’autres choses à faire que de survoler la lagune Ebrié »
Dans ce contexte, sa prochaine visite en Côte d’Ivoire, à un an de l’élection présidentielle, est un pari fort audacieux. Depuis la mi-2018, date à laquelle le parti d’Henri Konan Bédié, PDCI, a décidé de rompre son alliance avec Alassane Ouattara et le RHDP, la situation est particulièrement tendue dans ce pays. Le président ivoirien se retrouve seul, coupé d’une grande partie de la base politique et sociologique ivoirienne, néanmoins, il ne semble pas s’en inquiéter. Il est bien décidé à passer outre les règles du jeu démocratique en ne tenant aucun compte des multiples demandes de l’opposition, notamment celle concernant la modification de la Commission électorale indépendante (CEI) que tous les partis d’opposition s’apprêtent à boycotter. Dans cette situation, la venue d’Emmanuel Macron est perçue par une grande partie de la population et par les opposants comme un adoubement de la stratégie d’Alassane Ouattara ; comme une ingérence de l’ancien colonisateur dans la campagne électorale. « Avec la crise des retraites et celle du Sahel, on pense qu’en ce moment le président français devrait avoir bien d’autres choses à faire que de survoler la lagune Ebrié » dit un homme politique. Pour l’instant, au programme du chef de l’Etat ne figure pas de rencontre avec l’opposition, ce qui aurait pu aider à déminer le terrain. En revanche, en plus du réveillon de Noël anticipé avec les militaires français présents en Côte d’Ivoire, Emmanuel Macron doit inaugurer le grand marché de Bouaké qui sera construit par l’entreprise française Colas, donnant ainsi du grain à moudre à ceux qui ne cessent de stipendier les intérêts de l’Hexagone en Afrique. Il devrait également rencontrer les étudiants d’une université comme il l’avait déjà fait à Ouagadougou en 2017. Cette séquence malheureuse, encore dans toutes les mémoires, n’avait pas participé à redorer le blason de l’Hexagone. En réitérant l’exercice, Emmanuel Macron s’engage sur un terrain glissant, il n’est pas à l’abri d’une désastreuse sortie de route.
En attendant, les partis d’opposition ont d’ores et déjà prévu, le 21 décembre, un grand meeting, pour saluer, à leur manière, la visite du président français…
Comment attiser les braises au lieu d’apaiser les tensions…
De toute évidence, les images de ce rassemblement ne seront pas de nature à redonner confiance aux chefs d’Etat du G5 Sahel qui sont pris en étau entre leurs opinions publiques et les injonctions d’Emmanuel Macron. Le 4 décembre, lors du sommet de l’OTAN, le chef de l’Etat a invité les présidents du G5 Sahel à se rendre à Pau le 16 décembre en ces termes : « J’attends d’eux qu’ils clarifient et formalisent leurs demandes à l’égard de la France et de la communauté internationale » « Souhaitent-ils notre présence et ont-ils besoin de nous ? Je veux des réponses claires et assumées sur ces questions. » (1) Cette déclaration vécue comme une convocation et un chantage, a créé un tollé magistral et suscité d’innombrables réactions. Parmi celles-ci, le communiqué de l’amicale des anciens ambassadeurs du Mali dans lequel ces ex-diplomates se sont étonnés du « ton éminemment discourtois », ont rappelé le B.A BA : « cette attitude ne sied pas aux relations de courtoisie et de respect mutuel qui doivent exister entre chefs d’Etat souverains » et ont invité « les hautes autorités françaises à dorénavant observer les règles diplomatiques pertinentes entre les Etats ». (2)
Cette « convocation » a également plongé les présidents du G5, intimement priés de se rendre en France, dans un profond malaise. Faut-il obéir au président français au risque de se faire conspuer par leurs peuples ou, au contraire, décliner l’invitation au risque de perdre le soutien de la France dans la lutte contre le terrorisme ? Le malaise est double, car si le choix de Pau peut se comprendre vu de Paris, puisque sept des treize soldats français morts au Mali le 25 novembre dernier étaient cantonnés dans la base de cette ville, vu du Sahel la situation est différente. Depuis le début de l’année 2019, ce sont plusieurs centaines de militaires, maliens, burkinabés, nigériens qui sont eux aussi tombés au champ d’honneur et Emmanuel Macron ne s’est pas rendu aux cérémonies d’hommages.
En créant cette situation et en « obligeant » les chefs d’Etat à venir en France, sous peine de remettre en cause l’intervention française à un moment où la situation sécuritaire est d’une gravité sans précédent, Emmanuel Macron détruit la légitimité des présidents du G5 au pire moment de leur histoire. Et ce n’est pas le moindre des paradoxes puisque la France les a soutenus, en d’autres temps, contre vents et marées et les a adoubés lors d’élections contestées. Tous les Maliens ont encore en mémoire le communiqué de Jean-Yves Le Drian, saluant la victoire d’Ibrahim Boubacar Keïta avant même le communiqué du Conseil constitutionnel malien.
C’est dans ce contexte de tollé et de confusion qu’a eu lieu, le 10 décembre dernier, le drame d’Inates au Niger où, selon le bilan officiel, 71 militaires sont morts lors d’une attaque revendiquée par l’Etat islamique. C’est le pire drame de l’histoire de l’armée nigérienne. La France a reporté sine die la réunion de Pau et les présidents du G5 se sont retrouvés, le 15 décembre, lors d’un sommet à Niamey, afin de se concerter, après avoir rendu les honneurs aux militaires morts.
A ce stade, de nombreux observateurs de la situation sahélienne, dont l’auteur de ces lignes, espéraient que l’Elysée avait entendu les anciens ambassadeurs maliens et que la rencontre entre la France et les pays du Sahel s’organiserait, dans un Etat du G5, avec tact, « dans le respect des règles diplomatiques pertinentes entre Etats ». Or, ce 17 décembre, le sommet est une nouvelle fois convoqué par Paris le 13 janvier prochain à… Pau, pour « réévaluer les objectifs de l’engagement français » dans la zone…
*Source : IVERIS
L’IVERIS (Institut de Veille et d’Etude des Relations Internationales et Stratégiques) est dirigé par Leslie Varenne