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19 décembre 2024

Covid-19 : un échange entre deux médecins réveille le spectre des essais cliniques sauvages en Afrique P


ublié par Gilles Munier sur 4 Avril 2020, 07:21am

Les résidents de la ville de Lagos, la capitale économique du Nigeria, faisant leurs dernières courses au Oke-Odo Market le 30 mars 2020, quelques heures avant l’entrée en vigueur du confinement général de la ville.  (ADEKUNLE AJAYI / NURPHOTO)

A l’aune de la pandémie liée au nouveau coronavirus, un extrait vidéo met le feu aux poudres. 

Par Falila Gbadamassi (revue de presse : France info/ Afrique – 3/4/20)*

L’extrait d’un entretien sur la chaîne d’informations française LCI, qui circule sur les réseaux sociaux depuis le 1er avril 2020, indigne les Africains de la diaspora et du continent. A l’origine de la colère, une question posée par Jean-Paul Mira, chef du service de réanimation à l’hôpital Cochin à Paris, à Camille Locht, directeur de recherche à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), à propos du vaccin BCG, une option envisagée dans le traitement du Covid-19.

« Si je peux être provocateur, lance Jean-Paul Mira, est-ce qu’on ne devrait pas faire cette étude (sur l’efficacité du BCG utilisé pour prévenir la tuberculose) en Afrique où il n’y a pas de masque, pas de traitement, pas de réanimation ? Un peu comme ça s’est fait d’ailleurs pour certaines études sur le sida où, chez des prostituées, on essaye des choses parce qu’on sait qu’elles sont hautement exposées et elles ne se protègent pas. Qu’est-ce que vous en pensez ? » 

Camille Locht lui répond alors sans relever l’ambiguïté de la question : « Vous avez raison. Et d’ailleurs, on est en train de réfléchir en parallèle à une étude en Afrique justement pour faire ce même type d’approche avec le BCG et un placebo. Je pense qu’il y a un appel d’offre qui est sorti ou va sortir, et je pense qu’on va en effet sérieusement réfléchir à ça aussi. Ça n’empêche pas, qu’en parallèlle, on puisse réfléchir à une étude aussi en Europe et en Australie ».

A la suite des réactions que suscitent ces propos, l’Inserm signale dans un communiqué qu’« une vidéo tronquée tirée d’une interview sur LCI d’un de (ses) chercheurs (…) fait actuellement l’objet d’interprétations erronées ». L’organisme, dont le communiqué est précédé sur Twitter du hashtag #FakeNews, a souhaité préciser la pensée du Dr Locht : « Des essais cliniques visant à tester l’efficacité du vaccin BCG contre le Covid-19 sont en cours ou sur le point d’être lancés dans les pays européens (Pays-Bas, Allemagne, France, Espagne…) et en Australie, peut-on lire. S’il y a bien actuellement une réflexion autour d’un déploiement en Afrique, il se ferait en parallèle de ces derniers. »

Jean-Paul Mira, joint par le Huffington Post, « explique (lui) avoir été pris de court dans un échange qui était rapide, et surtout avoir voulu faire référence également aux différentes études mentionnées par l’Inserm ». Selon le praticien, « l’Afrique pourrait être encore plus exposée aux formes graves, car il y aura peu de masques et peu de confinement du fait de la structure sociale. Il me semblait alors intéressant que, en plus de la France et de l’Australie, un pays africain puisse participer à cette étude dont je n’avais jamais entendu parler avant l’émission. »

Les deux hommes ont présenté leurs excuses le 3 avril dans la soirée.

« L’Afrique n’est pas un laboratoire »

De nombreux anonymes et personnalités, comme les anciens internationaux Samuel Eto’o et Didier Drogba, sont montés au créneau pour dénoncer « le racisme » et « le mépris » contenus dans l’échange incriminé. « ll est inconcevable que nous continuions à accepter ceci. L’Afrique n’est pas un laboratoire. Je dénonce vivement ces propos graves, racistes et méprisants ! », écrit l’ancien footballeur ivoirien Didier Drogba. « Quand on parle de racisme dans la médecine, on parle de ces gens-là« , note dans un tweet l’écrivaine et militante afro-féministe Amandine Gay.

« Ces propos ne révèlent-ils pas, à l’endroit des corps noirs un mépris, fut-il inconscient et présenté d’un ton badin et gourmand sur le thème de la ‘provocation’« , pointe un communiqué de SOS Racime qui a saisi le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA). L’association de lutte contre le racisme attend « de LCI qu’elle revienne sur cette séquence autrement que pour la valider et des deux médecins concernés des excuses. » Contactée par l’AFP, la chaîne n’a pas commenté et renvoie aux réponses de l’Inserm et de Jean-Paul Mira.   

Pour sa part, l’activiste tchadien, directeur Afrique de l’ONG Internet sans Frontières, Abdelkerim Yacoub Koundougoumi, a annoncé le dépôt d’une plainte « contre la chaîne française LCI et Jean-Paul Mira ». Contacté par franceinfo Afrique, il confirme qu’une plainte sera déposée lundi 6 avril 2020, à l’instar d’une saisine du CSA.

Le défenseur des droits humains indique également qu’une pétition est en préparation. « Nous avons crée un collectif  – #LesAfricainsNeSontPasDesCobayes – qui réunit des organisations de la diaspora africaine, de la société civile en France et en Afrique. Nous avons laissé passer trop de choses. Nous allons les traîner devant la justice parce que nous voulons créer une jurisprudence afin que plus personne ne se permette de dénigrer et d’insulter impunément le peuple africain dans les médias ou ailleurs. Nous en avons assez ! » 

De mauvais souvenirs

Dans un article publié par Le Monde diplomatique en 2015, le chercheur français Jean-Philippe Chippaux, auteur notamment de Pratique des essais cliniques en Afrique (IRD Editions, 2004), avait détaillé à travers plusieurs exemples la façon dont le continent était devenu « le cobaye de Big Pharma (la puissante industrie pharmaceutique, NDLR) » : « En Afrique, les éventuelles réglementations médicales et pharmaceutiques datent de l’époque coloniale et apparaissent obsolètes ou inadaptées. Les risques de manquements à l’éthique sont d’autant plus grands que les laboratoires délocalisent de plus en plus leurs tests sur le continent noir. (…). En outre, les conditions épidémiologiques en Afrique se révèlent souvent plus propices à la réalisation d’essais : fréquence élevée de maladies, notamment infectieuses, et existence de symptômes non atténués par des traitements itératifs et intensifs. Enfin, la docilité des patients, en grande détresse compte tenu de la faiblesse des structures sanitaires locales, facilite les opérations. »

La levée de boucliers suscitée par l’échange entre Jean-Paul Mira et Camille Locht est un signal fort, le souhait de ne plus voir se reproduire les essais sauvages qui ont émaillé l’histoire médicale du continent. D’autant que les propos et la polémique, qui en découle, interviennent alors qu’une rumeur persistante, propagée via des messages non sourcés sur les réseaux sociaux, insinue que des essais cliniques de vaccin pourraient être imposés aux Africains.

*Source : France Info/Afrique

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