Par Christophe Oberlin

 

De nombreux médias français relatent l’événement que constituerait la dénonciation d’un apartheid israélien par l’ONG Nord-américaine Human Rights Watch. C’est faire peu de cas de l’ouverture d’une enquête de la Cour Pénale Internationale sur la « Situation dans l’Etat de Palestine » le 3 mars 2021. Et c’est aussi donner aux ONG une importance qu’elles n’ont pas.

A la suite de l’Agence France Presse, de nombreux médias français reprennent l’événement que constituerait la dénonciation d’un apartheid israélien par l’ONG Nord-américaine Human Rights Watch. C’est faire peu de cas d’un autre événement, historique celui-là, qui est l’ouverture d’une enquête de la Cour Pénale Internationale sur la « Situation dans l’Etat de Palestine » le 3 mars 2021. Et c’est aussi donner aux ONG une importance qu’elles n’ont pas.

Les organisations non gouvernementales jouissent dans nos pays d’une aura quasi-institutionnelle.  Elles jouent un rôle indéniable de lanceur d’alerte. Les grands médias leurs sont largement ouverts : n’étant par leur intitulé liées à aucun gouvernement, leur point de vue serait forcément impartial. Les exactions qu’elles dénoncent ne se limitent pas aux pays du sud. Représentées par des personnalités respectées, elles afficheraient toutes les garanties d’honorabilité et de probité. Leur existence même nous rassure. A y regarder de plus près, certaines de ces qualités sont aussi des défauts. La visibilité extrême des ONG tend à faire accroire au public quelles sont les garantes, voire les dépositaires du droit international. Etant jugées indépendantes, elles seules seraient à même de rétablir le droit face aux structures étatiques ou supranationales qui seraient soumises aux contingences politiques et donc corrompues.

Rien n’est moins sûr. Une ONG ayant pignon sur rue déclarant que la Cour Pénale Internationale n’est pas faite pour la Palestine[1]. La plus grande association américaine laissant gravir à des postes de direction sur le Proche-Orient un militant sioniste zélé[2]. Telle autre hésitant longuement pour savoir si la ségrégation dont sont victimes les Palestiniens israéliens peut être qualifiée d’apartheid.

Le principe associatif est de permettre à des individus de bonne volonté de s’associer pour promouvoir une activité, souvent à caractère social. Se trouvent ainsi agrégées des personnes fidèles à la cause, mais sont-elles nécessairement compétentes ? La gratification personnelle qui en découle ne prend-elle pas parfois le pas sur la cause elle-même ? L’ONG grandit, et il faut alors des financements pérennes. Et voilà que l’ONG s’institutionnalise, embauche des communicants, court les plateaux de télévision, lève à grand bruit des fonds pour des causes qui ne sont pas toujours claires. Certains lieux stratégiques, comme le Parlement européen ou la Cour Pénale Internationale, sont véritablement assiégés par leurs représentations. Un lobbying qui coute cher, et pose évidemment la question du financement. A ce niveau ce ne sont plus de petits donateurs retraités.

Que dit le droit ? Un parti politique est représentatif à travers ses électeurs, comme les syndicats dans les entreprises. Aussi surprenant que cela puisse paraitre, une ONG type « droit de l’homme » ne représente pas les victimes d’atteintes aux droits de l’homme. Elle représente les adhérents à jour de leur cotisation.  Or dans le cas des grosses ONG, la part des cotisations ne représente qu’une infime fraction des revenus. La Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) à laquelle est affiliée le PCHR (Palestinian Commitee for Human Rights) annonce un budget de 9 millions d’euros, et son rapport annuel 2018 précise :  1,7% de cotisations et 98,3 % de subventions. Dans la rubrique « Qui nous soutient ? », aucun chiffre mais une simple liste : essentiellement des Etats occidentaux et des fondations pour les plus grosses liées à la finance. Où est l’indépendance ? S’agissant des procédures lancées par la Palestine devant la Cour de Justice de l’Union Européenne ou la CPI, un objectif essentiel est de consacrer la souveraineté et la qualité d’État devant une juridiction internationale. Or les ONG les plus puissantes se positionnent souvent en remplacement des structures publiques, accréditant l’idée que l’Etat est défaillant à remplir ses obligations, marginalisant le rôle politique attendu des Etats. Bien sûr les ONG peuvent participer, en marge et à titre informatif, à l’élaboration de l’opinion des juges, mais en aucun cas elles ne peuvent se substituer aux juges et aux avocats des victimes, aux systèmes judiciaires dont se sont dotés les Etats. Sur le plan juridique, il y a un saut qualitatif entre les professionnels et une association non gouvernementale. D’où de grossières erreurs. Comme ces ONG reconnues qui, à l’occasion de crime de guerre commis en Palestine, réussissent à convaincre les victimes de porter plainte auprès de la Cour suprême israélienne : sollicitation qui bloque toute possibilité de plainte en direction de la Cour Pénale Internationale puisqu’une juridiction locale prend en charge l’affaire[3].

Plutôt que de nous intéresser au rapport de telle ou telle ONG, observons la couverture médiatique de l’événement constitué par l’ouverture d’enquête par la Procureure le 3 mars 2021, décision précédée le 5 février d’un jugement de la Cour reconnaissant l’Etat de Palestine et la souveraineté du peuple palestinien sur son territoire. Une lecture fondatrice, qui détruit la légende de Palestiniens condamnés à trouver leur avenir à partir de négociations avec Israël. La relation dans les médias de ces deux décisions judiciaires est singulièrement différente en Israël et en France.

En Israël :

Dans les jours qui suivent l’annonce de l’ouverture d’enquête, le contenu des médias israéliens marque une évolution rapide. Le déni, voire l’insulte, sont progressivement remplacés par une meilleure information juridique avec son corollaire qui est l’inquiétude. Le président israélien fait le tour des supposés amis politiques notamment européens. Il reçoit de cordiaux messages de soutien mais suscite autant de déclarations en faveur de la justice internationale.  Une lettre, envoyée par le Premier ministre britannique Boris Johnson à deux Lords inquiets[4], évoque irrésistiblement la duplicité de la déclaration Balfour de 1917, énonçant sur la même page une chose et son contraire : condamnation de la décision de la Cour et confiance renouvelée dans la justice internationale représentée par la même Cour !  A la veille de la réponse attendue des dirigeants israéliens à la question de savoir s’ils vont faire jouer, ou pas, le principe de subsidiarité, signe d’une certaine agitation, la version numérique du Jérusalem Post ne publie pas moins de trois articles dans la même journée : à 13h le journal annonce que, malgré plusieurs réunions animées, le cabinet du Premier ministre n’a pas réussi à élaborer une réponse à Fatou Bensouda ; à 15h le journal traite Fatou Bensouda de « canard boiteux » et place ses espoirs dans le changement de procureur à venir[5] ; à 18h il annonce qu’Israël refusera toute coopération avec la CPI.   Et on épluche le passé du prochain procureur, sans y trouver quoi que ce soit augurant qu’il pourrait « laisser tomber l’affaire ».

En France :

L’ouverture d’enquête, une fois révélée, est suivie d’un silence assourdissant. On se contente d’insister sur les réactions israélienne et nord-américaine, qui sont du domaine du politique et du diplomatique, alors qu’une phase judiciaire est enclenchée. Les déclarations du département d’Etat et du président américain déclarant que la CPI doit se réformer, et que seule la saisine par le Conseil de sécurité ne devrait subsister, ne sont pas commentées. Alors que le droit de véto des membres permanents reviendrait alors à supprimer la CPI !  Point d’articles de fond concernant les aspects purement juridiques, comme si la séparation des pouvoirs n’existait pas. Or elle existe.  Président des Etats-parti et procureur sont élus par l’Assemblée générale des représentants des 123 Etats membres. Le Conseil de sécurité ne peut, au maximum, que retarder d’un an une ouverture d’enquête[6], mais pas l’empêcher. La machine judiciaire est aujourd’hui en route, nommément sur trois dossiers : la colonisation de la Cisjordanie (colonisation et apartheid constituant les deux faces d’une même pièce), les victimes de la guerre de 2014 et des « Marches du retour » de 2018.  Oublions la recommandation d’une ONG qui, au mépris du bon sens, exige de l’ONU la création d’une « commission d’enquête internationale ». Et observons la réalité en face : pour la première fois depuis le démembrement de l’empire Ottoman les Palestiniens vont pouvoir faire entendre leur voix devant une cour pénale.

[1] Voir Les dirigeants israéliens devant la Cour Pénale Internationale – L’enquête, Christophe Oberlin, Editions Erick Bonnier, p 21

[2] Voir L’Echange – Le soldat Shalit et les Palestiniens, Christophe Oberlin, Editions Erick Bonnier p 60-61

[3] Principe de subsidiarité, article 17 du Statut de Rome.  Déclencher des enquêtes locales, avec pour effet de bloquer les enquêtes correspondantes par la CPI en attendant de pouvoir évaluer si ces procédures ont été menées équitablement.

[4] https://www.theguardian.com/world/2021/apr/15/palestine-condemns-boris-johnson-opposing-icc-israel-investigation

[5] La Gambienne Fatou Bensouda termine son mandat en mai 2021 et sera remplacée par le Britannique Karim Khan

[6] Et après avoir obtenu le vote d’au moins 9 des 15 membres du Conseil.

Source : Le blog de l’auteur
https://blogs.mediapart.fr/christophe-oberlin/…