Par Leslie Varenne (revue de presse : Sputnik – 26/6/20)*
Conseiller à la Sécurité nationale, John Bolton a été dans la pièce où se prenait les décisions stratégiques. Dès lors, le lecteur de son ouvrage pouvait s’attendre à quelques révélations sur la politique étrangère américaine, notamment en Afrique, il n’en est rien. La bombe annoncée fait pschitt. Analyse de Leslie Varenne de l’IVERIS.
Selon les documents obtenus en 2018 par le magazine Intercept, les États-Unis disposent de 34 sites militaires en Afrique, mais le chiffre officieux est, de source militaire occidentale, beaucoup plus élevé… Dans les cinq pays du G5 Sahel, l’armée américaine est présente dans le Sahel, notamment au Niger où elle dispose de plusieurs bases. Depuis le début du 21ème siècle, leurs ambassades sur le continent, comme celles de Côte d’Ivoire ou de Mauritanie, se sont considérablement agrandies au point de devenir de véritables châteaux forts. En décembre 2018, c’est John Bolton en personne qui avait présenté devant l’Heritage Foundation la nouvelle stratégie pour l’Afrique de l’administration Trump. Il avait profité de ce moment pour annoncer une initiative capitale et mémorable: «L’Afrique prospère».
Ce projet avait pour but de… faciliter les investissements américains sur le continent! À l’époque, la réduction des troupes présentes sur le sol africain n’était pas encore publiquement à l’ordre du jour. En revanche, il était déjà question de revoir à la baisse les moyens attribués aux missions de maintien de la paix des Nations unies. C’est dire si les confidences du très néoconservateur John Bolton, l’homme qui a eu sa place dans le bureau ovale pendant dix-huit mois, d’avril 2018 à septembre 2019, auraient pu se révéler passionnantes.
Chic et choc
Mais certains livres en disent plus long sur leur auteur que sur la cible qu’ils sont censés atteindre. «The Room Where It Happened» (La pièce où c’est arrivé) est de ceux-là. Dans une bibliothèque, l’ouvrage de celui qui fut aussi conseiller en désarmement de Georges W. Bush pourrait se ranger entre les rayons «potins mondains» et «commérages diplomatiques», une collection très tendance actuellement.
Le continent africain est un enjeu stratégique pour les États-Unis. Pourtant, il est dramatiquement peu évoqué dans cet ouvrage. La première fois que l’Afrique entre en scène c’est pour relater un incident entre le staff de la FLOTUS (First lady of the United State) et Mira Ricardel, la conseillère adjointe à la Sécurité. Il y avait de l’électricité dans l’air au sujet de la préparation du premier voyage de Melania sur le continent. C’était en 2018, l’épouse du Président de feu l’hyperpuissance se préparait à visiter le Ghana, le Malawi, le Kenya et l’Égypte. Ce séjour restera dans les mémoires pour son défilé haute couture devant le Sphinx de Gizeh et son chapeau, version casque colonial revisité par Chanel. Un goût très sûr, très réussi… Sur cette séquence, John Bolton n’en écrit pas plus, il est vrai que dans le domaine des créateurs de mode, comme dans bien d’autres d’ailleurs, il est assez ignorant.
Les choses sérieuses
Mais dans le bureau ovale, entre deux tweets du Président, se tiennent aussi des discussions raisonnables. Ainsi, à en croire Bolton, Donald Trump se montre obsédé par le retour des «boys» à la maison et ne perçoit l’engagement militaire américain qu’à travers le prisme d’une vision comptable. En mars 2019, le POTUS (President of the United States) revient une énième fois sur la question du retour des soldats d’Afghanistan et de Syrie, dans la foulée il interpelle le Général Dunford: «Pourquoi sommes-nous en Afrique?». C’est une excellente question. Malheureusement, l’histoire ne dit pas ce que le haut gradé lui a répondu. Le locataire de la Maison-Blanche a poursuivi en expliquant qu’il voulait sortir complètement de l’Afrique, la dette nationale et le déficit de la balance commerciale étant trop importants. Lors d’une autre réunion décrite dans le livre, le Président répète «Je veux sortir de tout» et critique les programmes militaires sur le continent. «Je veux quitter l’Afrique et autant d’endroits que possibles», Mark Esper, le secrétaire d’État à la Défense et Dunford tentent de le rassurer en lui expliquant que les effectifs étaient déjà en cours de réduction.
Sur ce sujet, Donald Trump est constant et il le sera d’autant plus qu’il entrera dans le dur de sa campagne électorale. Il tient à honorer ses promesses de candidat. Cependant, il doit compter avec une opposition interne extrêmement forte qui provient des deux camps: le Républicain Jim Inhofe, président du comité des services armés au Sénat bataille fermement contre une réduction des troupes en Afrique, le démocrate Adam Smith, élu de Washington, aussi. Devant des journalistes, ce dernier a déclaré en février dernier que «l’investissement en valait la peine».
Monomanie
En dehors de la réduction des troupes et des éléments comptables (le Président se montre furieux de l’aide de 1,5 milliard de dollars au Nigeria accordée par l’administration Obama, alors que ce pays n’achète pas de produits agricoles américains), l’Afrique n’est citée que pour sa relation avec la Chine. C’est LA préoccupation majeure. La place de Huawei, la route de la soie et ce que Bolton appelle la «diplomatie de la dette» semblent peupler de cauchemars les nuits de Donald Trump et de ses conseillers. Et l’auteur de rappeler son discours devant l’Heritage Foundation: «En Afrique, nous constatons déjà les effets inquiétants de la quête de pouvoirs politiques, économiques et militaires supplémentaires par la Chine. – Ces comportements prédateurs s’inscrivent dans le cadre d’initiatives stratégiques chinoises plus vastes, notamment la nouvelle route de la soie – un plan visant à mettre en place une série de routes commerciales en provenance et à destination de la Chine dans le but ultime de favoriser la domination mondiale de la Chine.» La montée en puissance de ce pays crée la panique, une peur presque pathologique du déclassement au sein d’une classe politique encore viscéralement empreinte de la culture de l’exceptionnalisme américain.
Cette frayeur les rend aveugles, sourds et monomaniaques. Dans l’ouvrage de Bolton, aucune mention n’est faite du Sahel. Aucun pays du G5 n’est mentionné, même le Niger n’y figure pas. Pourtant, lorsqu’en octobre 2017 quatre soldats US avaient été tués lors d’une opération, cet événement avait été abondamment commenté par les médias américains qui s’attachaient surtout à compter combien de jours le Président était resté muet sur l’incident. Ils restaient focalisés sur la teneur des conversations téléphoniques, paraît-il, calamiteuses, de Trump avec les familles des victimes. Il est vrai qu’être sauvé par des hélicoptères et des militaires français…
Grand corps malade
Deux autres pays d’Afrique sont cités au passage, en quelques lignes: l’Afrique du Sud pour sa réforme agraire lorsque Donald Trump s’inquiétait sur le sort des fermiers blancs et voulait proposer à la grande Amérique de les accueillir, la République Démocratique du Congo pour Ebola et non pas pour ses élections de décembre 2018 qui furent hautement risquées, alors qu’à cette date Bolton était dans la «pièce où c’est arrivé». Dommage, le lecteur aurait aimé en savoir plus sur les «initiatives» des USA dans la région des Grands Lacs. Bien sûr, le livre a été relu par une armada d’avocats et l’ancien conseiller à la Sécurité ne se risque pas à livrer des secrets d’État, mais cela n’enlève en rien à l’indigence du livre qui en dit plus long sur son auteur mais également sur la situation et le destin des États-Unis.
*Source : Sputnik
Leslie Varenne, journaliste d’investigation, est directrice de l’IVERIS (Institut de Veille et d’Etude des Relations Internationales et Stratégiques).
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