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28 mars 2024

En Afrique, l’image de l’Occident sort très abîmée de la crise sanitaire


Publié par Gilles Munier sur 8 Mai 2020, 08:58am

Par Leslie Varenne (revue de presse : Sputnik – 5/5/20)*

L’Afrique subsaharienne est en passe de déjouer les scénarios catastrophes prédits. Cependant, la gestion de la pandémie par les institutions internationales et les pays européens accentue la crise de confiance envers les Occidentaux et préfigure une nouvelle donne géopolitique. Analyse pour Sputnik de Leslie Varenne, directrice de l’Iveris.

Comme l’ONU et l’OMS, ils ont été nombreux à prophétiser le pire en Afrique. Mélinda Gates, l’épouse de Bill, a déclaré à CNN, avec l’air compassé de ces dames patronnesses d’un autre siècle, qu’elle n’en dormait pas la nuit, elle imaginait les cadavres gisant dans les rues. Mais qui leur a soufflé ce scénario apocalyptique? Probablement les mêmes qui ont annoncé aux dirigeants français et britannique que leurs États dénombreraient chacun, dans le pire des cas, 500.000 décès: l’impérial Collège de Londres et son mentor Neil Fergusson –qui s’était pourtant déjà lourdement trompé lors de la crise de la vache folle et de la grippe aviaire.

Le logiciel de la bêtise

L’Occident vieillissant continue de prêter attention à des modélisations, à des probabilités mathématiques vides de sens. X décès pour un pays de X habitants, multiplié par 55 États, égale des millions et des millions de morts, dixit Antonio Guterrez.

En avril, le très sérieux think tank, Africa Center for Strategic Studies, l’institution universitaire pour l’Afrique du Pentagone, a publié une étude, non moins sérieuse, sur les facteurs de risque liés au coronavirus sur le continent. Ils ont choisi des critères aussi différents que l’âge médian, la liberté de la presse, la transparence gouvernementale, l’état des structures sanitaires. Puis ils ont passé torchons et serviettes au mixeur. Que croyez-vous qu’il en soit ressorti? Des confettis… Le pays qui aurait dû être le plus impacté est le Soudan du Sud, qui dénombre à ce jour 46 cas, alors que l’Afrique du Sud, qui est en tête du nombre de personnes infectées par le coronavirus (7.220), se retrouve à la 28e place de ce classement.

C’est un peu comme si un «scientifique» avait calculé le nombre probable de contaminés dans l’Hexagone en fonction de la capacité des Français à subir un confinement draconien sur la base de la popularité de leur Président! Et pourtant ils l’ont fait…

Pour une fois, Dieu est noir…

L’Afrique subsaharienne francophone se réjouit d’avoir déjoué de si aberrantes et si sombres prédictions. Pour une fois, ce n’est pas sur elle que la foudre est tombée, mais sur la tête des pays riches avec leurs systèmes de santé perfectionnés.

Il fut un temps pas si lointain, en avril 2019, où l’OTAN pressait ses alliés de jouer un plus grand rôle en Afrique pour, entre autres, se prémunir des menaces sanitaires en provenance de ce continent. Mais personne, absolument personne, n’avait envisagé le scénario inverse.

Bien sûr, il reste une part de méfiance et de doute quant au devenir de l’épidémie. Difficile encore d’appréhender la réalité des chiffres. Dans les pays francophones d’Afrique subsaharienne, certains États gonflent le nombre de cas pour toucher la «rente Covid», d’autres les minorent par manque de tests et/ou pour jouer les bons élèves. D’autres encore pratiquent un savant alliage: un peu mais point trop… Cependant, force est de constater que le virus reste circonscrit dans le milieu des élites et n’atteint pas ou très peu les quartiers populaires densément peuplés. À tel point que les populations se demandent: «Mais où est ce corona?» Quel est donc ce virus qui ne s’en prend qu’aux grandes puissances et aux nantis de leurs pays?

Ici et là, au Mali, au Burkina Faso, au Niger, des révoltes éclatent un peu partout pour en finir avec les restrictions des libertés prises pour lutter contre la pandémie. Les manifestants demandent la réouverture des marchés, des lieux de culte et l’abrogation des couvre-feux. L’exaspération est telle que les chefs d’État se voient dans l’obligation de lever une à une les mesures liberticides.

L’effet «Mira»

À cette colère s’en ajoute une autre, celle déclenchée par les propos du chef de service de réanimation de l’hôpital Cochin à Paris, Jean-Paul Mira, qui a émis l’idée de tester des vaccins sur les Africains. Elle a été encore renforcée par la volonté affichée de l’OMS, de Bill Gates et du GAVI (une organisation internationale qui promeut la vaccination), tous deux importants bailleurs de cette institution, de vacciner toute la planète avec le concours de l’Union européenne qui a lancé un téléthon pour financer les recherches. S’il s’avérait que le SARS-COV-2 soit un virus saisonnier et qu’il ne survive pas à l’été, comme le pensent certains scientifiques, ce serait une absurdité, une de plus. Qu’importe, le ridicule ne tue plus…

Le 3 avril, aux côtés de Mike Hamer, l’ambassadeur des États-Unis à Kinshasa, le monsieur Ebola de la République démocratique du Congo annonçait fièrement qu’un vaccin contre le SARS-COV-2 serait testé en été et que son pays avait été choisi pour ces essais cliniques. Quelques jours plus tard, devant la levée de boucliers de ses compatriotes, penaud, le docteur Muyembé rétropédalait.

Toutes ces pitreries risquent fort d’avoir des effets délétères en faisant naître une défiance portant sur l’ensemble des vaccins, dont certains sont pourtant absolument nécessaires comme la fièvre jaune, le BCG, etc. Finalement, le ridicule peut tuer…

Comme en 40

À cette exaspération envers les prophètes de la collapsologie s’est donc ajoutée une violente réaction contre tous ceux qui prônent ce vaccin «miracle et obligatoire». Le baromètre de la confiance envers les institutions internationales OMS, ONU, de l’Union européenne et de la France, qui n’était déjà pas au beau fixe, a viré à l’avis de tempête. Mais comme d’habitude, les concernés, sûrs d’eux-mêmes, ne mesurent pas l’intensité du rejet et ne changent surtout rien.

Ces signaux forts viennent se greffer à d’autres, plus faibles mais qui pourraient avoir des conséquences majeures à plus ou moins long terme. La «séquence coronavirus» a été le révélateur des fragilités des grandes puissances. L’Afrique francophone a vu ses anciens colonisateurs, français et belges, compter leurs morts chaque soir, elle a vu leurs doutes, leurs hésitations et les comportements incohérents de leurs dirigeants.  Elle a vu leurs citoyens subir des incarcérations volontaires et des pénuries. Au passage, en Afrique, il y a des masques «grand public» disponibles partout et pour tout le monde.

Dans les esprits, cela rappelle la guerre de 14-18, lorsque le doute s’est installé quant à l’invincibilité du colonisateur. Un doute qui s’est transformé en conviction avec la défaite de 1940, quand l’occupant est devenu l’occupé… Dès lors, les indépendances devenaient inéluctables.

Les premières pierres d’un début de changement de paradigme sont déjà posées. L’épidémie a permis au Maroc de déployer une intense diplomatie sanitaire, en livrant des masques et des médicaments à d’autres pays du continent. Le Sénégal s’est affiché en pointe sur les recherches et les traitements. Le Président malgache, Andry Rajoelina, a joué un joli coup avec sa potion Covid-Organics qui fait fureur dans toute l’Afrique. La Guinée-Bissau a même affrété un airbus pour transporter le produit afin de le distribuer aux 14 pays de la Cedeao.

Des débats, qui ne sont certes pas nouveaux, sur la dette et l’efficacité de l’aide au développement sont appréhendés à la lumière de l’impuissance qu’ont montrée les grandes puissances et de ce qui est vécu comme le passage d’une époque à une autre. Dans un entretien récent, l’ancien Premier ministre burkinabè, Tertius Zongo, a déclaré:

«À plus long terme, il nous faudra raisonner différemment le monde. La crise va donner l’opportunité à une forme, sans doute pas de déglobalisation, mais tout du moins de raisonnement en termes de blocs.»

Ce qui signifierait la fin de l’hyperpuissance américaine et celle de l’hégémonie occidentale. Le coronavirus aurait ainsi accéléré l’avènement d’un monde multipolaire. Il n’est pas encore interdit d’être optimiste…

Leslie Varenne, journaliste d’investigation, est directrice de l’IVERIS (Institut de Veille et d’Etude des Relations Internationales et Stratégiques)

*Source : Sputnik

Articles de Leslie Varenne publiés sur « France-Irak Actualité » :

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