Côte d’Ivoire : détournement de deniers publics
17 octobre 2021
Côte d’Ivoire : Mal gouvernance et détournements de deniers publicspar Robert Bibeau |
Par Célestin Allah Bernard
Entrevue avec Monsieur Moussa Sanogo Ministre du Budget et du portefeuille de l’État
Préambule : Depuis le mois d’avril 2021, une crise de mauvaise gouvernance secoue le Fonds de développement de la formation professionnelle (FDFP), avec en prime la suspension de M Ange Barry Battesti, le secrétaire général de ce Fonds. Monsieur Moussa Sanogo Ministre du budget et du porte feuille de l’État qui est intervenu par le biais de son Directeur de Cabinet, pour recadrer les parties prenantes, s’ explique à travers cette interview.
CAB : Nous constatons depuis un temps que les détournements se sont multipliés : les Cas de l’ARTCI, du FER … et récemment du FDFP alors que les dispositions administratives prévoient qu’il y ait un contrôleur budgétaire pour valider les factures avant leur paiement. Quand on sait que celui-ci dépend de vous, on se demande s’il n’y a pas de complicité entre vous et vos collaborateurs (contrôleurs budgétaires) dans les détournements de deniers publics ?
Monsieur le Ministre : Vous affirmez de prime abord, que les détournements se sont multipliés. C’est un jugement de valeur dont je vous laisse la responsabilité. Ceci dit, il convient d’apporter un rectificatif, pour une présentation plus juste de la situation: contrairement au FDFP qui est une structure assimilée aux Établissements Publics Nationaux (EPN) et auprès duquel un Contrôleur Budgétaire est nommé, l’ARTCI est un organe de régulation et le FER une Société d’État auprès desquels il n’existe pas de Contrôleurs Budgétaires.
C’est à dire ?
Monsieur le Ministre : Cela veut dire que le Contrôleur Budgétaire est certes nommé par le Ministre du Budget et, dans la réalisation de sa mission, il bénéficie d’une autonomie dans ses prises de décision. Il effectue son contrôle dans le respect des textes en vigueur. Il ne se réfère pas au Ministre qui n’est pas son supérieur hiérarchique direct. Il rend compte de son travail notamment à travers des rapports trimestriels et annuels. Je ne vois donc pas la complicité entre le Contrôleur Budgétaire et le Ministre du Budget.
Pour réduire les erreurs d’appréciation et autres fautes de gestion qui échappent à la vigilance des Contrôleurs Budgétaires, nous avons institué des missions annuelles de supervision et d’assistance aux Contrôleurs Budgétaires et aux Directeurs des EPN et structures assimilées. Grâce à ces missions conduites par la Direction Générale du Budget et des Finances, il y a moins de problèmes de gouvernance au niveau des EPN et structures assimilées.
CAB : Et pourtant vous aviez mandaté le cabinet PricewaterhouseCoopers, par le biais de la Direction Générale du Budget et des Finances, pour un audit au FDFP et après celui de l’Inspection Générale de l’État de Côte d’Ivoire. Pourquoi ce deuxième audit, qui donne l’idée d’acharnement administratif sur le Secrétaire Général du FDFP, que vous défendez pourtant.
Monsieur le Ministre : Je dois encore préciser que l’audit en cours au FDFP n’a pas été confié au cabinet PricewaterhouseCoopers par le biais de la Direction Générale du Budget et des Finances, mais par le biais de la Direction Générale du Portefeuille de l’État.
C’est un audit complémentaire mais indépendant de celui de l’Inspection Générale d’État (IGE). Il est complémentaire en ce sens que son périmètre complète celui de l’IGE. En tout état de cause, un audit est un acte habituel de gestion moderne. Loin d’être l’expression d’un acharnement sur le Secrétaire Général, il vise à faire le diagnostic de l’ensemble du dispositif organisationnel et de fonctionnement du Fonds, en vue de sa réorganisation, pour plus d’efficacité.
CAB : Par courrier du 22 Août 2021, vous demandez à Joël N’guessan alors Président du comité de gestion du FDFP de réinstaller Ange Barry Battesti, le secrétaire général, suspendu. Nous voudrions en savoir davantage.
Monsieur le Ministre : Par courrier n°5947/MBPE/2021/CAB-01 du 23 août 2021, mon Directeur de Cabinet, agissant par ordre, a bien invité le Président du Comité de Gestion à surseoir à sa décision de suspension du Secrétaire Général du FDFP, car cette décision n’était pas conforme aux dispositions légales et réglementaires en vigueur.
La seule faculté donnée au Conseil de gestion d’un EPN par l’article 52 de la loi n°2020-627 du 14 août 2020 fixant les règles générales relatives aux EPN, est de proposer aux ministres de tutelle les mesures conservatoires concernant les principaux acteurs de la gestion qui auraient commis des fautes. De même, selon l’article 12 du décret 92-05 du 8 janvier 1992 portant organisation et fonctionnement du FDFP, les décisions du Comité de Gestion ne deviennent exécutoires qu’après l’accord des Ministres.
La décision du Président du Comité de Gestion du FDFP n’étant pas conforme aux textes, nous avons demandé qu’elle soit reportée.
CAB : Les sources très crédibles, annoncent que vous êtes devenus très riche par le soin des contrôleurs budgétaires qui vous rendent compte financièrement toutes les semaines.
Monsieur le Ministre : Il faudrait peut-être inviter ces sources à faire parvenir les éléments (pièces, documents ou témoignages) dont elles disposent aux juridictions compétentes.
CAB : Pourquoi avez-vous tant défendu le secrétaire général du FDFP, pourtant suspendu en mettant à mal la bonne gouvernance prônée par le président Alassane Ouattara? Quelle disposition pratique mettez-vous en place pour éviter les détournements de fonds?
Monsieur le Ministre : Vous portez un autre jugement de valeur dont je vous laisse la responsabilité. Ceci dit, en invitant le Président du Comité de Gestion à surseoir à sa décision de suspension du Secrétaire Général du FDFP, nos seuls objectifs étaient de faire respecter les textes régissant le FDFP. Il ne s’agissait donc pas de défendre qui que ce soit.
Pour améliorer la gouvernance des EPN et structures assimilées, nous travaillons à la mise en place d’un mécanisme de «reporting» et de suivi rapproché des établissements dont les actions principales sont :
– il sera effectué des audits périodiques comptable, financier et organisationnel de tous les Établissements Publics Nationaux et structures assimilées ;
– la qualité du travail effectué par les Contrôleurs Budgétaires sera annuellement évaluée ;
– une étude diagnostic sera réalisée afin d’identifier les risques, d’élaborer et de suivre une cartographie et une stratégie de mitigation ;
– des missions d’assistance et de supervision de l’ensemble des EPN et structures assimilées seront effectuées annuellement. Les rapports de mission feront l’objet de Communications en Conseil des Ministres.
CAB : Votre dernier mot Monsieur le Ministre.
Monsieur le Ministre : Je voudrais noter qu’en plus de ces dispositions, il faut savoir que tout coupable de mal gouvernance est sévèrement sanctionné. Je vous remercie de m’avoir donné la parole pour ces points d’éclaircissements.
Interview réalisée par Célestin Allah Bernard.