Chère Mariam Sophie Pétronin,

Je viens d’apprendre par voie de presse que vous êtes en sécurité et je vous remercie d’avoir pris le soin de nous rassurer après toutes ces informations qui circulaient ces derniers temps au sujet de votre nouvelle disparition au Mali. Quelle aventure !

Cependant, je tiens absolument à vous faire connaitre ma pensée au sujet de votre attitude dans la mesure où vous dites une nouvelle fois que vous lisez le Saint Coran et que vous êtes devenue musulmane.

Comme tout le monde, j’ai un peu suivi l’intrigue de vos péripéties au Mali et aussi votre arrestation par les forces du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) qui a obligé les forces de la Défense Nationale Française à intervenir dans le but d’obtenir votre libération en même temps que celle de vos compères.

Je vous comprends bien madame.

Dans un premier volet, je ne parlerais pas d’un point de vue religieux, mais d’un point de vue citoyen.

Quiconque suit votre nouvelle aventure, peut naturellement se dire que nous avons affaire à une personne atteinte de troubles psychologiques, visiblement victime d’un traumatisme dû à un kidnapping. Je peux parfaitement comprendre votre désir de retourner sur les lieux de votre calvaire afin d’exorciser les pensées qui vous hantent depuis votre supplice, puisque je l’ai vécu.

En effet, j’ai aussi été kidnappé, en 1989, il ne s’agissait pas d’une arrestation comme la vôtre. J’ai été retenu pendant quatre mois dans un pays d’Afrique qui avait aussi des projets contre l’Algérie, mais la différence avec vous, c’est que ne n’ai pas attendu que l’on vienne à mon secours. Je me suis évadé deux fois en pleine nuit et malgré le fait que j’ai été, la seconde fois, pris en chasse par des hommes armés qui m’ont tirés dessus sans pouvoir m’atteindre, j’ai réussi à leur échapper en me cachant au bord d’une route où j’ai attendu que les limiers s’éloignent suffisamment avant de ressortir du faussé dans lequel je m’étais caché. J’ai ensuite rejoint une ville (la civilisation) à quelques kilomètres de là, dans laquelle se trouvait une gendarmerie royale qui a veillé à ce que je puisse me rendre jusqu’au consulat de France, malgré mon état de santé affaibli par une alimentation intoxiquée par mes ravisseurs. Mon refus catégorique de participer au programme contre l’Algérie avait failli me couter la vie, mais ce n’est pas le sujet de ma lettre.

En 2021, lorsque des rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) profitent du coup d’État contre le président Amadou Toumani Touré pour s’attaquer à des villes stratégiques du Mali, dont Gao, où vous résidiez encore, vous vous réfugiez au consulat d’Algérie et vous vous enfuyez par une porte de derrière alors que les diplomates algériens sont eux-mêmes capturés par les rebelles touaregs. Vous parvenez ensuite à vous exfiltrer du pays par le désert grâce à l’aide d’une famille locale (des correspondants ?)  qui vous procurent déguisement et logistique selon votre propre récit.

Ces idées harcelantes

Rassurez-vous, je n’ai pas besoin de reprendre certaines accusations publiques disant que vous seriez un agent au service d’une puissance étrangère, mais pour en revenir au traumatisme lui-même, je disais que je comprends parfaitement votre désir de retourner immédiatement sur place dans la mesure où j’ai eu la même réaction. En effet, je voulais absolument chasser de mon esprit toutes les idées harcelantes qui voudraient me convaincre que le pays ou la population en voulait à ma personne. Malgré les menaces de mort qui m’ont été dite, au cas où je parlerais dans le futur, je refusais de penser qu’ils étaient tous contre moi et je voulais des réponses à certaines questions précises. Lorsque je suis retourné sur place, j’y suis resté plusieurs mois et c’est seulement après avoir retrouvé une vision plus juste de la réalité et obtenu les réponses que j’étais venu chercher, que j’ai entrepris de suivre mon chemin de vie logique en quittant ce territoire en paix.

Cette attitude est, en ce qui me concerne, parfaitement normale et sensée, cependant, la différence avec la vôtre, c’est que votre propre histoire, bien que liée de manière occulte, se déroule dans un contexte tout à fait différent qui ne vous autorise pas à retourner sur place et y poursuivre votre vie comme si rien n’était arrivé. Dans votre cas, des diplomates algériens ont été arrêtés, visiblement à cause de vous, ensuite vous retournez sur place, vous êtes kidnappée le 24 décembre 2016 et c’est après avoir été détenue pendant près de quatre ans que des militaires français ont pris des risques pour vous libérer. Des dizaines, peut-être même des centaines de personnes se sont mobilisées pour vous venir en aide, des moyens techniques engagés et des dépenses financières correspondantes ont permis votre retour en France.

Votre « libération »

Vous avez été « libérée » le 8 octobre 2020 avec trois autres otages : deux Italiens et l’ancien ministre malien Soumaïla Cissé, trois fois candidat à la présidentielle. Certains vont jusqu’à affirmer que « la France a profité des négociations autour de la libération de Soumaïla Cissé pour organiser celle de Sophie Pétronin » qui n’a « jamais été au centre de la négociation ». Votre remise en liberté coïncide avec celle de plus d’une centaine, voire deux cents prisonniersdont l’identité et le profil demeurent inconnus, bien qu’ils soient présentés comme étant des djihadistes condamnés ou présumés par des responsables maliens s’exprimant sous le couvert de l’anonymat et pour la plupart, des « combattants de base » et des chefs précédemment capturés par les soldats français, selon le reporter Didier François.

Je ne sais pas si vous réalisez la gravité de votre geste en retournant au Mali de manière clandestine, c’est-à-dire sans respecter les lois comme l’aurait fait tout agent triple zéro digne de ce nom. Ces lois que vous offensez par votre attitude sont les mêmes que celles qui ont imposées à l’administration française de procéder à la mobilisation des moyens humains et financiers nécessaires afin d’apporter une réponse à la mesure de la complexité de votre situation. Toutes ces personnes qui ont eu foi en la justesse de leur action,  qui ont bravées le danger pour vous faire libérer, qui ont pris des risques qui auraient pu plonger leurs proches dans la détresse psychologique d’un deuil, vous leur répondez aujourd’hui en leur disant que vous n’en avez rien à faire et que vous préférez rejoindre votre fille adoptive et retourner à vos actions humanitaires et tout le monde est censé vous croire. S’interroger à votre sujet est tout simplement humain.

Puisque vous dites que vous lisez le Saint Coran.

Maintenant d’un point de vue religieux, je vous dirais simplement que l’islam de Mouhammad swa, n’a jamais été la religion du mépris et de l’ingratitude. Peut-être pour les ignorants, mais pas pour les croyants.

Vous avez une dette envers l’Algérie et les Algériens, une autre envers la France et les Français et envers beaucoup d’autres. Le minimum que vous leur devez est certainement de leur témoigner respect et considération. Allah swt a dit dans le Saint Coran que celui qui n’a pas remercié l’humain, n’a pas remercié Allah swt. Que dire alors de celui qui offense ou méprise les peuples tout en se présentant comme humanitaire et qui s’entête à afficher son adhésion à l’Islam pour tenter de justifier son attitude ingrate ?
Je ne vais pas vous faire un cours sur le Saint Coran, que vous prétendez lire, puisque vous ne m’avez rien demandé. Mais, il est de mon devoir, puisque vous avez tendance à régulièrement affirmer votre adhésion à l’Islam, de vous alerter, compte tenu de votre âge avancé, au sujet de votre comportement inacceptable qui ne saurait être justifié par un quelconque motif religieux et que personne sur terre ou dans l’au-delà ne saurait agréer. Que Dieu vous guide. Allah ishafik. Selem aleykoum.

Cordialement.

Smaïn Bédrouni

Source : La Voix des Opprimés
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